On en redemande. Pour la première édition de sa nouvelle tribune, « Le patronat face à la presse », le président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), M. Jean-Marie Ackah a abordé pratiquement tous les grands sujets touchant à la vie des entreprises et à l’actualité économique du pays devant une soixante de journalistes de la presse nationale et internationale visiblement heureux de ces deux heures d’échanges francs, sincères, et sans filtre.
Ordonné autour de trois points, à savoir le choc de la Covid et la situation post-Covid, l’environnement économique actuel et les propositions du patronat pour trouver des solutions adaptées aux difficultés qui empêchent encore le secteur privé national de jouer pleinement son rôle de locomotive de la transformation structurelle de l’économie, le propos introductif du président Ackah a planté le décor d’une conférence de presse sans langue de bois.
Evoquant l’environnement économique actuel marqué à la fois par la poursuite de la pandémie de Covid-19 quoique à des niveaux moindres, et les effets de la guerre en Ukraine, fortement préjudiciables aux entreprises, le président du patronat a recommandé une répartition plus équitable des efforts consentis par l’Etat pour préserver le pouvoir d’achat face à l’inflation, afin que tous les agents économiques, y compris les entreprises dont certaines ont vu les prix de vente de leurs produits plafonnés, s’y retrouvent.
« Tout en saluant les mesures récemment décidées par le gouvernement en faveur des fonctionnaires pour faire face au renchérissement du coût de la vie, je voudrais ici réitérer ma demande aux plus hautes autorités du pays, pour une répartition plus équitable des efforts entre tous les acteurs économiques de notre pays. Un arbitrage rigoureux et efficient doit être fait entre les mesures destinées à soutenir le pouvoir d’achat des citoyens et celles nécessaires pour soutenir le secteur productif, de sorte à ne pas pénaliser les entreprises, principales créatrices de richesses et d’emplois ».
La nouvelle crise, la guerre en Ukraine débutée en février 2022, a notamment accéléré l’augmentation des cours des matières premières déjà observée, spécifiquement pour les prix de l’énergie, des engrais, et des céréales en raison du poids des deux belligérants dans le commerce mondial de ces produits. « Une telle exposition a nécessairement des conséquences sur la capacité des entreprises à produire, recruter, investir, et même maintenir leurs activités sur le moyen et long terme. »
L’environnement économique actuel, peu propice à l’essor du secteur privé, ne doit pas être vécu comme une fatalité a notamment relevé M. Ackah. « Nous devons être capables de transformer ces défis en opportunités et ainsi, accélérer la transformation de notre économie. Mais, pour ce faire, un soutien plus important de l’Etat aux entreprises est nécessaire », a-t-il souligné.
Les entreprises ivoiriennes et la CGECI à leurs côtés, se sont résolument engagées dans la transformation structurelle de notre économie et elles ont besoin d’être accompagnées, a poursuivi le conférencier. Elles doivent pouvoir évoluer dans un environnement des affaires plus propice, avec des infrastructures et des instituts de recherche de qualité. Elles ont également besoin d’un climat politique, social et sécuritaire apaisé, d’un système judicaire crédible et d’une administration qui fait de la culture de la redevabilité et du résultat son leitmotiv. Les efforts menés par l’Etat dans ces différents domaines méritent d’être salués, mais il nous faut aller plus loin, a recommandé le président de la Confédération.
« S’il est vrai que notre pays a réalisé des réformes et des progrès significatifs depuis 2012, force est de constater que de nombreuses pesanteurs freinent encore le développement harmonieux du secteur privé en général et de nos PME en particulier. Il s’agit notamment, de l’environnement fiscal, parafiscal et réglementaire encore trop contraignant pour les entreprises formelles, des lenteurs et de la complexité de certaines procédures administratives, de la multiplicité des licences d’affaires pour ne citer que ces exemples ».
Or, insiste le président, avec les mutations économiques et géopolitiques qui s’accélèrent, et la Zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf) qui s’opérationnalise progressivement, la Côte d’Ivoire doit se donner les moyens de disposer de PME et de grandes entreprises innovantes et conquérantes.
Pour y arriver, et pour atténuer les effets sur notre pays des chocs exogènes que nous subissons actuellement, il est indispensable que la question des conditions nécessaires à l’accélération d’une industrie à plus forte valeur ajoutée soit, un axe majeur de tous nos débats sur la transformation structurelle tant souhaitée de notre économie, recommande le patron du patronat ivoirien.
