Jeune journaliste ivoirienne, Nesmon De Laure s’est adjugée le 2e prix africain de fact check dans la catégorie francophone à la 10e Conférence mondiale du journalisme d'investigation en Afrique du Sud. Dans cette interview accordée à Ivoirematin.com, elle revient sur les circonstances de cette distinction tout en se montrant plus combative que jamais sur les questions relatives à la liberté de la presse, la promotion du genre et la lutte contre le cancer du sein.
Ivoirematin.com : Vous venez d'être consacrée 2e prix africain de fact check à la 10e Conférence mondiale du journalisme d'investigation en Afrique du Sud dans la catégorie francophone. Quel sens revêt cette récompense pour vous?
Nesmon De Laure : C'est une belle expérience le fact check. Ce prix encourage à poursuivre le travail d'investigation en intégrant la méthode du fact checking qui consiste à vérifier les propos tenus par les hommes de décision que ce soit au niveau politique ou socio-économique. Les hommes publics sont responsables des propos tenus en public. Leurs sorties influencent bien souvent la vie sociale. Le fact check est né pour traquer les propos, sortir la fiction du vrai. Afin de mieux éclairer l'opinion. Pour cette deuxième place africaine, j'ai réalisé un fact check sur les propos du président français Emmanuel Macron au sujet du problème de développement de l’Afrique qu'il met en lien avec le taux de naissances élevé.
Comment avez-vous réussi à effectuer ce travail et dans quelles conditions ?
Pour cet article, je n'ai pas pu avoir de réponses à certaines sollicitations d'interview malgré les demandes écrites comme le recommande la Commission nationale d'accès aux informations d'utilité publique. Je cite notamment l'Office national de la population. Toutefois, d'autres sources moins formelles et des experts comme l'économiste ivoirien Koffi Allé, qui par ailleurs, exerce au FMI, ont apporté leur éclairage. J'ai pu avoir des informations également avec le point focal national du planning familial.
A quel résultat avez-vous abouti?
La conclusion est que dans le diagnostic du sous-développement en Afrique, il ne faut pas occulter la gabegie, les biens mal acquis, la mauvaise gouvernance.
Ce prix vient s'ajouter à plusieurs autres. Quels sont les sentiments qui vous animent au regard de ces récompenses relativement nombreuses acquises dans votre jeune carrière ?
Ces récompenses augmentent la pression et la responsabilité. Je dois faire mieux. J'apprécie ce prix et les précédents à leur juste valeur. Mais le champ d’actions de l'investigation est grand. J'ai encore des limites à surpasser, des défis à relever pour contribuer à l'éclosion d'une opinion publique mieux éclairée. Cela ne peut se faire sans la sécurité des sources et la liberté de la presse.
Ce sont deux des raisons pour lesquelles j'ai combattu aux côtés de mes pairs, les deux projets de loi sur la presse et la Communication audiovisuelle en Côte d'Ivoire. Nous avons obtenu le retrait momentané du projet de loi après notre mouvement de protestation à l'assemblée nationale. Aujourd'hui le gouvernement semble ouvert à des discussions pour l'obtention d'un texte consensuel. C'est un pas important.
Je souhaite aussi que la loi d'accès aux documents d'intérêt public soit respectée par les administrations publiques. Il ne sert à rien de cacher les informations. Quand les journalistes s'y mettent, ils découvrent ce qui est caché.
Les clichés au sujet des mères célibataires, des jeunes femmes cadres célibataires, il faut les déconstruire au quotidien.
Parallèlement aux médias traditionnels et formels, vous êtes très active sur les réseaux sociaux où vous défendez certaines causes comme celle inhérentes aux droits de la femme et à la promotion du genre. Qu'est-ce qui explique cet engagement?
C'est un engagement naturel. Le besoin de communiquer régulièrement sur ces sujets existait et l'éclosion des réseaux sociaux facilite la tâche. Il faut expliquer les enjeux pour gagner l'adhésion populaire. Il y a une tendance à faire croire que le combat du genre, celui du droit de la femme en particulier, est suranné. Il faut apporter la réplique pour ne pas laisser prospérer l'arnaque. Les disparités du genre ont la peau dure. Les clichés au sujet des mères célibataires, des jeunes femmes cadres célibataires, il faut les déconstruire au quotidien. C'est à cela, que, nous les féministes de la toile, nous nous attelons avec beaucoup d'enthousiasme. Nous ne sommes pas toujours comprises par le grand nombre. Mais des hommes soutiennent le combat. C'est déjà bien.
Un autre combat que vous menez avec détermination, c'est celui contre le cancer du sein. Pouvez-vous nous en dire plus?
Je fais de la sensibilisation au dépistage précoce à travers des campagnes sporadiques sur les réseaux sociaux. En dehors du cancer de sein, avec des amis de l'association ivoirienne des journalistes catholiques et les scouts messagers de la paix, nous avons mené des actions de proximité auprès des enfants malades de cancer.
J'ai commencé le plaidoyer de la prise en charge des malades avant de connaître mon propre diagnostic. J'ai travaillé pendant quatre années à animer la page santé d'un quotidien ivoirien d'informations générales. Étant suffisamment informée sur le cancer, j'ai pu accueillir avec courage mon diagnostic positif en 2016. Je suis en ce moment en pleine rééducation après avoir traversé toutes les étapes du traitement. Mes amis m'ont convaincue de retransmettre ma force aux autres malades. D'où l'annonce de l'association un sourire pour les malades. Vous serez conviés à nos activités qui démarrent début 2018.
Justement, votre témoignage à cet égard a ému toute la communauté du web. Quel a été votre état d'esprit en apprenant cette terrible nouvelle et d'où tirez-vous cette force pour livrer cette lutte que vous êtes sur le point de gagner définitivement?
Mon parcours de soins, de la suspicion à la confirmation du diagnostic jusqu'à ce jour, est condensé dans un journal à publier bientôt. Le fait d'être préalablement informée sur la maladie m'a beaucoup aidée.
Quelles sont ces informations sur la maladie qui vous ont aidé ?
Tout est dans le livre à paraître. Mais il n y a rien de sorcier. Ce sont les informations relayées pendant les campagnes de sensibilisation en général. Notamment la prise en charge rapide qui augmente les chances de survie. 9 cas sur 10 ont des chances de guérir lorsque le cancer est dépisté tôt. Le défi reste le coût élevé du traitement. C'est en cela que réside notre plaidoyer à l'endroit des pouvoirs publics. Le gouvernement a annoncé récemment la gratuité de certains médicaments de chimiothérapie. C'est un pas très important qui soulage un peu les malades. Il faut multiplier ce genre d'actions. Mieux, il faut maintenant œuvrer à ouvrir le centre de radiothérapie d'Abidjan dont les travaux sont en cours.
Pour votre mot de la fin, que pouvez-vous dire à ces malades du cancer du sein qui sont gagnées par le découragement ou ont perdu tout espoir ?
Il ne faut pas désespérer. Il faut continuer à vivre, s'inspirer des autres malades qui tiennent le coup. En réalité pour que le malade ait un moral au top, il lui faut de bonnes raisons. Et toutes ces raisons trouvent racine dans son entourage. La réaction des proches est primordiale.
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