Slimane Benaïssa (commissaire général du festival) : « L’Afrique doit apprendre à se regarder sans miroir colonial »
Pourquoi avoir choisi de placer cette 14ᵉ édition du Fitb sous le thème de l’Afrique ?
Parce que nous sommes Africains, profondément attachés à notre continent. L’Afrique a été morcelée en Afrique du Nord, de l’Ouest, anglophone, francophone, etc. et c’est bien dommage. Trop souvent, nous nous connaissons à travers le regard de l’ancien colon. Il est temps de nous regarder directement, de nous comprendre par nous-mêmes.
Cette édition a donc voulu retisser ce lien, notamment à travers un colloque international consacré aux langues populaires dans le théâtre africain. J’ai d’ailleurs été ému par la pièce burkinabè jouée en moré. C’était merveilleux ! On avait, certes, la traduction, mais on a entendu et écouté une langue africaine. On a senti un peuple, les sentiments d’une langue, sa musicalité.
Au soir de cette 14e édition, quel bilan faites-vous?
Le bilan immédiat est avant tout humain et intellectuel. Il est difficile d’en dresser une synthèse complète à chaud, mais les échanges et réflexions générés sont très riches. Le colloque sera publié, permettant de prolonger cette dynamique. Ce qui compte, c’est que les Africains se soient retrouvés, aient échangé, pensé ensemble. Cette positivité-là existe déjà, et elle est précieuse. Je peux déjà prétendre que le bilan est largement positif au vu d’une affluence soutenue, une programmation variée et des débats riches autour du théâtre africain contemporain.
Pensez-vous avoir atteint l’objectif de rapprochement culturel que prône le festival ?
Oui, dans une large mesure. Nous avons réussi à rapprocher les peuples africains grâce à la présence d’équipes venues du Sénégal, de Guinée, de Côte d’Ivoire, de Tunisie, du Burkina Faso, de Mauritanie et d’Algérie. Cette diversité à l’intérieur du continent montre qu’une Afrique unie est possible. Nous devons en finir avec les divisions héritées et penser une Afrique qui dialogue, qui se comprend et reste solidaire des uns des autres.
Que représente pour vous cette pluralité de participations ?
C’est une richesse essentielle. L’Afrique est plurielle. Mais au-delà de nos différences, nous avons une unité historique à travers la colonisation, l’exploitation, l’esclavage et la spoliation de nos ressources. Cette mémoire commune doit nous pousser à la solidarité. La pièce ivoirienne sur Saartjie Baartman, la Vénus hottentote, l’a parfaitement illustré. Elle oblige à regarder en face une histoire douloureuse que l’Europe a longtemps travestie. Il faut faire admettre aux gens que c’était une histoire vraie mais que les Européens, au début du siècle, ont osé chosifier un être humain.
Cette année, le Fitb a accordé une place particulière au conte pour enfants. Quelle importance revêt cette initiative ?
Le festival ne doit pas se limiter aux troupes étrangères ou aux représentations en salle. Il doit animer toute la ville et pour le réussir, il faut surtout impliquer les enfants. Lorsqu’un enfant rentre à la maison, heureux d’avoir écouté une conteuse africaine, comme ce fut le cas de votre compatriote ivoirienne Rebecca Kompaoré, il fait déjà vivre le festival auprès de ses parents à qui il raconte cette belle expérience. Mais au-delà, il y a l’éducation des enfants qui est visée. À travers le conte, nous reconnectons la jeunesse à ses racines orales et culturelles, à cette parole vivante et éducative qui fut jadis l’école du soir dans nos villages.
Les autres activités n’ont également pas manqué d’attraits
En effet ! Nous avons organisé un colloque international sur les langues africaines, qui a rencontré un grand intérêt parmi les 45 000 étudiants que compte Béjaïa. Nous avons également sélectionné sept des meilleurs spectacles algériens de l’année pour le public local. Ainsi, de 7 à 75 ans, chacun a pu trouver sa place dans cette grande fête du théâtre.
Pourquoi le choix du thème : « Les langues populaires dans le théâtre africain » pour ce colloque ?
Parce que la langue est le nerf de l’identité. Elle porte la mémoire, les blessures et la beauté d’un peuple. Chaque langue africaine est une rivière nourrie de multiples influences. La langue dialectale algérienne, par exemple, se nourrit d’influences romaines, arabes, amazighes, turques, françaises... mais c’est le peuple qui a le génie d’en faire une force créatrice. En valorisant les langues populaires, nous valorisons les peuples eux-mêmes. C’est donc tout naturellement que nous avons initié ce dialogue des langues, qui bien que différentes portent la source et le souffle de l’Afrique
Que doit-on retenir de cette 14ᵉ édition ?
Un message simple : apprenons à nous connaître, à nous regarder les yeux dans les yeux, sans le prisme des autres. L’Afrique doit appartenir aux Africains. C’est une conviction profonde que cette édition a voulu faire résonner.
Des projections déjà pensées pour la 15ᵉ édition ?
Nous allons d’abord tirer les enseignements de celle-ci. Le défi reste le même : trouver les moyens financiers pour maintenir et développer le festival. L’idée d’une mutualisation entre les théâtres algériens fait son chemin. Si chaque théâtre participe à l’accueil des troupes, nous pourrons organiser des tournées nationales et alléger les coûts. La culture vit d’idées, mais elle a aussi besoin d’une économie solide. Ce qui manque souvent, ce n’est pas la créativité, mais la volonté politique.
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