Depuis l’annonce
par le Burkina FASO, le Niger et notre pays de leur sortie de la CEDEAO, les
perspectives d’une négociation permettant de résoudre la crise semblent de plus
en plus réduites. La confirmation par les autorités des trois Etats de leur
intention irrévocable de retrait suit systématiquement toute annonce par les
responsables des autres pays pour une solution négociée. Le temps s’écoulant,
le moment fatidique du retrait conformément à l’article 91 du traité de
l’organisation approche à grands pas. Il est donc impératif de préparer au
mieux cette issue de séparation et d’envisager ses implications. C’est l’objet
de la présente contribution.
Il faut d’abord
et surtout noter qu’en cas de sortie de la CEDEAO, il sera évidemment
impossible d’engager des discussions bilatérales avec les pays membres de
l’organisation, ceux-ci feront bloc et engageront en bloc des discussions avec
les pays membres de l’AES en tant qu’entité. L’organisation régionale n’acceptera
pas que les pays de l’AES discutent avec ses pays membres individuellement.
Ceux-ci également d’ailleurs, autrement ce serait la fin de la CEDEAO ! Il
est de ce fait probable que les sortants discuteront plutôt avec l’organisation
pour le compte de ses membres afin que les termes convenus soient applicables à
l’ensemble.
Il faut donc se
préparer à discuter avec le bloc CEDEAO de tous les aspects liés aux futures
relations entre les pays membres de l’AES et les pays membres de la CEDEAO.
Les pays membres
de l’AES, individuellement, ou idéalement en groupe, devraient se préparer à
engager les négociations. Cet exercice sera significatif et profond car les
dossiers en question sont nombreux et complexes. Le Gouvernement du Mali a mis
en place une équipe de préparation de la sortie, mais à ce jour on ne sait pas
ce qu’elle a fait car elle ne communique pas.
Ces situations
créent de l’incertitude chez les populations qui seront évidemment impactées
par les changements majeurs que cela induira pour leurs pays respectifs.
C’est dans cette
optique qu’il est souhaitable que, plusieurs mois avant la sortie effective, les
Maliens sachent les nombreux domaines dans lesquels la CEDEAO impacte nos vies
et pour lesquels nous devons nous préparer afin d’en réduire les impacts suite
à notre retrait de l’organisation. L’analyse portera sur les aspects
institutionnels d’abord. Elle abordera les questions diplomatiques également.
Ensuite, tour à tour, elle traitera des aspects économiques, sectoriels,
financiers et monétaires. Enfin elle abordera les questions sociales.
En matière institutionnelle,
la CEDEAO repose sur des organismes qui utilisent les ressources de ses Etats
membres. Notre pays a des citoyens qui travaillent dans la Communauté, au niveau
de la Commission, dans les agences spécialisées, au sein des projets et
programmes portés par l’institution. Certains parlementaires du Mali siègent au
parlement de l’organisation, des juges maliens siègent au sein de la Cour de
justice de la CEDEAO. Le personnel à la Banque de la communauté (BIDC) comporte
des citoyens Maliens. Tous ces concitoyens seront appelés à libérer leurs
postes car ils les occupent du fait de l’appartenance de notre pays à la Communauté.
Ce sont ainsi plusieurs dizaines de nos compatriotes qui se retrouveront sans
emploi et qu’il faut penser aider à trouver des destinations professionnelles pendant
les mois à venir. Dans la même veine, nos compatriotes qui seront en position
de solliciter des emplois, mandats et autres responsabilités au niveau
international, ne pourront plus compter sur la solidarité ouest africaine.
Les deux
organisations devenant concurrentes, il est plausible que les pays restant au
sein de la CEDEAO présentent des candidats pour les mêmes postes, ce qui
défavorisera sans doute le Mali, le Burkina et le Niger car au niveau
international, la CEDEAO a la faveur des acteurs en tant que structure
représentative de l’Afrique de l’Ouest. Il faudra tenir compte de cela
également.
