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Passion contre précarité: les jeunes reporters fuient la presse sénégalaise en ruines

Auteur: Seneweb

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Passion contre précarité: les jeunes reporters fuient la presse sénégalaise en ruines

Ils sont les premiers sur le terrain, les derniers à quitter les rédactions. Les journalistes reporters, piliers de la production d’information, sillonnent les rues, bravent les intempéries, les risques et les pressions pour faire vivre l’actualité. Pourtant, derrière les micros, les caméras et à l’heure du digital derrière les claviers, ces héros de l’information vivent dans une précarité criante, souvent marquée par des rêves brisés, un manque de reconnaissance et des conditions de travail indignes. Seneweb plonge au cœur de cette réalité méconnue à travers des témoignages poignants de jeunes journalistes, brisés par un système qui semble ignorer leur rôle essentiel.

Dans un contexte de crise économique affectant les médias, les reporters sont les premiers à en subir les conséquences : salaires dérisoires, souvent inférieurs à 100 000 FCFA, absence de couverture sociale ou médicale, contrats inexistants et stages interminables non rémunérés.

Pis, pendant que les patrons de presse réclament des subventions à l’État, ces journalistes, eux n’en voient jamais la couleur. Ils sombrent dans un silence douloureux, souvent contraints d’abandonner leur vocation.

Pour de nombreux jeunes diplômés en journalisme, l’entrée dans la profession est un véritable calvaire. Moussa Cissokho (nom d’emprunt), après trois années de formation coûteuse, n’a jamais eu l’occasion d’exercer le métier. Diplômé d’une école réputée, il confie sa désillusion : « J’ai investi près de trois millions pour ma formation. Trois ans d’études, un diplôme en poche, mais aucun stage. J’ai tout essayé, sans succès. Aujourd’hui, je travaille dans une cimenterie ».

Une désillusion qui a tendance à se muer en malaise pour le jeune homme en voyant comment la sphère médiatique est occupée au Sénégal. Il déplore, par ailleurs, le manque de reconnaissance des diplômés, tandis que des personnes « sans formation » envahissent les plateaux télé et radio, banalisant la profession et contribuant aux dérives du secteur. « C’est écœurant d’investir autant pour un diplôme qui ne sert à rien. Ce métier, je l’ai rêvé depuis l’enfance, mais on refuse d’ouvrir la porte aux formés. C’est dommage », se désole-t-il. 

A côté de ceux qui cherchent en vain, il y a celles qui trouvent et s’éprouvent. Aïssatou Tandeng (nom modifié), jeune journaliste débutante, a failli abandonner après des stages éprouvants mais, elle a toujours porté en bandoulière la résilience et son amour pour le métier. « J’ai vécu beaucoup de mauvaises expériences. Ce n’est pas un métier qui paie. Ce qui me retient, c’est la passion. Mais je préviens ceux qui veulent entrer dans le métier : si vous cherchez de l’argent, changez de voie. Le journalisme demande patience, persévérance et courage. C’est un métier d’endurance », explique-t-elle.

10 mois sans contrat ni salaire : Le cri d’un stagiaire oublié

Tout travail mérite salaire, une expression difficilement applicable dans le monde de la presse sénégalaise. Abdoulaye Sylla (nom d’emprunt), étudiant en Licence 3 de journalisme, effectue un stage depuis 10 mois dans un média réputé, sans contrat ni rémunération. « Je travaille comme un professionnel, je couvre l’actualité, je respecte les horaires. Pourtant, pas de prime, pas de transport, pas de repas. Je paie tout de ma poche. Parfois, je dois emprunter pour venir au bureau. On me dit juste d’attendre, et ça fait 10 mois », raconte-t-il.

À la fin de certains événements, les organisateurs donnent des sommes d’argent aux journalistes pour couvrir les frais de déplacement. Une pratique controversée dans le secteur, car, selon de nombreux professionnels, elle peut nuire à l'indépendance du journaliste et le rendre vulnérable à l'influence. Des notions d’éthiques qui ne se posent pas dans l’esprit de Abdoulaye Sylla tant ces revenus occasionnels le soulagent. « Ce n’est pas normal. On parle d’encadrer les jeunes, mais on les exploite. Il faut une vraie prise de conscience », martèle-t-il.

Des rêves sacrifiés sur l’autel de la survie

Dans la presse, trouver un emploi est une chose et être rémunéré en est une autre même si les deux notions doivent aller de pair. Une dichotomie incohérente qui poussent bon nombre de jeunes à s’éloigner de l’essence de leur formation. C’est le cas de Moustapha Sané (nom modifié), jeune père de famille, qui a dû renoncer à son rêve : « On me proposait des stages à répétition, sans rémunération. J’ai fini par claquer la porte. Aujourd’hui, je gère un multiservice. Ça me fait mal, car le journalisme était mon rêve, mais il faut survivre ». 

Quand les rêves sont grands, les désillusions ne peuvent être que gigantesques. Maimouna Ndiaye (nom modifié), passionnée de journalisme, a découvert l’envers du décor : conditions précaires, absence de moyens logistiques et exploitation déguisée. Affectée dans une rédaction sans véhicule, elle assumait seule ses déplacements et n’hésitait pas à se sacrifier pour assurer son devoir d’informer. « On nous donnait 1 000 FCFA pour le transport, même pour deux à trois sorties dans la journée. Il fallait compléter de sa poche. Les perdiems ? On nous demandait de reverser une part à la caisse commerciale. La restauration ? Si tu n’achètes pas, tu ne manges pas », raconte-t-elle.

Au Sénégal, la durée légale du travail est généralement de 40 heures par semaine, réparties sur 5 jours ouvrables. Là encore, cette règle ne s’applique pas forcément dans la sphère médiatique.

