Patrick se souvient encore de tous les détails. C'était le 15 juin dernier. Il était assis dans un bus qui roulait sur la route nationale 15, dans le centre du Mali. Tout d'un coup, le conducteur arrête son véhicule : des terroristes djihadistes lui bloquent la route.
"J'ai été kidnappé dans un bus de transport avec les autres passagers", raconte Patrick qui demande qu'on ne révèle pas sa véritable identité tant le sujet est sensible. "Malheur pour moi, j'ai été détenu parce que je suis un agent de santé."
Patrick a 30 ans et est infirmier dans une clinique privée. Pendant sa captivité, il a mis ses connaissances médicales au service des autres prisonniers.
Ses ravisseurs l'ont obligé à étudier le Coran et même à prier avec eux. S'il refusait, il était battu. Mais il a vu bien pire : "Souvent, si quelqu'un tentait de s'échapper, il n'y avait pas de pitié, on lui tirait dessus. J'ai même vu deux femmes abattues devant moi"
Le 15 août, soit deux mois exactement après son enlèvement, les djihadistes finissent par libérer Patrick : "Heureusement pour moi, j'ai été parmi ceux qu'ils voulaient libérer. Donc on nous a pris avec la moto, on nous a laissé juste au bord de la route. Ils nous ont dit de partir, ils nous ont dit que c'était la route qui nous mènerait jusqu'à chez nous."
Un peu plus tard, Patrick apprend qu'il doit sa libération à celle d'autres prisonniers djihadistes.
Des enlèvements qui passent inaperçus
En général, ce genre d'affaires ne rencontre pas beaucoup d'écho dans les médias occidentaux qui préfèrent se concentrer sur les cas de ressortissants de leur propre pays.
Ces derniers sont souvent libérés contre des sommes d'argent importantes. Pourtant, les enlèvements les plus fréquents concernent les populations locales, explique Flore Berger, politologue française : "On a remarqué que les enlèvements sont vraiment une des économies illicites qui déstabilisent le plus les communautés."
La chercheuse travaille notamment au sein de l'Initiative globale contre la criminalité internationale organisée, basée à Genève. Elle vient de publier une étude selon laquelle, cette année, une personne par jour aurait été enlevée au Mali et au Burkina Faso - 180 au total, lors des six premiers mois.
Une arme pour assoir son influence
S'il est arrivé que certains groupes rebelles ou les forces de sécurité étatiques recourent aussi à cette méthode, la plus grande partie des victimes est à mettre sur le compte des organisations djihadistes. Tout en haut de la liste, il y a le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans. Pour eux, les enlèvements sont avant tout un moyen d'intimidation, explique Flore Berger : "Donc, ça veut dire qu'un enlèvement par exemple va être fait pour intimider un leader local dans une localité où ils veulent s'implanter. Et par cette intimidation, ils vont parvenir à étendre leur influence sur un nouveau territoire. Donc ça participe vraiment, les enlèvements au Sahel, de leur stratégie d'expansion dans la région, beaucoup plus que le gain financier."
Parmi les cibles privilégiées des djihadistes, il y a par exemple les collaborateurs de programmes d'aide internationale. Ils sont souvent retenus pendant 24 heures avec une issue plus qu'incertaine : "Là où ça se passe moins bien," affirme la chercheuse "c'est lorsqu'il y a de très fortes suspicions, et là par exemple, si quelqu'un est enlevé et qu'ils font leurs investigations et se rendent compte que cette personne-là collaborait avec les autorités, elle va être tuée automatiquement."
Porteur d'uniforme
C'est ce qui est sans-doute arrivé à un proche ami d'Ousmane Guindo. Un jour, ils circulaient ensemble dans la région de Tombouctou lorsqu'ils ont été interpellés par des djihadistes. Ces derniers leur ont intimé l'ordre d'ouvrir leurs sacs et ont confisqué leurs téléphones : "mon ami dans son téléphone, il y avait une photo, il portait la tenue des militaires alors qu'il n'est pas militaire," se souvient Ousmane. "Donc du coup, par amusement seulement, ils ont kidnappé mon ami, ils l'ont emmené très loin. Ils ont dit que c'est un porteur d'uniforme."
Pour l'heure, aucun corps n'a encore été retrouvé, mais Ousmane Guindo et la famille de l'homme enlevé en sont convaincus : il a été assassiné. Et ce n'est malheureusement pas un cas isolé au Sahel.
Avec la collaboration de Jean-Marie Nagro
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