L’organisation
commune qu’est la CEDEAO porte de nombreuses initiatives avec des actions qui
sont visibles dans chacune de nos pays. Par exemple, dans le cadre de la lutte
contre le blanchiment d’argent, il y a l’organisme GIABA. Le Mali à travers la
cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) assure
d’ailleurs la présidence tournante du forum des cellules techniques de cette
organisation pour deux ans. Le mandat nous a été confié en 2024. En se retirant
de la CEDEAO, devrions nous sortir de cette initiative ? Si oui, nous
devrions penser à mettre en place un dispositif alternatif aussi solide. Sinon le
pays marquerait un grand recul en termes de validation de son système de lutte
contre le blanchiment d’argent et verrait sans doute dégradée sa crédibilité
dans ce domaine.
La CEDEAO porte
d’autres initiatives en matière de sécurité, de lutte contre les trafics, etc. Pour
chacune d’entre elles, nous aurons à nous poser les mêmes questions et à
trouver les formules adéquates pour faire face à notre retrait éventuel de
celles-ci.
En matière diplomatique,
le retrait de la CEDEAO isolerait, au moins dans un premier temps, nos pays de
l’AES sur la scène africaine d’abord et ensuite sur la scène internationale.
L’Union Africaine nous a demandé de reconsidérer notre posture car elle ne
souhaite évidemment pas être spectatrice d’une Afrique de l’Ouest fracturée en
son sein. Et si cela devait arriver, il est évident que la CEDEAO serait
davantage habilitée à représenter notre région que l’AES. L’organisation
manquera d’appui institutionnel et diplomatique, ses pays membres également. Les
causes que nous serons amenés à porter à l’échelle africaine en subiraient des
conséquences. Le soutien de la CEDEAO ou de ses pays membres pour notre cause,
sur le plan africain et sur le plan international, sera compliqué à obtenir.
Les pays de
l’AES qui vivent tous des régimes d’exception sont suspendus de l’UA
conformément à ses règles. S’ils ne devaient pas avoir de soutien d’autres pays
de la région, leur position à l’échelle continentale en serait fragilisée. Sur
la scène internationale, les mêmes causes risquent de produire les mêmes
effets. S’agissant de pays sous régime d’exception, il leur sera difficile d’obtenir
des soutiens globaux d’organisations à l’échelle internationale. Nous serons contraints
de chercher des soutiens de pays individuellement pris, sur le continent et
ailleurs. Les efforts diplomatiques soutenus que cela nécessitera, doivent être
anticipés et, peut-être, engagés d’ores et déjà.
En matière
économique et sectorielle, la CEDEAO est présente dans nos quotidiens et ce, à
plusieurs titres.
Dans le domaine
de l’agriculture, l’agence de la communauté (ARAA) initie et conduit de
nombreux projets et programmes dans nos pays. En matière de recherche agricole
par exemple, elle est devenue un interlocuteur crucial et lève des capitaux
importants. Le retrait de nos pays de la
CEDEAO priverait les membres de l’AES du bénéfice de ces actions. Nous devons en
mesurer les impacts et trouver les
alternatives crédibles et durables pour ce secteur.
En matière de Santé,
l’OAAS est l’organisme de la CEDEAO engagé pour accompagner ses états membres.
Les projets et programmes de cette agence dans nos pays ainsi que les
initiatives de recherche qu’il mène doivent être analysés pour conduire des
actions permettant de limiter l’impact du retrait de la CEDEAO et ses
conséquences au sein de l’AES.
Sur le plan de
l’éducation, les initiatives engagées au niveau communautaire, les questions
spécifiques d’homologation des diplômes doivent aussi faire l’objet d’analyses
pour mesurer les impacts présents et futurs et les prendre en compte dans la
conduite de nos politiques dans ces domaines.
Les questions
d’infrastructures sont traitées par la CEDEAO avec l’unité de préparation et de
développement des projets d’infrastructures (UPDPD). Il en est de même en
matière d’énergie avec le système d’échange d’énergies entre les pays d’Afrique
de l’Ouest (EEEOA) et les actions vers l’interconnexion des pays sous l’égide
d’une autorité de régulation du secteur (AREC). Les interconnexions avec nos
voisins sont inscrites dans ce domaine et joueront un rôle majeur dans
l’intégration économique en Afrique de l’Ouest. Faut-il abandonner ces
projets ? Nos autorités doivent se prononcer clairement sur ces questions
et les partager avec les Maliens.
