L'apprentissage du français est tendance dans le Canada anglophone. Et plusieurs provinces manquent d'enseignants qualifiés.
Du jamais vu ! Xavier Lambert, Français installé depuis quarante ans à Toronto, est un ancien directeur d'école, à la retraite. Mais son téléphone n'arrête pas de sonner : il est régulièrement appelé pour remplacer des enseignants malades ou en vacances. "Je n'ai jamais connu ça, s'exclame l'ancien enseignant. En quelques années, le nombre d'écoles francophones a doublé au centre-ville. Alors évidemment ils ont besoin de monde. Je peux travailler jusqu'à cinquante jours par an !
La situation n'est pas propre à l'Ontario. Au Manitoba, les écoles en français sont si populaires que les conseils scolaires recrutent la moitié de leurs enseignants à l'extérieur de la province. En Colombie-Britannique, le gouvernement propose des bourses entre 1 250 dollars et 3 000 dollars pour attirer les candidats. "Cela peut aider à financer un déménagement même depuis un pays étranger", explique le ministre de l'Education Rob Fleming, qui a d'ailleurs fait le déplacement en France et en Belgique début avril pour recruter. La pénurie touche tout le pays.
La situation n'est pas propre à l'Ontario. Au Manitoba, les écoles en français sont si populaires que les conseils scolaires recrutent la moitié de leurs enseignants à l'extérieur de la province. En Colombie-Britannique, le gouvernement propose des bourses entre 1 250 dollars et 3 000 dollars pour attirer les candidats. "Cela peut aider à financer un déménagement même depuis un pays étranger", explique le ministre de l'Education Rob Fleming, qui a d'ailleurs fait le déplacement en France et en Belgique début avril pour recruter. La pénurie touche tout le pays.
430 000 élèves concernés
Et pour cause : chaque année, de nouvelles écoles francophones ouvrent à travers le Canada. On compte aujourd'hui jusqu'à 650 écoles francophones d'une côte à l'autre, qui accueillent plus de 160 000 élèves. Les différents conseils scolaires francophones - publics et catholiques - déploient des stratégies poussées pour attirer encore plus d'élèves. Mais la concurrence vient aussi des conseils scolaires anglophones, cinq fois plus nombreux, qui offrent eux aussi une éducation en français. Ils proposent notamment le programme "French immersion", dans lequel on enseigne sciences, maths et art en français et ce, dès la maternelle. Aujourd'hui, 430 000 élèves sont concernés, soit dix fois plus que dans les années 2000. "Les anglophones pensent de plus en plus que le bilinguisme est un atout pour l'avenir de leurs enfants, affirme Laurie French, présidente de l'Association des conseils scolaires de l'Ontario. Le français a un tel succès que nous sommes obligés de limiter le nombre d'élèves dans beaucoup de classes d'immersion. Le niveau de français des professeurs n'est malheureusement pas toujours à la hauteur et cela complique aussi le recrutement."
Même le gouvernement canadien commence à s'inquiéter du sujet. Son Plan d'action pour les langues officielles prévoit une enveloppe de 500 millions de dollars sur cinq ans pour financer le soutien à la formation et au recrutement d'enseignants. Avec ses 455 écoles francophones, l'Ontario est la province dont les besoins sont les plus criants. Il faut dire qu'en 2010 l'accès de ces écoles a été ouvert à toutes les familles, et plus seulement aux ayants droit francophones. "Mais cette nouvelle mode du français n'est pas la seule explication, selon le président de l'Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens, Rémi Sabourin. En 2015, la durée de la formation est passée d'un à deux ans dans notre province. Nous n'avons donc eu aucun diplômé l'année suivante. Un gros manque difficile à rattraper." Depuis, c'est à quel conseil scolaire sera le plus habile pour "draguer" les enseignants qualifiés, c'est-à-dire ceux qui détiennent un diplôme universitaire niveau licence ou master et ont suivi un programme de formation à l'enseignement.