Une fiscalité à deux vitesses qui appelle des réformes audacieuses
Au nombre des sujets où des divergences d’approche avec le gouvernement subsistent, figure la question de la fiscalité. Répondant aux questions des journalistes sur ce point, le président Ackah a été on ne peut plus clair :
« Sur cette question, je vous donne la position du patronat. C’est un point sur lequel nous avons très clairement une divergence de vue avec l’Etat. Nous considérons que nous avons, malheureusement, en Côte d’Ivoire une fiscalité à deux vitesses trop marquée. Nous avons une fiscalité qui touche le secteur formel, les entreprises dûment constituées, donc les membres de la Cgeci. Cette fiscalité-là n’est pas assez incitative. Elle est contraignante ; C’est une fiscalité trop lourde, confiscatoire. A côté de cette fiscalité qui touche une partie du tissu économique relativement restreinte, nous avons un grand secteur informel qui, lui, est quasiment hors champ fiscal. A la fin, quand on fait la moyenne, dans les agrégats économiques, on arrive à une appréciation de la fiscalité ivoirienne qui n’est pas satisfaisante.
En Côte d’Ivoire, nous avons un taux de pression fiscale qui paraît bas, de l’ordre de 14%, quand la norme communautaire vise un taux de pression fiscale de 20%, et quand l’objectif cible dans les pays émergents est un taux de pression fiscale de l’ordre de 25%. Mais attention ! Nous avons cette spécificité chez nous qui pose problème parce que nous avons une partie des entreprises, celles du secteur formel, qui, quand on calcule la pression fiscale réelle qu’elles subissent, subit en réalité des taux élevés. Les études que nous avons faites à la Cgeci indiquent que les entreprises du secteur formel subissent une pression fiscale que nos calculs estiment entre 27% et 33%. Donc, ces entreprises ont une fiscalité lourde, confiscatoire ».
La conclusion du président Ackah sur ce chapitre : « Il faut revoir notre politique fiscale, il nous faut engager des réformes fiscales pertinentes, audacieuses, imaginatives qui permettent de déboucher sur une fiscalité en phase avec nos objectifs de développement économique. Pour être un pays émergent, l’Etat a besoin d’avoir des ressources, et ces ressources devraient nous amener à une fiscalité moyenne de l’ordre de 20% voire 25%, comme cela se voit dans les pays émergents. Mais ce n’est pas en taxant davantage celui qui est déjà à 30% de pression fiscale ou davantage que l’on va résoudre ce problème. Nous insistons sur la nécessité de l’élargissement de l’assiette fiscale. Et nous appelons en particulier à une fiscalité souple, adaptée aux PME, une fiscalité incitative qui encouragerait les entreprises du secteur informel à migrer vers le formel. Il nous faut aussi regarder d’autres types d’impôts, comme l’impôt foncier par exemple. On ne doit pas se limiter à taxer le secteur productif ».
La bonne nouvelle, sur ce point : le Premier ministre a réactivé le comité de réforme fiscale qui est à la tâche en ce moment. « Nous sommes conscients que ce n’est pas une réforme facile, mais nous devons la mener, et de façon cohérente et équilibrée ; et faire en sorte que tous ceux qui doivent payer l’impôt, paient effectivement ! »
Les défis de la lutte contre la corruption et la contrefaçon restent à relever
Au sujet de l’environnement des affaires, le président Ackah a reconnu les efforts du gouvernement : « Nous avons un environnement des affaires en amélioration, qui est sous-tendu par un dialogue public-privé relativement fort dans un cadre de dialogue institutionnalisé robuste que nous saluons. Nous avons renoué depuis une décennie avec la prospective ; c’est important pour le secteur privé d’avoir de la visibilité. Nous avons enregistré la refonte de plusieurs codes stratégiques, et nous sommes engagés dans un processus d’automatisation des guichets uniques. Nous avons également la digitalisation qui avance, avec notamment la solution e-fournisseur qui permet au fournisseur de suivre l’évolution du processus de paiement de sa facture. Il y a eu la création du tribunal du commerce, etc. Mais, nous avons d’importants défis à relever ; le défi du cadre juridique et judiciaire, la confiance entre le contribuable et la justice n’est pas encore définitivement établie, la lutte contre la contrefaçon et la corruption qui gêne le commerce et l’épanouissement des entreprises, et est préjudiciable à l’ensemble du pays ».
M. Ackah a annoncé la création par la CGECI d’un indice de mesure de l’environnement des affaires qui démarrera cette année et permettra de mesurer chaque année l’environnement des affaires tel que perçu par les entreprises et autres milieux d’affaires.
Là où il y a eu des avancées notables, il faut les souligner a recommandé M. Ackah avant de se féliciter des réformes opérées dans l’apurement de la dette intérieure.
La nécessaire réforme du Fonds de développement de la formation professionnelle, FDFP sur le modèle de gouvernance expérimenté avec succès à la CNPS, afin de former des ressources humaines de qualité, première richesse de l’entreprise, et les négociations en cours pour la revalorisation du SMIG sont d’autres sujets abordés par le président Jean-Marie Ackah dans cette conférence inédite appelée à s’institutionnaliser.
Economie
Fiscalité, environnement des affaires, inflation et blocage des prix… : Les "quatre vérités" de Jean-Marie Ackah
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