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Présentation de « La colère des avortés » de Boris Anselme Takoué Par Moussa Sanogo Pehangneli (Critique littéraire)

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La colère des avortés de Boris Anselme Takoué


En Côte d’Ivoire, l’âge d’or du genre romanesque fut indiscutablement la période des 20 glorieuses des années 70 aux années 90, matérialisée par la verve exceptionnelle des esthètes de premier rang tels que Ahmadou KOUROUMA, Jean-Marie ADIAFFI, Maurice BANDAMAN, Ernest de Saint-Sauveur FOUA, TANELLA Bony, Amadou KONE, Josette Abondio et j’en passe.

Pourtant, depuis le début des années 2010, un bouillonnement se fait sentir au sein de la jeune garde de romanciers ivoiriens écumée par des noms déjà emblématiques tel que Inza BAMBA, Hilaire KOBENA, Patricia Hourra, Hélène LOBE et bien d’autres.

C’est au sein de cette nouvelle génération qu’a émergé un jeune prodige qui a fait de la constance et de la dextérité sa marque déposée. Boris Anselme TAKOUE, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a sorti coup sur coup et en l’espace d’une décennie, cinq opus de belle facture.

Le prosateur né à l’école de l’excellence et mûri à l’ombre tutélaire du Baobab Isaïe Biton KOULIBALY entretient avec son lectorat une idylle digne de ces lunes de miel dont le précieux nectar jamais ne trahit sa réputation de breuvage savoureux.

Ainsi donc le jeune esthète de la prose a récemment remis le couvert à travers un bouquet de 190 pages, une œuvre romanesque dont l’intitulé se présente sous la forme de ce groupe nominal percutant : « La colère des avortés ».

Autant vous le dire tout net : ce livre est une fresque géante d’une grande diversité chromatique et thématique.

Plusieurs niveaux de lecture et de perceptions y sont convoqués.

C’est dire qu’aussi bien la structure externe que la structure interne de l’ouvrage sont porteuses de signification, et ce, tout en livrant cette histoire saisissante où parodie, comédie et tragédie se mêlent. Commençons donc par la structure externe. 

I-             LA STRUCTURE EXTERNE

Le sixième livre de Boris Anselme TAKOUE est un long parcours scriptural de seize (16) chapitres d’inégale longueur entretenant les uns envers les autres une complicité narrative tels des athlètes se passant le témoin pendant une course de relais.

Ainsi donc du chapitre intitulé « la démolition » à celui intitulé « la naissance » en passant par ceux dont les titres sont « le pacte », « la mission » ou encore « les exécutions », les chapitres de ce roman, tout en se focalisant sur une thématique bien précise, contribuent indéniablement à la trame globale de ce récit saisissant dont les lignes recèlent la saveur de ces milles et une histoires porteuses de ces valeurs morales qui composent la conscience collective des peuples africains.

Dans sa présentation faciale, la première de couverture du livre nous dépeint un tableau tempétueux sur lequel on semble voir une femme enceinte en gésine dans une sorte de transe implorant le ciel sans doute pour une délivrance qui pourrait être aussi bien physique que mystique.

Ce visage du livre à lui seul suffit à planter le décor de la puissance du texte qui en est consécutif.

Sur le plan de l’apparence, ce livre sorti des presses de l’édition Canaris est d’une grande qualité de finition avec une graphie bien lisible et une papeterie de choix, le tout couronné par une présentation livresque bien coupé et bien relié destiné à trôner majestueusement dans les rayons de librairies et de bibliothèques.

II-           LA STRUCTURE INTERNE

Dans sa conception narratologique, « La colère des avortés » obéit aux trois (3) grandes phases du parcours diégétique de toutes les proses classiques à savoir l’amorce, le récit et la chute. Sauf que la chute de la narration coïncide, dans notre œuvre, avec celle du personnage principal, le sulfureux Raphaël Conté dont l’auteur dépeint les détails de la vie avec une habileté consommée, faisant alterner, sous sa plume alerte, un style d’écriture aussi bien journalistique que littéraire. En effet, comme un communiquant en plein reportage, l’auteur s’adonne au culte des faits qu’il agence avec minutie pour laisser éclore un livre d’une rare originalité. C’est donc par pure déformation professionnelle que le journaliste Boris Anselme TAKOUE fait de son livre un récit factuel où la langue française formelle subit les assauts de quelques ivoirismes bien placés.

C’est la cas à la page 53 à travers les dires rapportés du Président Germain Otto à savoir : « Comment ne va-t-on pas dire que mon gouvernement est rempli de ministres wouya-wouya. ».

Cela rapproche l’œuvre de notre auteur du genre n’zassa dans lequel poésie (P83-84), homélie et récit s’entremêlent pour donner une écriture majeure traversée par des thématiques fortes, actuelles et pertinentes qui positionne indéniablement Boris Anselme TAKOUE comme un leader d’opinion avisé.

Nous sommes donc en présence d’un style d’écriture teinté du pragmatisme journalistique, de l’humour ivoirien et de l’inventivité propre à tous les grands créateurs de sa trempe.

Cette influence de l’écriture journalistique sur le style de l’auteur le place dans la lignée de ces grands journalistes ivoiriens qui se sont révélés être d’excellents écrivains. On pourrait citer comme exemples des noms comme Diégou BAILLY, Tiburce Coffie, Anzata OUATTARA, Alafé Wakili ou encore Venance Konan, qui ont tous réussi à capitaliser leurs atouts de journalistes dans leurs différentes œuvres.

En réalité, l’histoire de Raphaël Conté faite d’ellipse, de suspens et de révélations est le récit d’une Afrique peu reluisante où le monde des affaires et celui de la politique sont caractérisés par un occultisme où la magie noire porteuse de désillusion et de désolation est souvent reine.

