C'est un Laurent Gbagbo à la fois combatif et étonnamment serein que l'on a découvert lors de sa récente interview avec Alain Foka. L'ancien Président ivoirien, figure emblématique et controversée de la politique ouest-africaine, n'a pas mâché ses mots. Entre la dénonciation enflammée d'un scrutin qu'il refuse de nommer "élection" et l'annonce inattendue d'une retraite politique imminente, l'entretien s'est transformé en un véritable testament politique.

La Colère : « Ce n’est pas une élection, c’est un coup d’État civil »

Le point de friction central de cet échange est le processus électoral en cours. Gbagbo a livré une attaque frontale et catégorique contre le scrutin, qu'il qualifie de tentative de confiscation du pouvoir.

L'ancien chef d'État est on ne peut plus clair. L'élimination des candidats majeurs (lui-même et Bédié) transforme le vote en une farce.

Il affirme sans détour : « Ce n'est pas une élection qu'on prépare, c'est un braquage électoral, c’est un coup d’état civil. »

Face à ce qu'il perçoit comme une injustice, Gbagbo a donné des instructions très précises à ses nombreux partisans : il appelle à l'abstention, les encourageant à « rester tranquilles chez eux » car « Gbagbo Laurent n'appelle à voter pour aucun des candidats qui est en liste. ». Il apporte un soutien sans faille à ceux qui manifestent contre ce processus, même s'il n'appelle pas lui-même à descendre dans la rue [00:43:19] .

Le Règlement de Comptes : Sarkozy, Ouattara et les « Barbouses »

L'interview a servi de plateforme pour régler des comptes historiques et contemporains. Gbagbo a remis les pendules à l'heure sur des événements majeurs de son passé, et a lancé de graves accusations sur la situation actuelle du pays.

Le ton se durcit lorsqu'il évoque sa chute. Selon lui, c'est l'ancien Président français, Nicolas Sarkozy, qui « voulait me vitrifier » et qui a fini par l'avoir en faisant « bombarder la résidence présidentielle » pour l'arrêter.

L'ancien Président a révélé la motivation profonde derrière son intention de se présenter malgré son âge : il ne cherchait pas une nouvelle fonction, mais voulait une revanche sur l'histoire. En voyant Alassane Ouattara se présenter, il s'est dit : « On va remettre ça pour voir qui a vraiment gagné » en 2010 [00:10:56] .

Enfin, il a lancé une grave accusation sur la sécurité du pays et le traitement des opposants. Gbagbo a affirmé que des jeunes arrêtés auraient été emmenés pour être interrogés par un « blanc barbu » ne faisant pas partie des forces de sécurité ivoiriennes. Il dénonce une « sous-traitance avec des barbouses étrangères » qui « les effraie » -.

Le Chant du Cygne : Vers une Vie « d’Écrivain »

Au-delà de l'agitation politique, l'ancien dirigeant a surpris en évoquant un avenir loin des projecteurs et des luttes partisanes.

L'homme de 80 ans a confirmé sa volonté de prendre du recul. Il compte démissionner de la direction de son parti, le PPACI, après les élections législatives. « Au moment du congrès, je serai dans ma 81e année, c'est beaucoup, non ? »

Que fera-t-il alors ?

Il aspire à un quotidien plus simple et à un héritage intellectuel : « Je vais prendre mon temps pour moi-même, pour ma petite famille... enfin, je vais vivre un peu, écrire. » -

L'entretien se termine sur une note d'humilité rare en politique : en évoquant son âge et celui de son rival, il a reconnu avec lucidité que « à 80 ans, on n'est pas en pleine santé vraiment ».

Quel que soit la sensibilité politique, cet entretien restera gravé comme le moment où l'un des derniers dinosaures de la politique ivoirienne a à la fois lancé son ultime offensive et annoncé la fin de sa carrière active.