Les journées de Maïmouna Ndiaye s’étiraient de 7h à 21h, sans compensation, dans une fatigue physique et mentale constante. « J’étais épuisée, mais je tenais grâce à ma passion. Je me disais que ça changerait un jour », dit-elle. Quelque que soit la dimension de la passion tant qu’elle ne nourrit pas son homme, elle reste vaine.

Après des années sans salaire ni contrat, la journaliste a fini par abandonner. « J’ai enduré, encaissé. Mais à un moment, je me suis dit : ça n’en vaut pas la peine. On t’exploite, on te fait des promesses non tenues. J’ai tout laissé tomber. Aujourd’hui, j’ai une boutique de vêtements et de parfums », dit-elle.

Lorsqu’elle a annoncé son départ, on lui a proposé 75 000 FCFA. Un montant dérisoire qu’elle a refusé. « Ce qui se passe dans certaines rédactions, c’est de l’exploitation abusive, pure et dure. C’est inhumain de passer trois ans dans une rédaction pour qu’on te propose 75 000 FCFA au moment de partir », fait-elle remarquer..

Maimouna dénonce un système injuste et ingrat : « Ce sont les journalistes et les techniciens qui font tourner les rédactions, mais on ne nous considère pas. Certains patrons de presse sont égoïstes. Tant que l’entreprise tourne, ils s’en fichent du reste. J’éprouve beaucoup de pitié pour les reporters. Sans eux, il n’y a pas de presse ».

Vers la communication : Une reconversion forcée

A défaut de trouver son bonheur dans la presse, certains journalistes, l’exemple de Ndèye Fatou Fall (nom modifié), préfèrent quitter cette profession pour la communication digitale. Elle a monté sa propre agence de communication et note que plusieurs confrères suivent cette voie. « Les journalistes qu’on taxe de ‘racailles de la presse’ sont des journalistes courageux. Ils n’arrivent plus à supporter cette précarité, alors ils lancent leur propre business. Ils gagnent mieux que ceux restés dans les rédactions. Ce n’est plus une quête d’épanouissement, mais une course à la survie », explique-t-elle. Elle dénonce aussi le manque de solidarité entre journalistes, aggravé par les jugements de leurs propres confrères. « On dit que les nouvelles autorités ont divisé la presse, mais c’est faux. Cette division existait bien avant. On nous traite de racailles, on dit qu’on n’est pas des journalistes. Tant qu’il n’y aura pas de solidarité, le secteur restera faible ».

Un espoir dans le nouveau régime

Les médias sénégalais sont des entreprises qui profitent d’abord aux patrons de presse mais l’espoir de voir la tendance s’inverser demeure. Ndèye Fatou salue l’ouverture du Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, à l’endroit des jeunes reporters, et non plus uniquement, envers aux propriétaires de ces organes de presse. « C’est un signe fort qui montre que les autorités savent où le bât blesse. On espère que ce régime mettra fin à l’injustice dans les rédactions. Les patrons de presse, pour certains égoïstes, ne nous sortiront pas de cette situation », affirme-t-elle.

Les écoles de journalisme s’inquiètent 

Des écoles comme le CESTI et l’ISEG tirent la sonnette d’alarme. Le constat que ces établissement ont fait est que de plus en plus d’étudiants abandonnent le journalisme, découragés par les conditions du métier. « Nous voyons des étudiants motivés changer de filière ou renoncer après leurs premiers pas sur le terrain. Ils ne voient pas d’avenir stable dans ce métier », confie un formateur sous anonymat qui appelle notamment à mieux préparer psychologiquement les étudiants dès leur formation.

Les chiffres ne mentent pas. Une enquête récente de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS) révèle l’ampleur de la précarité. Plus de 34,4 % des reporters travaillent plus de 10 heures par jour sans compensation pour les heures supplémentaires, malgré un Code du travail fixant la durée légale à 8 heures. 31,5 % travaillent sans salaire, une violation flagrante de la législation. Concernant les contrats, 26,4 % des journalistes n’ont aucun lien contractuel avec leur employeur ; seuls 23,1 % ont un Contrat à durée indéterminée (CDI) et 11,1 % un Contrat à durée déterminée (CDD). Parmi ceux ayant un contrat, 61,7 % n’en possèdent pas d’exemplaire. 45,3 % des contrats ne sont pas enregistrés à l’Inspection du travail, et 77,7 % des reporters n’ont pas de bulletin de salaire. Sur le plan social, 86 % des journalistes n’ont pas de numéro IPRES (Institution de prévoyance retraite du Sénégal) et 86 % ne bénéficient d’aucune prise en charge médicale par leur employeur.

La Convention des jeunes reporters du Sénégal s’exprime

Président de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal, Mamadou Diagne livre sa part de vérité. « En tant que jeune reporter, je confirme cette réalité. La majorité d’entre nous vivent dans une précarité extrême : retards de salaires, revenus dérisoires, absence de contrats, de couverture sociale et sanitaire, heures supplémentaires non payées. Cette situation est dangereuse pour l’éthique, car un journaliste vulnérable est exposé à des tentations ». Il propose des solutions. «Face à un écosystème médiatique en crise, il faut se serrer les coudes. Patrons de presse et État doivent redonner au journalisme sénégalais ses lettres de noblesse avec un modèle économique adéquat et de meilleures conditions de vie et de travail pour les jeunes reporters », souligne-t-il.

Ces témoignages et chiffres montrent que les journalistes reporters sénégalais, souvent jeunes et passionnés, tiennent bon dans l’ombre. Mais combien devront encore sacrifier leur dignité, leur santé et leurs rêves avant un changement structurel ?

Auteur: Seneweb
Publié le: Vendredi 31 Octobre 2025

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