Il est arrivé troisième à la présidentielle de 2016 au Bénin, mais il est poursuivi pour trafic de drogue à la suite de la découverte de 18 kg de cocaïne pure dans un conteneur destiné à l’une de ses sociétés... Pour la première fois depuis longtemps, Sébastien Ajavon s’exprime. L’homme d’affaires est convoqué ce matin à Porto Novo par la justice béninoise. Va-t-il se présenter à l’audience ? Quelques heures avant cette audience, il a répondu aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Est-ce que vous allez répondre ce jeudi matin à la convocation à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) ?
Sébastien Ajavon : Je vous remercie de m’avoir donné cette opportunité pour expliquer au peuple béninois et à la communauté internationale les raisons pour lesquelles je ne me rendrai pas en personne à l’audience de la Criet du jeudi 18.
Pour quelles raisons ?
Je suis totalement innocent des faits qui me sont reprochés dans le cadre de l’affaire d’une prétendue saisie de 18 kg de cocaïne, puisqu’il semble que ce soit pour ces faits que je suis à nouveau renvoyé devant la justice. Il s’agit d’un coup monté. Les scellés du conteneur ont été brisés et remplacés à l’insu de la société Comon SA avant la prétendue découverte de cocaïne. La société Comon SA, pour laquelle j’étais le dirigeant, n’a eu aucune maitrise du conteneur. Je n’ai eu aucun accès aux paquets saisis ni aux analyses pratiquées. Nous avons les preuves, les huissiers sont allés, les numéros de scellés ne correspondaient pas du tout aux scellés qu’ils ont utilisés après pour refermer le conteneur. Et cela, ça a été prouvé, ça a été filmé. Donc c’est comme ça que nous avons été relaxés par le tribunal. En plus, j’ai donc logiquement été mis hors de cause, et moi et mes collaborateurs, par le tribunal le 4 novembre 2016. A la suite de cette décision, j’ai voulu faire la lumière sur l’origine des accusations dont j’ai été victime. Mais cela m’a été refusé par le gouvernement et le parti. Alors je constate que plus le soutien du peuple béninois en ma faveur grandit, plus les accusations et procédures se multiplient et s’aggravent à mon encontre.
Vous dites que c’est « un coup monté ». Mais est-ce que vous niez que la gendarmerie maritime, le 28 octobre 2016, a saisi sur le port de Cotonou 18 kilos de cocaïne pure dans un conteneur en provenance du Brésil et à destination de votre société Comon SA ?
Je n’ai jamais vu la marchandise dont il est question. La société Common ne l’a jamais vue puisque les scellés des conteneurs ont été brisés en l’absence de tout membre de la société. Puis on a été au tribunal, on a été présentés après une garde à vue de huit jours et le tribunal nous a relaxés. Il n’y a pas eu d’appel puisque nous avons les attestations de non-appel. De plus, pour nous, c’est le moment de rechercher ceux qui ont mis cette poudre-là. On ne sait pas si c’est de la poudre, on ne sait pas ce que c’est. Ceux qui l’ont mise dans ce conteneur, il faudrait qu’on puisse rechercher ces personnes-là.
Quand vous dites que les scellés ont été brisés en l’absence de tout membre de votre société, voulez-vous dire que la gendarmerie maritime a été complice d’une machination ?
Bien sûr. Puisque, après notre relaxe, et après l’absence d’appel, nous avions demandé au tribunal : qui a brisé les scellés ? Qui a mis le produit dedans ? Mais le gouvernement a bloqué la procédure.
Vous dites que vous avez déjà été jugé, mais le ministre béninois de la Justice réplique qu’à partir du moment où le ministère public a fait appel, le dossier n’est pas clos…
Il répondra un jour de ce qu’il a dit. Aujourd’hui, il est ministre de la Justice, mais il est un citoyen ordinaire qui sera jugé pour ses propos. Nous, nous avons les attestations de non-appel. Ça veut dire qu’il n’y a jamais eu d’appel à l’endroit où on devait faire l’appel. S’ils sortent un autre appel maintenant, vous comprenez comment la justice est en train de se passer au Bénin maintenant. Et puis, si on dit que c’est le parquet général qui fait un appel, il faut bien que le parquet puisse enrôler. Ils ont mis deux ans, presque deux ans, et ils ne l’ont jamais enrôlé.
