Il avait déjà craquelé grâce à Hillary Clinton qui aurait pu
être élue à la présidence. Mais voilà que le plafond de verre se fissure encore
davantage avec Kamala Harris, qui devient la première femme vice-présidente,
noire de surcroît, de l’histoire américaine.
« C’est en effet le plus haut poste élu à être occupé par
une femme aux États-Unis », constate Andréanne Bissonnette, chercheuse en
résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM et spécialiste des questions
touchant les femmes et la communauté LGBTQ.
Fille d’un père économiste d’origine jamaïcaine et d’une
mère scientifique d’origine indienne, Kamala Harris, âgée de 55 ans, n’en est
pas à sa première… « première » justement. Élue deux fois procureure générale
de Californie, celle qui a brièvement été de la course à l’investiture
démocrate à la présidence a été non seulement la première femme, mais aussi la
première femme noire à occuper le poste de procureur général dans l’État
américain le plus peuplé des États-Unis. En janvier 2017, en prêtant serment au
Sénat, à Washington, elle devenait la première femme originaire d’Asie du Sud à
le faire et la deuxième sénatrice noire dans l’histoire américaine. « Ma mère
me disait souvent : Kamala, si tu es la première à faire quelque chose,
assure-toi de ne pas être la dernière », s’est toujours plu à répéter Mme
Harris.
En plus d’être une femme, Kamala Harris est une personne
noire et de descendance sud-asiatique, souligne la doctorante Andréanne
Bissonnette, ce qui revêt une importance symbolique. « Quand on regarde qui
soutient les démocrates élection après élection, l’électorat le plus fidèle, ce
sont les femmes noires. » Bien que les sondages à la sortie des urnes soient à
prendre avec des pincettes, ce serait le groupe qui a le plus appuyé le parti
démocrate en matière de pourcentage de votes, ajoute-t-elle. « D’avoir une
vice-présidente femme et noire, c’est en quelque sorte une reconnaissance du
Parti démocrate envers cette coalition qui lui a permis de l’emporter. »
Le pouvoir aux femmes
Pour Véronique Pronovost, doctorante en sociologie et en
études féministes à l’UQAM, le rôle que jouera une femme comme Kamala Harris «
ouvre un autre endroit de pouvoir » dans un lieu qui avait été entièrement
dominé par des hommes. « C’est positif en matière de représentation des femmes
au sein des institutions politiques. Certains estiment que ça permet de créer
des modèles en marquant symboliquement l’imaginaire des jeunes, et pour
d’autres, cela permet de déconstruire des stéréotypes sur les femmes en
politique. »
En effet, plusieurs Américains croient encore que les femmes
sont incapables d’assumer certaines fonctions, rappelle celle qui est aussi
chercheuse en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire
Raoul-Dandurand. « Sarah Palin s’était notamment fait dire qu’elle ne pourrait
pas assumer le rôle de commandante en chef de l’Armée, advenant le décès de
McCain en cours de mandat. »
Selon Mme Pronovost, les femmes élues peuvent parfois — «
mais pas toujours ! » — avoir plus de considération pour les enjeux qui
touchent les femmes. « Le fait d’être à la vice-présidence lui confère un
pouvoir d’influence particulièrement important », avance-t-elle. Même si sa
dureté, notamment dans ses jugements, a souvent été critiquée.
Pas une surprise
Bien qu’il suscite l’admiration chez plusieurs, l’exploit
historique d’une première femme à la vice-présidence n’est pas une totale
surprise, après un président noir en la personne de Barack Obama et une «
presque présidente » femme, avec Hillary Clinton. Les femmes en politique sont
plus nombreuses que jamais, fait aussi remarquer Mme Bissonnette.
« Ça s’inscrit dans la mouvance des derniers cycles
électoraux. En 2018, on parlait de l’année des femmes, en faisant référence au
nombre de femmes candidates aux postes électifs, tant à la Chambre [des
représentants] qu’au Sénat, et en 2020, le record a été battu, car encore plus
de femmes se sont présentées à ces postes électifs, et particulièrement
beaucoup de femmes issues de la diversité. »
Il faut dire que les femmes colistières d’un candidat à la
présidence n’ont jamais été légion. En 2008, Sarah Palin, qui était aux côtés
du républicain John McCain, est celle qui est passée le plus près d’accéder à
la vice-présidence. Avant elle, en 1984, Geraldine Ferraro avait été la
première colistière d’un des deux grands partis, aux côtés du candidat
démocrate Walter Mondale, qui avait subi une cuisante défaite face à Ronald
Reagan.
Mais, rappelle Véronique Pronovost, la toute première femme
à s’être présentée comme vice-présidente sur un « ticket » présidentiel a été
Theodora Nathalia « Tonie » Nathan en 1972, sous la bannière du Parti
Libertarien. Le duo était passé à des lieues d’une victoire, mais avait
néanmoins obtenu le vote d’un grand électeur de la Virginie.
Comme plusieurs observatrices de la scène politique
américaine, Andréanne Bissonnette croit que le caractère « historique » de la
présente élection est malheureusement éclipsé par les coups d’éclat de Donald
Trump. « Lorsqu’on arrive à une étape charnière comme celle-là, c’est
habituellement toujours salué publiquement, peu importe l’allégeance partisane
», ajoute-t-elle en évoquant la « grâce » de John McCain dont le discours de
défaite avait rendu un véritable hommage à Barack Obama. « On se retrouve quand
même à minimiser la couverture et l’importance de ce moment-là, qui est
historique pour la représentation politique des femmes et leur accès aux postes
de pouvoir. »
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