Une habitude qui s’est imposée, d’emblée, au sein des classes populaires, avant de gagner les couches médianes et même celles enviées économiquement, le port de friperie est aussi tendance, à Yopougon (Abidjan-Ouest), tout comme partout en Côte d’Ivoire.
De petits étals en bordure de route, dans pratiquement tous les quartiers, de grands commerces, du détail, du gros, des marchés spécialement dédiés à la vente, le commerce de vêtement d’occasion est omniprésent dans la plus grande et réputée joyeuse commune du pays, où l’AIP a fait une incursion, au cœur de cette réalité sociale.
« A do kaflê » (porter pour un essai), « troutrounou » (fouiller et faire son choix dans un tas), « clou nan fa » (s’abaisser et prendre le sien), « yougou- yougou » (remuer ou secouer pour faire son choix), « broad » (de l’anglais abroad : étranger), des appellations, pour la plupart en langues nationales, pour désigner une seule et même réalité. Une diversité de désignation symbole, selon l’universitaire Sasso Sidonie Calice YAPI (dans Approche compréhensive du port des vêtements de friperie et des risques sanitaires : le cas des friperies à Abidjan) de l’engouement populaire suscité depuis les années 90 par la friperie en C ôte d’Ivoire.
Interdites d’importation, dans « les années du miracle économique ivoirien » (ordonnance n°75-647 en date du 30 septembre 1975), par souci de protection de l’industrie textile locale, les friperies ont fait leur entrée en Côte d’Ivoire, à partir de 1990, suite à la crise économique survenue dans les années 80 qui a conduit à une tolérance pour soulager les ménages à faible pouvoir d’achat.
« Démarré timidement au petit marché de Belleville situé à Treichville dans les années 60, le marché de la fripe prend de l’ampleur et se répand sur le territoire ivoirien, dans les villes de l’intérieur et dans la ville d’Abidjan particulièrement et notamment à partir de 1992. Les commerçants, des étrangers pour la plupart, habitaient la commune et installaient donc leurs commerces à proximité. L’histoire de la mode ivoirienne s’est faite au fil du temps avec une forte influence et présence de la friperie », fait savoir, dans ces travaux de recherche, Sasso Sidonie Calice Yapi.
Au sein des usagers, certains mettent en avant la qualité, quand d’autres avancent l’argument de l’accessibilité, quoique dans tous les cas s’habiller en vêtements d’occasion peut exposer à des maladies.
A Yopougon, Aboudé vend de la friperie au marché de Kouté, l’un des plus grands dédié au négoce de marchandises du type dans cette commune. Du « premier choix » qu’il dit, qui draine une jeunesse sans grands moyens mais en quête de style.
« J’aime m’habiller plus en friperie, parce qu’on a plus de tenues stylées et classes comme j’aime », confie l’un d’eux rencontré sur place, Sery Marius, élève en classe de troisième au Lycée municipal Pierre Gadié 2 de Yopougon.
Au marché de Kouté (qui ouvre tous les mardi et vendredi), on trouve de tout : des vêtements de toutes sortes, d’hommes, de femmes, pour tous les âges, et à petit prix (à partir de 100 F CFA). Aussi, des chaussures, des ceintures, des chaussettes, des chapeaux et même des sous-vêtements. Dernière catégorie de vêtements cités qui soulève le plus d’inquiétude concernant la santé.
Les stands de vente de sous-vêtements d’occasion ne désemplissent cependant pas à Kouté
A en croire certaines femmes, la qualité de la lingerie de « seconde main », est bien souvent supérieure à celle vendue dans les grandes surfaces. Une approche qualité prix qui fait oublier des risques bien réels.
« Moi je désinfecte très bien avant de porter. Je trempe d’abord dans de l’eau chaude avec du détergent. Je lave et ensuite je rince dans de l’eau contenant de la javel. Donc je ne peux pas avoir d’infection. D’ailleurs je porte les dessous friperie il y a longtemps et je n’ai jamais rien eu», fait savoir Anne Marie Allou, la trentaine révolue.
« Ce n’est pas tout le monde qui a les moyens d’aller payer les habits dans ces boutiques de luxe. Dans les grands magasins, les tissus sont mélangés, beaucoup de nylon et de soi. Ici au moins on trouve du bon coton. Aussi, c’est des fins de séries. Il y a plusieurs choix à faire. Et les prix sont abordables. On peut trouver des caleçons pour enfants à partir de 100 francs, pour les jeunes et les mamans, à 500 francs ou trois caleçons à 1.000 francs CFA. Or dans les boutiques, on vous fait des prix entre 3.000 francs CFA et 10.000 francs CFA selon la matière du dessous », a soutenu une autre cliente, rencontrée au marché de Sicogi.
Selon Dr Charles Dago, gynécologue dans un Centre hospitalier universitaire à Abidjan, il existe pourtant des risques de contracter des maladies en portant des dessous d’occasion.
« Quand quelqu’un porte des dessous friperie, cette personne peut s’exposer au risque de faire des allergies parce que ces habits sont traités avec des produits et mis dans les bateaux pour débarquer ici. Il peut y avoir une réaction aux produits utilisés sur les dessous avant de les envoyer. On peut faire des réactions aux synthétiques et aux différents colorants », avertit le spécialiste de santé.
Il a aussi souligné le fait que des germes peuvent exister sur les habits déjà portés et contaminer le nouvel acquéreur. « Vous avez souvent des problèmes dermatologiques surtout dans l’entre-jambes. Des rougeurs, des boutons qui parfois se transforment en croûtes. Vous avez des maladies comme des teignes », a relevé Dr Dago.
Aussi, conseille-t-il aux femmes de « bien les laver, bien sécher et bien repasser les dessous d’occasion achetés avant de les porter ».
Sans être un spécialiste de la santé, Ablo, un jeune commerçant de friperie d’une trentaine, au marché de Sicogi, recommande les mêmes précautions. « Il suffit de bien nettoyer à l’eau de javel. Ça fait environ 10 ans je suis dans la friperie. J’ai des fournisseurs à Londres qui m’envoient la marchandise. Ce sont des fins de séries, ce n’est pas les dessous usés parce que portés pendant longtemps. J’ai des clientes vivant en Mali et en Guinée qui viennent s’approvisionner ici chez moi », a-t-il argumenté.
Affairé à son commerce, à Yopougon-Siporex, Souleymane, soutient aussi l’argument de la provenance de la marchandise qui devrait rassurer les consommateurs. « Mes marchandises viennent de Londres. C’est là-bas, il y a de bons habits. Il n’y a aucune différence entre ce que je vends et le prêt-à-porter dans les boutiques de luxe. Je vends les habits de femmes. C’est vrai, les hommes viennent aussi mais achètent pour leurs femmes », a-t-il, confiant sa fierté de gagner sa vie dans ce secteur, avec à son actif plusieurs magasins à Yopougon.
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