Le cas particulier de notre protagoniste est, tout à fait, porteur de sens. En effet, jeune homme fougueux et ambitieux, Raphaël Conté, ayant connu une enfance difficile depuis son bled du nord du pays se lance d’abord dans les affaires avec un relatif succès de débutant.

Il choisit donc de booster cette lancée par des pratiques occultes dont l’acte fondateur est son pacte avec Gningnin le féticheur. Cela marquera sa longue et scabreuse descente aux enfers malgré son statut de Ministre d’Etat, une fois converti à la vie politique. L’ambivalence de ce personnage décrit physiquement comme un homme grand et beau voguant dans une constante misère morale semble être la parfaite illustration de l’adage selon lequel « tout ce qui brille n’est pas de l’or ».

Caractérisée par une mauvaise gouvernance des affaires de la République, ainsi que par un vagabondage sexuel par lequel, en prédateur impitoyable, il n’épargne ni ses secrétaires, ni les belles étudiantes qu’il rencontre, ni même la nonne Sœur Audrey Victoy qui officia au requiem de son défunt collègue Gazé Zéga.

Contre toute attente, chez Raphaël Conté, cette prédation sexuelle est caractérisée par une phobie noire de la progéniture masculine comme pour parodier avec la réalité fréquente où c’est plutôt la progéniture exclusivement féminine qui est problématique. 

En tout état de cause, Raphaël Conté va faire de l’avortement un recours systématique. En faisant passer de vie à trépas plusieurs de ses mômes en bas-âges et en interrompant volontairement et violemment les grossesses de ses conquêtes féminines. Et ce jusqu’à ce que le glas en soit sonné sous la forme de l’esprit fœtal du rejeton « Emmanuel » qui depuis le sein de Audrey la nonne, lui fera voir de toutes les couleurs. Ce sera donc le début d’une grande fronde de toutes les âmes fauchées avant-terme qui s’exprimeront dans une sorte de tribunal ouvert en se plaignant de l’injustice subie.

Mais loin d’être de simples fantaisies d’écriture, toutes ces options narratologiques de l’auteur sont dotées d’une réelle portée significative.

 

III-          LA PORTEE SIGNIFICATIVE

La portée significative et idéologique de ce récit est donc immense.

Dans le contexte actuel de quête des libertés féminines où le droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est devenu le cheval de batail des féministes en occident, le message de Boris Anselme TAKOUE pourrait apparaître comme une voix discordante.

En effet, pétri des valeurs traditionnelles africaines et d’une conscience religieuse chrétienne très affirmée, le texte de notre auteur s’apparente à un vibrant plaidoyer pour la vie humaine.

En donnant la parole à ceux-là dont le droit à la vie a été nié et bafoué depuis l’étape fœtale de leur existence, l’auteur se positionne à l’avant-garde d’un humanisme total dont le symbole est si bien incarné, dans le récit, par le personnage de la nonne Sœur Audrey Victoy. Cette figure majeure de l’œuvre bien qu’abusée dans sa chair et contrainte à abandonner sa vocation religieuse décide de garder sa grossesse pour respecter le droit à la vie et l’innocence du rejeton qui grandit en elle.

Toujours dans le cercle des personnages de l’œuvre, une représentation du schéma actantiel tel que théorisé par le français Algidas GREIMAS nous permet de détecter une particularité un peu curieuse du protagoniste Raphaël Conté. En effet, en établissant les adjuvants et les opposants à son parcours diégétique, on se rend compte qu’il est désespérément seul dans sa logique macabre. Ainsi donc, il obéit au profil du grand solitaire psychopathe qu’on retrouve chez les tueurs en série des polars américains.

Une autre étude sémiologique et onomastique des personnages nous donne à voir des appellations idéologiquement connotées telle que « Napêcou » pour le nom de ce pays imaginaire, « Gazé Zéga », un beau jeu de phonèmes et de morphèmes qui vient confirmer la grande poéticité de ce texte romanesque. Comme quoi, il n’y a plus de douaniers aux frontières des genres littéraires.

Aussi, cette appellation « Gazé » attribuée au défunt ministre de la santé, loin d’être anodine, n’est rien d’autre que le nom de la mort en langue bété pour dire que son sort était déjà scellé dans le subconscient du grand manitou, notre auteur.

On n’oubliera pas non plus ce nom omniprésent de Raphaël Conté celui-là même dont l’histoire nous est contée.

Ainsi, en fidèle disciple de l’emblématique Feu Isaïe Biton-Koulibaly, Boris TAKOUE s’inscrit dans la même vision narrative inspirée des structuralistes russes desquels son maître s’est toujours revendiqué.

Une écriture simple et fluide, au service de récits riches, denses et ponctués d’un érotisme souvent osé, voilà donc l’identité scriptural de notre auteur.

Cette texture particulière du récit nous autorise une analyse croisée entre la sémiologie et la sociocritique pour entrevoir, dans l’économie générale du vocabulaire du texte, des champs lexicaux révélateurs d’une critique politique acerbe. Ici, le lecteur découvre une satire de la gouvernance peu orthodoxe d’une classe politique au sein de laquelle l’incompétence, la gabegie et le népotisme règnent en maîtres.

Cela comme si l’auteur militait pour un assainissement non seulement de la morale mais du mode de gouvernance des pays africains.

Au total, comme on peut le voir, le livre de Boris Anselme TAKOUE est une manne inespérée pour les analystes de toutes les sous-disciplines littéraires qui pourraient y trouver la matérialisation des procédés littéraires et scripturaux les plus élaborés. C’est donc dire que l’auteur a réalisé avec cet ouvrage, une véritable prouesse narratologique qui place définitivement B.A.T au rang des plus grands prosateurs de notre pays.


 

 

 

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