Alors que les violences sont redevenues quotidiennes depuis plus d’un mois dans plusieurs villes du pays, environ 2 000 musulmans sont retranchés dans le petit séminaire de l’évêché de Bangassou, au sud-est. Autour d’eux, des miliciens anti-balaka – chrétiens – tentent de les tuer.
Poings, gourdins, planches… Les coups pleuvent sur l’adolescent affolé. Là, à quelques mètres de la cathédrale de Bangassou, pendant la messe. À l’intérieur de l’élégante église en briques rouges, l’assemblée achève de réciter, d’une seule voix, le Notre Père. La tempête d’un côté, le recueillement de l’autre. Une légère inquiétude gagne l’assemblée. Parmi les fidèles, certains ont compris, comme sœur Juliette, une franciscaine de Montpellier. Elle se précipite à l’extérieur.
Devant elle, de jeunes musulmans accourent participer à la curée. Ils ont reconnu dans la victime l’un de ceux qui les harcèlent jour et nuit. Des paroissiens plongent avec courage dans la mêlée. Les coups redoublent. Certains s’interposent comme cette jeune musulmane qui arrache le couteau des mains de son frère. Sœur Juliette lève les bras au ciel, tente de trouver une solution, s’approche du tourbillon, crie d’une voix faible qu’il faut arrêter cette horreur.
Soudain, deux hommes réussissent à arracher l’adolescent, le traînent vers la cathédrale. Un enfant a encore le temps d’écraser une pierre sur le crâne du garçon. Les voici à l’intérieur, à l’abri. Ils filent par une porte dérobée. « C’est insensé », s’exclame sœur Juliette avant de prendre place dans la file qui va communier.
Bangassou, une ville prise par les anti-balaka depuis le 13 mai
À la fin de la célébration, la plupart des fidèles ne s’attardent pas. Une minorité lance des insultes vers le site des musulmans, à trois cents mètres. « Après ce qu’on a fait pour vous, c’est comme ça que vous nous remerciez ! », s’emporte une religieuse qui ne supporte plus de vivre dans ce climat de violence permanente. Un homme crie : « Il n’y a rien à faire avec vous ! »
Trois soldats marocains du contingent de la Minusca, la mission de l’ONU en Centrafrique, s’approchent pour apaiser les esprits. Mais la population n’aime pas ces hommes. Elle les accuse d’incompétence et de connivence avec les musulmans. Tout le monde s’attend à une réaction des anti-balaka. La ville appartient à ces milices chrétiennes depuis le 13 mai, date à laquelle elles se sont emparées de Bangassou en chassant les musulmans.
Ces derniers, réfugiés à la mosquée centrale, ont été exfiltrés le 16 mai par les forces spéciales portugaises et conduits vers le Petit séminaire Saint-Louis, à l’évêché : un réduit encerclé de miliciens, les « auto-défense », nouveau nom des anti-balaka (AB). On y trouve des scouts, un ancien séminariste, des voyous, de jeunes désœuvrés, des ruraux…
Impossible pour les musulmans de se rendre à l’hôpital
Ces groupes sont soupçonnés d’être téléguidés, financés et armés par des proches de l’ancien président François Bozizé. Sur les sept gangs qui se partagent la ville, les trois plus féroces sont commandés par un ancien « Faca », l’armée du temps de Bozizé. Jour et nuit, les musulmans sont exposés aux attaques de ces hommes sanguinaires. S’ils franchissent l’enceinte du petit séminaire, les « AB » les assassinent.
Mi-juin, quelques déplacés ont tenté de rejoindre Bangui à bord de camions convoyés par le contingent mauritanien de la Minusca. Las, l’un des véhicules est tombé en panne à la sortie de la ville. Las, les casques bleus mauritaniens ont poursuivi leur route sans lui. Las, les anti-balaka sont arrivés, ont reconnu l’un d’eux, l’ont aussitôt tué, découpé, avant d’exhiber dans la ville les membres du malheureux. Deux autres ont su se faufiler dans les herbes pour frapper à la porte des sœurs de Montpellier. Sœur Juliette s’est débrouillée pour les reconduire, sains et saufs, à l’évêché.
Toutes les nuits, des rôdeurs ouvrent le feu, et les armes se répondent d’un quartier à l’autre. Sous les bâches du HCR, les déplacés comptent les coups et attendent, fatalistes, la fin des tirs. Mieux vaut pour eux ne pas avoir besoin d’être hospitalisés. Les AB s’y opposent. Impossible de traverser la ville en déjouant leur surveillance. Même les humanitaires ne prennent pas ce risque depuis que deux rescapées de l’attaque de la mosquée, deux musulmanes, ont été exécutées à l’hôpital central. Aujourd’hui, les seuls blessés par balles opérés et soignés dans ce dispensaire sont des AB et des non-musulmans.
« Le feu grondait depuis des mois »
Il est révolu le temps où chrétiens, musulmans et animistes vivaient en bonne intelligence à Bangassou. Pourtant, depuis la crise centrafricaine de 2013, ils avaient su résister à la passion identitaire. Mais la belle vitrine du vivre ensemble centrafricain a volé en éclats. « Le feu grondait depuis des mois », explique Mgr Aguirre, l’évêque – de nationalité espagnole – de Bangassou, sous la protection duquel ces musulmans se sont rangés. 65 ans et trois infarctus, déjà.
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