Le centre pour
les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique (CEREEC) de la CEDEAO
est mis en place pour traiter de ces questions stratégiques. Les questions de
sport ou encore celles du genre sont prises en charge par des projets et des
structures. C’est le cas du centre pour le développement des questions de genre
(CCDG) et du centre de développement de la jeunesse et du sport (CDJSC). Dans
chacun de ces domaines, nous devons nous prononcer sur ce qu’il y a lieu de
faire après le retrait de la CEDEAO. Ces questions ne doivent pas être minimisées.
Sur les
questions climatiques, de sécurité alimentaire, de lutte contre la sècheresse,
de travail sur la fertilité des sols, les projets et programmes du CILSS
soutenus par la CEDEAO sont profondément impactants dans nos pays. Par exemple,
le plus grand projet traitant du pastoralisme encours au Mali (PRAPS) est un
projet régional du CILSS financé par des partenaires extérieurs qui utilisent
de plus en plus la CEDEAO comme point d’entrée en Afrique de l’Ouest. Il en de
même du plus important projet d’irrigation (PARIS). La sortie de la CEDEAO aura
un impact sur la gestion et les opérations de ces projets. Avons-nous évalué
cela de manière précise ? Quelles alternatives mettre en place en cas
d’arrêt des projets ?
En ce qui
concerne les questions financières et monétaires, il faudra une combinaison
d’actions significatives pour limiter leurs impacts sur la situation de nos
pays. La Banque de la CEDEAO (BIDC) intervient au Mali et finance dix-neuf (19)
projets. L’envergure de ses financements est limitée (environ 165 milliards de
FCFA pour les trois pays de l’AES) si l’on compare avec celle de la Banque de
l’UEMOA (BOAD) mais ses actions sont réelles. Si la sortie n’aura que peu
d’impact sur le portefeuille engagé, il conviendra toutefois d’envisager des
discussions pour que les sommes non encore décaissées ne soient pas annulées.
Il faudra obtenir de la Banque de mener à terme l’ensemble des protocoles déjà
signés. Pour les projets en cours dont les contrats ne sont pas signés, nous
pouvons toujours tenter de les conclure même si les chances de succès de
pareilles initiatives seront forcément limitées.
Avec la
perspective de la monnaie unique de la CEDEAO (l’ECO) qui actera la fin du Franc
CFA, les pays de l’AES seront dans l’obligation de battre leur propre monnaie
vu qu’ils seront en dehors de la CEDEAO. La CEDEAO a créé l’agence monétaire
ouest africaine AMAO et l’institut monétaire d’Afrique de l’Ouest IMAO dans
cette perspective qui est planifiée pour 2027. Il faut que le Mali et les
autres pays de l’AES s’organisent pour mettre en place leur système monétaire
au plus tard dans le même horizon. Ce qui nécessite que dès maintenant des
actions de préparation soient engagées.
Dans la même
veine, il faut évidemment anticiper la fin des opérations avec la BOAD dont les
engagements au Mali sont significatifs (par exemple, 40 milliards de F CFA
engagés l’année dernière pour aider la société EDM).
Il faudrait discuter
avec la banque le plus rapidement possible pour obtenir la continuation de tous
les projets en cours, et, si possible, l’engagement des nouvelles initiatives.
Et si la collaboration devait s’arrêter, il faut d’ores et déjà trouver des
alternatives au financement de certaines de nos stratégies sectorielles que la
BOAD avait coutume de soutenir ces dernières décennies notamment ce qui
concerne les infrastructures routières.
Avec une grande
urgence, nos autorités financières doivent trouver une alternative au système
financier de l’UEMOA qui est devenu ces dernières années la quasi unique source
de financement de nos déficits et de nos besoins de trésorerie. Aujourd’hui si
ce marché n’existait pas, le Mali, le Burkina et le Niger seraient en cessation
de paiement ! Avec l’abandon de l’ECO et du FCFA, nous devrons établir un
système financier différent, mettre en place un marché financier diffèrent pour
financer les besoins des Etats qui seront tous en quête de ressources. Il faut
impérativement préparer ces perspectives et éviter d’être pris de court. Car en
matière financière, être pris de court est souvent synonyme de crise économique
et sans doute de crise sociale et politique !