Vous ne reconnaissez pas à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) la compétence pour vous juger en appel. Mais le président de cette Cour, Cyriaque Dossa, affirme que la loi portant création de la Criet stipule que les dossiers en cours, relatifs notamment à la drogue, doivent lui être transmis ?
Mais c’est une cour d’exception ! Une cour d’exception au Bénin, ça veut dire que nous n’avons plus de démocratie, on ne peut pas aller se présenter devant une cour d’exception qui est aux ordres, ce n’est pas possible.
Donc pour vous, c’est une machination politique ?
C’est vraiment une machination politique.
Mais en même temps, à l’époque en octobre 2016, vous n’étiez pas encore dans l’opposition puisque six mois plus tôt, vous étiez arrivé troisième au premier tour de la présidentielle et qu’au deuxième tour, vous aviez appelé à voter pour le futur vainqueur Patrice Talon ?
Exact. Vous savez comment cela se passe dans les pays africains. Si on devait parler de voix non validées, j’étais bien en avance sur les deux candidats qui étaient là [Lionel Zinsou, Patrice Talon]. Mais j’ai accepté, j’ai accompagné le président Patrice Talon pour aider ma nation. Mais puisque la Cour constitutionnelle avait décidé de me mettre en troisième position avec 23% pendant qu’on donnait 24% à monsieur Talon, il fallait que je puisse aller d’un côté. Et j’ai choisi d’aller du côté de Talon parce que je ne le connaissais pas assez, je ne savais pas qu’il pouvait se permettre de faire ce qu’il est en train de faire aujourd’hui. Entre eux maux, il fallait choisir le moindre. C’est ce que j’ai fait, mais je me suis trompé, peut-être parce qu’aucun des deux ne m’avait devancé.
Vous regrettez d’avoir appelé à voter Patrice Talon ?
J’aurais voulu être moi-même le président et on aurait vu en deux ans et demi déjà, ce que j’aurais pu faire pour ce pays.
Simplement, si vous étiez un allié politique du nouveau président, pourquoi auriez-vous été la victime d’une machination politique ?
Eux, ils savaient bien que j’étais en avance, donc j’étais la personne à abattre. J’étais beaucoup plus populaire que tous les deux. Donc il fallait éliminer Sébastien Ajavon parce que c’est celui-là qui pouvait faire mieux que tous les candidats, qu’il pouvait avoir en face. Donc il fallait l’éliminer et même essayer de le liquider physiquement. A partir de ce moment, ils ont commencé par embrigader, par embastiller la justice parce que ce qui faisait que j’étais resté à Cotonou jusqu’à ces derniers jours avant de faire mon voyage, c’est qu’ils n’arrivaient pas à embastiller la justice. Mais aujourd’hui, le Conseil supérieur de la magistrature est sous la tutelle du chef de l’Etat, du gouvernement. Le chef de l’Etat est dedans, son ministre de la Justice est dedans, son ministre des Finances est dedans, son ministre du Travail est dedans. Et il nomme encore d’autres membres dedans pour phagocyter les magistrats. Cela veut dire que le gouvernement est majoritaire dans un Conseil supérieur de la magistrature.
Le directeur de Communication de la présidence dit que ce n’est pas parce que vous avez décidé d’entrer en politique qu’il faut trouver de l’acharnement à la moindre action contre votre personne, même la plus objective…
Vous avez bien entendu ce directeur de la Communication qui dit qu’il n’y avait pas d’attestation de non-appel et que c’était un faux. Et ça aussi, il répondra un jour de cela. On n’est pas dans un Etat d’exception pour avoir une cour d’exception. Les juges aujourd’hui ont peur de prendre une décision. Quand vous avez un problème avec le gouvernement, les juges disent : on ne veut pas prendre au risque d’être radiés. Nous en sommes là aujourd’hui.
Simplement, est-ce que le fait d’être un homme politique et d’être arrivé troisième en 2016 vous dispense de toute enquête judiciaire ?
Pas du tout puisque nous nous étions présentés devant plusieurs tribunaux, déjà devant plusieurs juges pour des affaires montées. A partir du moment où nous savons que la justice est libre, nous ne craignons rien. Mais aujourd’hui, nous sommes face à une justice qui est embastillée. Le Conseil supérieur de la magistrature, qui est un organe de discipline pour les juges, est dirigé par le chef de l’Etat.
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