Une reconnaissance de diplôme parfois délicate
Est-ce à dire que les portes sont grandes ouvertes pour les professeurs venus de France ? Pas si simple. Outre une licence, ils doivent justifier d'un certificat d'enseignement obtenu dans leur pays ou au Canada. S'ils ont suivi leur formation d'enseignant en France (IUFM ou Capes), il leur faudra la faire reconnaître par l'ordre des enseignants de la province où ils souhaitent exercer. En Ontario, l'ordre des enseignantes et enseignants examine tous les dossiers, mais c'est au cas par cas qu'il donne son feu vert. Arrivée en 2016 à Toronto avec sa petite famille, Marie Baggioni "vend" son expérience de huit ans comme professeure des écoles en France ; au bout de quelques mois, l'ordre reconnaît ses qualifications et son diplôme. "En attendant, comme je n'avais pas le permis de travail adapté pour exercer avec des enfants, je me suis engagée comme bénévole, puis en tant que suppléante qualifiée", explique l'enseignante en troisième année à l'Académie Alexandre Dumas, dans la banlieue de Toronto. "J'ai mis un an à changer de statut. C'est un peu long. Mais cela m'a permis de comprendre à quel point l'enseignement pour lequel j'avais été formé n'avait rien à voir avec celui qui se pratique au Canada. Il fallait que je revoie complètement ma manière de procéder avec les élèves" dit-elle. Et d'ajouter : "Il n'y a pas beaucoup de rigueur ici. On n'apprend ni les règles de grammaire ni les tables de multiplication. Mais c'est à travers les projets en ateliers, les dessins, les mises en situation que les élèves apprennent. On leur apprend l'esprit d'initiative, la pensée critique, la réflexion. Et finalement, nous en tant que prof, on se fait plaisir !"
L'ordre peut aussi décider que, même avec un certificat d'enseignement acquis à l'étranger, vous n'êtes pas prêt à la pédagogie canadienne. Il peut demander au candidat de repasser quelques "crédits" d'équivalence. "Attention, on ne peut travailler qu'en Ontario après avoir reçu l'approbation de notre association" explique Gabrielle Barkany, porte-parole de l'ordre des enseignants de l'Ontario. En effet, chaque province a son ordre professionnel qui édicte ses propres règles d'accès au métier. Seules les écoles indépendantes, donc privées, peuvent directement embaucher un enseignant, sans passer par l'ordre. "Il y a un an, nous sommes allés prospecter en France, lors du forum Destination Canada, explique ainsi le chef d'établissement adjoint de la Toronto French School, Khalid El-Metaal. Nous avons plus de flexibilité, même si nos standards ne sont pas moins exigeants. Les candidats doivent avoir les diplômes requis, mais on ne va pas leur demander de faire une équivalence."
Le bachelor en éducation, véritable sésame
Thomas Logodin, un Français immigré en 2011 à Toronto a obtenu une licence Staps (sport et activité physique) à Toulouse il y a vingt-cinq ans. Après des années dans le marketing du sport, cet ex-pro de tennis et de volley rencontre l'amour, une Canadienne. Arrivé en Ontario, il cherche à travailler, en français. On lui suggère qu'avec son expérience, l'enseignement serait une bonne solution. Mais il n'a pas de certificat ad hoc. Il s'inscrit donc à l'université d'Ottawa et passer son bachelor en éducation. Une fois diplômé, le voilà très vite embauché comme professeur de français et d'histoire-géographie, puis d'éducation physique et santé, sa spécialité, à l'école catholique Saint-frère-André de Toronto. "C'était un peu bizarre au départ de me retrouver prof d'histoire alors que je n'avais pas les qualifications pour, raconte-t-il. Heureusement j'ai été formé par la faculté. Cela m'a permis de comprendre que l'enseignement ici est basé sur la pédagogie et non sur les connaissances. On ne vous demande pas de devenir des 'experts' mais d'enseigner aux élèves les compétences du XXIe siècle : la flexibilité, la coopération, la polyvalence. Par exemple, on ne fait pas de dictées, mais on apprend à nos élèves à utiliser les outils digitaux pour ne pas faire de fautes. Donc si vous savez enseigner à la canadienne, vous pouvez le faire dans n'importe quelle matière. Il y a tellement d'offres que c'est nous, enseignants, qui choisissons dans quels conseils, quelles écoles, quels quartiers nous voulons travailler", se réjouit ce Gascon d'origine.
Anissa Benmessabih a elle aussi passé son bachelor en éducation, un cursus d'une durée de deux ans aujourd'hui en Ontario. Après une licence de chimie en France, la jeune Marseillaise de 27 ans fait un stage au Vietnam. Le virus de l'étranger l'entraîne au Canada, il y a quatre ans. La chimie l'ennuie, elle a toujours rêvé d'être enseignante. Mais l'université anglophone lui demande plus de 7 000 dollars par semestre pour un bachelor en éducation. Elle entend alors parler de l'université francophone qui propose une exonération partielle aux étudiants internationaux inscrits à temps plein pour un programme d'études en français en Ontario : ils paient les mêmes droits de scolarité que les citoyens canadiens et les résidents permanents. Pour 3 000 dollars par semestre elle étudie à l'université d'Ottawa.
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