Situation au Mali : Pourquoi ce silence du Sénégal ?
Quand la case du voisin brûle, il faut lui apporter de l’eau, dit l’adage africain. Cette sagesse, le Sénégal ne semble pas en faire sienne dans la situation actuelle du Mali. Le pays voisin est victime d’un blocus imposé par des jihadistes. Un blocus qui touche directement l’économie sénégalais, notamment le port de Dakar. Mais bizarrement, le Sénégal reste étonnamment silencieux sur les difficultés actuelles du Mali. Pas une seule autorité sur la question, ni en conseil des ministres, encore moins dans les autres sorties médiatiques des différentes autorités. Mais les gouvernants ne sont pas les seuls. Les médias non plus ne montrent aucun intérêt. Le sujet est traité dans l’actualité internationale, comme une affaire lointaine. Et les organisations de la société civile ne semblent guère plus concernées. Pourquoi alors ce silence général ?
Pourtant, la question doit intéresser Dakar au plus au point. Non pas parce que les deux pays partagent beaucoup de par l’histoire et la géographie, mais parce que tout simplement le Sénégal s’expose aussi à la menace des groupes armées. Or, avec cette stratégie du blocus, la JNIM veut avoir Bamako à l’usure, comme l’explique Bakary Samb sur Rfi.
A défaut de l’État, il y a des personnalités qui semblent prendre conscience du danger et qui ont décidé d’alerter. L’un d’eux est Ibrahima Thioub, historien, ancien recteur de l’Ucad. Pour lui, le Sénégal et l’Afrique de l’ouest devraient s’occuper du Mali au plus vite. « Si la JNIM y prend le pouvoir, on ne parlera plus nulle part de Mega Niakhtou ou Tera politique. Si les leçons du passé servent à quelque chose, on devrait se souvenir qu'au moment où le Waalo sombrait en 1854 devant les troupes coloniales, les élites du Kajoor et du Bawol continuaient de se chamailler pour savoir qui sera Farba ceci ou Farba cela. Quelques mois plus tard, elles ont été balayées par leurs anciens esclaves engagés dans le bataillon des tirailleurs sénégalais », rappelle Ibrahima Thioub.
L’historien pense que la France n’interviendra pas comme en 2013. L’Alliance des États du Sahel n’a pas la solution. Le Sénégal a donc intérêt à agir en urgence, et même à mobiliser la Cédéao. « La JNIM est en passe de couper Bamako du monde. Si le Mali de Soundjata s’effondre, il emportera avec lui la Sénégambie de Njaajaan Njaay, Janke Waali, Samory et Meissa Waali. (…) Si nous perdons du temps dans nos chamailleries traditionnelles, nous le paierons plus cher que Samba Lawbe à Tivaouane en 1886 et Alburi Njaay à Dosso en 1901 ! », prévient-il.
L’autre personnalité à prendre la parole est l’ancien ministre de l’intérieur, Aly Ngouille Ndiaye. Sur sa page facebook, il a publié une tribune au titre assez alarmiste : « Faut-il attendre que Bamako tombe ? ». Pour Aly Ngouille Ndiaye, les pays occidentaux peuvent demander à leurs ressortissants de quitter le Mali qu’ils peuvent considérer le pays comme un problème de politique extérieure. Pour les voisins, par contre, souligne-t-il, c’est une question de sécurité intérieure.
« Une prise de Bamako par les djihadistes impacterait à coup sur la sécurité nationale de tous les pays frontaliers du Mali sauf l'Algérie qui s'est donné les moyens militaires puis politiques d'éradiquer le djihadisme ». D’où son appel à la Cédéao et à la Mauritanie de ne pas attendre que Bamako tombe. L’ancien ministre appelle la Cédéao et l’Union africaine à sortir de leur silence. Peu importe, selon lui, que le Mali ait quitté la Cédéao, il faut agir pour stopper la stratégie de l’étouffement des jihadistes.
« La Mauritanie, le Sénégal, la Guinée et la Côte d’Ivoire partagent quatre mille (4000) kilomètres de frontières avec le Mali que nos armées couvrent difficilement. Par ailleurs, au-delà des aspects sécuritaires, les enjeux économiques avec les ports de Dakar, de Conakry et d’Abidjan constituent des motifs suffisants pour sauver le Mali », avance-t-il. Aly Ngouille Ndiaye demande à Alassane Ouattara et Diomaye Faye d’oublier leur échec dans la tentative de réintégrer les pays de l’AES au sein de la Cédéao. Il préconise la réactivation de la force d’attente destinée à combattre le jihadisme.
Pourtant, les Africains disposent d’un bon exemple en la matière. Malgré les difficultés de l’Ukraine face à la Russie, les Européens continuent à apporter leur soutien indéfectible à Kiev. Non pas parce qu’ils aiment Zelenski (c’est le cadet de leur soucis), mais parce qu’ils considèrent toute menace en Ukraine comme relevant de la sécurité intérieure. Le verrou libyen a sauté et les conséquences sont connues. Difficile de prévoir les effets dans la sous-région si les verrou malien cède.
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