Le chanteur Corneille, dont les proches ont été massacrés lors du génocide rwandais, livre sa vérité, bouleversante, dans son autobiographie. On pensait connaître l'histoire de Corneille.
On en savait si peu. Le chanteur québécois avait effleuré le massacre de sa famille en 1994 pendant le génocide au Rwanda d'où il est originaire, sa survie miraculeuse caché derrière un canapé. Il l'avait chanté entre les lignes dans ses premiers tubes « Seul au monde » ou « Parce qu'on vient de loin » : « Alors on vit chaque jour comme le dernier. Et vous feriez pareil si seulement vous saviez... », fredonnait-il. Cette fois, le musicien raconte tout dans son livre « Là où le soleil disparaît ». Enfin.
« Je n'aurais jamais pu le faire avant. Sinon j'aurais sombré. » On s'est souvent demandé comment un être aussi solaire avait pu voir la mort en face. « Je disais que tout allait bien, j'étais devenu le symbole de la résilience, mais c'était presque une imposture. C'était plus simple de me présenter en rescapé qui s'en est sorti plutôt qu'en rescapé qui en souffrait encore. Sinon, on m'aurait posé des questions et j'aurais craqué. Je me contentais de dire que je m'étais jeté derrière un canapé, mais sans parler du cri de mon père qui a été le premier à se faire tuer ou des dernières respirations de ma petite sœur, alors que j'ai longtemps culpabilisé de ne pas avoir pu la sauver. » Cette fois, il lève le voile sur ce qui s'est passé cette nuit du 15 avril 1994 à Kigali : la panne d'électricité qui plonge la maison familiale dans le noir, les deux soldats armés de kalachnikovs qui demandent à son père : « Est-ce que vous cachez des cafards », soit des Tutsis, selon leurs ennemis Hutus.
Et le terrible quiproquo qui a fait basculer sa vie à 17 ans. « En fait, mon père leur a menti, alors qu'il n'aurait pas dû. Les deux soldats étaient des membres du Front patriotique rwandais, celui des Tutsis. Mais il a cru que c'étaient des Hutus, qui contrôlaient alors la ville. Du coup, il a dit qu'on ne cachait pas de Tutsis et qu'au contraire on soutenait le régime hutu. Et là, ils ont commencé à tirer. » En quelques minutes, ses parents, ses petits frères Christian et Florian, sa petite soeur Delphine, sa baby-sitter et une domestique sont tués. Dans le noir, derrière son canapé, Corneille parvient à échapper aux bourreaux.
« En écrivant, j'ai retrouvé l'état second dans lequel j'étais à ce moment-là. Quand je me suis relevé, je suis allé dans la salle de bains. J'avais besoin de me voir dans le miroir pour vérifier que j'étais bien vivant. » Corneille fuit Kigali, marche, tremble à chaque barrage, lui qui est hutu par sa mère et tutsi par son père. « Un jour un soldat m'a dit : Ecoute, petit, j'ai vraiment trop tué aujourd'hui. Vas-y. Passe. » On connaît mieux la suite. L'arrivée en Allemagne chez des amis de son père, puis le début de carrière chez son oncle au Canada, la musique, le succès.
Dans son livre, Corneille évoque aussi cette tante qui a abusé sexuellement de lui alors qu'il avait 6 ans. « Quand j'ai commencé à raconter à ma femme, Sofia, ce qui était arrivé à ma famille, cette histoire a resurgi. Le génocide l'avait totalement occultée. » Il a fallu que Corneille s'apaise pour écrire. Qu'il devienne père aussi. « J'ai besoin de laisser quelque chose à mes enfants. Et j'ai peur d'oublier. Aujourd'hui il faut que je cherche les visages de mes parents pour que ça revienne dans ma tête. »
Son fils lui demande souvent quand ils iront au Rwanda. Corneille ne sait pas. « J'en ai très envie mais j'ai peur. Aujourd'hui, les gens qui ont tué ma famille sont au pouvoir. En même temps, j'ai envie d'aller sur la tombe de mes parents. J'ai presque eu un sentiment de les avoir abandonnés là-bas. »
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