Le dispositif
fiscal de la CEDEAO repose sur le tarif extérieur commun (TEC) un dispositif
harmonisé de dédouanement des biens entrant dans l’espace. Pour ce faire le
transit est également organisé (système TIE et TRIE). L’objectif est de
fluidifier le trafic de marchandises en transit dans les pays portuaires vers
les pays comme le Mali. Cependant, le système intégré régional tarde à se
concrétiser, l’essentiel des opérations reste entre les mains des Etats qui
gèrent ainsi les opérations commerciales de manière bilatérale, y compris avec
l’entrée en vigueur du système intégré de gestion des marchandises en transit
(SIGMAT). Cela fera que la sortie de la CEDEAO n’impactera pas
significativement ce secteur. Les services de douane continueront à collaborer
avec leurs homologues des pays tiers selon les règles internationales du
domaine (règles de l’organisation mondiale des douanes OMD et de l’organisation
mondiale du commerce OMC). Il faut également ajouter que le faible niveau
d’intégration économique entre nos pays allège les contraintes de la séparation.
Nous devons simplement nous assurer, y compris avec la CEDEAO, de la stabilité
de ces règles pour que nos relations commerciales avec les pays voisins ne
subissent pas d’impact du fait de la sortie du Mali de l’organisation
communautaire.
Dans le domaine
social, la sortie des pays de l’AES de la CEDEAO aura des conséquences qu’il
est difficile d’appréhender mais qui seront significatives notamment pour le
Burkina Faso et le Mali. C’est dans ce domaine que la CEDEAO a connu ses
avancées le plus significatives. Il va sans dire que c’est là où sans doute la séparation
sera la plus douloureuse. Nous sommes dans un espace où la libre circulation
est une réalité depuis 1986 et où le libre établissement est en voie d’être
réalisé. Après la sortie du Mali, quelles règles régiront la circulation des Maliens
dans les pays de la CEDEAO et la vie de ceux de nos compatriotes qui vivent
dans ces pays ? Avec tous les pays de la CEDEAO, le Mali est déficitaire en
termes de présence de ressortissants chez autrui. Nous avons toujours plus de Maliens chez les
autres que ceux-ci chez nous. Cela semble être le cas du Burkina, peut-être pas
du Niger dont les ressortissants ne migrent pas autant que les autres. Cela
nous amènera à aborder les discussions en position de demande et donc de
faiblesse. Il faut nous y préparer et engager les négociations : quels
statuts pour nos compatriotes ? Pourront-ils séjourner librement ? Pourront-ils
s’établir librement ? Devront-ils acquérir des visas, cartes de séjour…?
Quels coûts pour ces éventuelles procédures ? Avec quelles incidences sur
le portefeuille de nos compatriotes ? Les discussions avec la CEDEAO et,
peut-être dans certains cas de manière bilatérale, éclairciront ces points.
L’utilisation du
passeport CEDEAO fait partie du quotidien d’un grand nombre de nos
compatriotes et crédibilise ce document de voyage aux yeux du monde. Il fait de
nous des citoyens d’Afrique de l’Ouest bénéficiant des mêmes avantages donnés
aux ressortissants de tous les autres pays.
La sortie de nos
trois pays de l’espace CEDEAO nous conduira à retourner soit aux passeports
nationaux soit à un passeport AES. Il faudra s’employer auprès des pays tiers pour
les convaincre de la sécurité et de la crédibilité de ce nouveau dispositif.
Les autorités,
pour chacun de ces domaines, doivent avoir un plan clair permettant de gérer la
transition et réduire autant que faire se peut les impacts sur les citoyens, déjà
éprouvés par le contexte actuel. Plus que tout, elles doivent communiquer,
présenter les négociations avec la CEDEAO au titre de la sortie, les progrès de
chaque étape de ces négociations, les résultats et leurs impacts à court,
moyen et long termes sur les Maliens. Elles doivent faire preuve de
transparence sur chaque accord conclu avec son contenu et amener ainsi
progressivement l’ensemble national à les accompagner dans la gestion de leur
décision de sortie de la CEDEAO.
Moussa
MARA
www.moussamara.com
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