Une vingtaine de personnes ont été tuées le 6 août près de la commune de Bittou, dans la région du Centre-Est, au Burkina Faso, selon les autorités locales qui ont qualifié cette attaque de "terroriste". Des véhicules ont également été incendiés. Un Ivoirien, qui a perdu un ami dans cette attaque, et un Burkinabè, qui voyage régulièrement dans la zone, témoignent.
Selon des sources sécuritaires, l’attaque a fait au moins 22 morts et plusieurs blessés. Une dizaine de véhicules ont également été incendiés avec leurs marchandises. Parmi les victimes figurent des commerçants qui revenaient du marché de Cinkansé, situé à la frontière avec le Togo. Les autorités ont indiqué que les corps avaient été déposés à la morgue du centre hospitalier régional de Tenkodogo, à une soixantaine de kilomètres de Bittou.
"Je n’ai pas réussi à croire que mon ami avait été tué, jusqu’au moment où je l’ai vu sur une photo"
Seydou (pseudonyme), un Ivoirien vivant à Abidjan, a alerté notre rédaction au sujet de cette attaque, car l’un de ses amis – que nous appellerons Franck – figure parmi les personnes tuées.
Franck vivait aussi à Abidjan, mais il était originaire du centre de la Côte d’Ivoire. C’est un ami en commun qui m’a dit qu’il avait été tué, mais je n’ai pas réussi à le croire jusqu’au moment où je l’ai vu allongé sur la route, sur une photo.
Cet ami m’a aussi transféré une vidéo prise par l’une de ses connaissances, peu après l’attaque. Je pense qu’ils ont été attaqués par des terroristes – même si j’ignore pourquoi – car si ça avait été des bandits, les véhicules n’auraient pas été brûlés.
Seydou explique pourquoi Franck se trouvait sur cette route du Burkina Faso :
Franck allait au Togo ou au Bénin en bus, pour acheter des véhicules ayant plus de cinq ans, puis il les ramenait en Côte d’Ivoire pour les revendre. Il se consacrait à ce business depuis des années, car c’était très rentable. Par exemple, un véhicule de 2015 peut être acheté à 6-7 millions de francs CFA [soit 9 100-10 600 euros, NDLR] à Lomé, puis revendu le double à Abidjan.
Avant, ce business était légal, puis il a été interdit. [En 2018, les importations des voitures de tourisme de plus de cinq ans sont devenues interdites pour réduire la pollution et les accidents de la route, NDLR.] Donc il a fallu emprunter des itinéraires "corrompus", pour éviter que les véhicules ne soient saisis avant leur arrivée à Abidjan. Au début, Franck passait par le Ghana pour revenir en Côte d’Ivoire, mais les contrôles douaniers sont devenus plus stricts entre les deux pays, il y a deux ans environ. Donc il s’est mis à passer par le Burkina Faso pour entrer en Côte d’Ivoire par le nord, car il est plus facile de franchir cette frontière si on connaît un douanier, un policier ou un gendarme corrompu à cette frontière.
Moi-même, je suis un peu dans ce business, mais je me contente de revendre des véhicules à Abidjan, sans aller les chercher à l’étranger. Pour moi, il est dangereux de passer par le Burkina Faso. En juin, l’un de mes amis a envoyé quelqu’un chercher un véhicule au Bénin, pour le ramener ici, et il a reçu des balles sur son véhicule sur la route au Burkina Faso. Heureusement, il a accéléré et s’en est sorti.
"C’est la première fois que j’entends parler d’une attaque ciblant des gens sur cette route"
Souleymane (pseudonyme) est un Burkinabè qui voyage régulièrement entre les villes de Cinkansé, Bittou et Ouagadougou pour des raisons professionnelles, depuis plusieurs années. Il se trouvait à Bittou avec des collègues lors de l’attaque du 6 août.
À un moment, l’un d’eux est allé se soulager et il a vu qu’il y avait du mouvement en ville : les gens se dispersaient, rentraient chez eux… Donc on s’est enfermés dans une maison, mais on n’a rien entendu. Le lendemain, je devais aller à Koupéla [une ville à 110 km au nord de Bittou, NDLR] : j’avais peur, et c’est à ce moment-là que j’ai appris qu’il y avait eu une attaque la veille. C’est la première fois que j’entends parler d’une attaque ciblant des gens sur la route entre Cinkansé et Bittou. C’est un axe qui est très emprunté, par tout le monde.
"Il y a 5-6 mois, à chaque fois que je prenais la route, j’avais la peur au ventre"
Malgré cette dernière attaque, j’ai l’impression que la situation était encore pire avant dans la zone de Bittou. Il y a 5-6 mois, à chaque fois que je prenais la route, j’avais la peur au ventre, car j’avais des échos selon lesquels des hommes armés non identifiés barraient la route entre Cinkansé et Tenkodogo, même si je ne les ai jamais vus. Il arrivait que je limite mes déplacements en raison de cela. Mais là, on n’entend plus parler de ces hommes armés. Visiblement, il y a un travail de lutte contre l’insécurité qui a été fait.
Ici, on évite de parler avec des inconnus. Par exemple, on évite de parler de la dernière attaque avec les gens qu’on ne connait pas, car on ne sait pas qui est qui, qui appartient à un groupe armé…
Depuis le début de l’année, trois attaques se sont produites dans la région du Centre-Est, dans la province du Koulpélogo : à la mi-mai, deux d’entre elles ont fait une vingtaine de morts, dont des femmes et des enfants. Et fin avril, six personnes, dont cinq enseignants, ont également été tuées par des hommes armés.
Depuis 2015, le Burkina Faso – qui a connu deux coups d'État militaires en 2022 – est pris dans une spirale de violences perpétrées par des groupes jihadistes affiliés au groupe État islamique et à Al-Qaïda, qui ne cessent d’augmenter. Elles ont déjà fait plus de 10 000 morts – civils et militaires – selon des ONG, et plus de deux millions de déplacés internes. Pour faire face à ces violences, en mars, le gouvernement a mis en place un état d’urgence dans huit des 13 régions du pays. La mesure a été prolongée en mai pour six mois.
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