Désormais seul aux commandes du FPI, que l’ancien président a fini par lui abandonner, Pascal Affi N’Guessan est convaincu qu’il a une carte à jouer et se rêve déjà en candidat à la présidentielle de 2025.
Voilà un moment qu’il n’était pas repassé par Paris. L’occasion, pour Pascal Affi N’Guessan, de revoir certains élus français dont il est proche, mais aussi de faire la tournée des médias. Pour montrer qu’il existe toujours et rappeler que, malgré le départ de son fondateur et patron historique, Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI) qu’il dirige n’est pas mort.
Le 13 novembre se tiendra un congrès extraordinaire du parti au palais des Sports de Treichville, censé acter sa renaissance et conforter son président dans son rôle de leader désormais incontesté. Mais Laurent Gbagbo l’a devancé. Mi-octobre, ce dernier a organisé sa grand-messe abidjanaise au célèbre Sofitel Ivoire. Ce jour-là, l’ancien président a lancé sa nouvelle formation, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). Un baptême en grande pompe, en présence de plus de 1 000 invités… mais sans Pascal Affi N’Guessan.
Ni rancœur ni aigreur
Depuis son retour en Côte d’Ivoire, le 17 juin, Gbagbo snobe ostensiblement son ancien Premier ministre. Ce dernier a eu beau s’aventurer dans le chaos de l’aéroport le jour de son arrivée, puis appeler son épouse Nady Bamba, à laquelle il a expliqué qu’il souhaitait venir le saluer, aucune réponse. Rien, pas même un appel. Alors, quand Gbagbo a annoncé, mi-août, qu’il quittait le FPI pour créer un nouveau parti, tous ont compris que la rupture entre les deux hommes était définitive.
« Je n’éprouve aucune rancœur ni aigreur envers Laurent Gbagbo, assure Pascal Affi N’Guessan, attablé devant un café dans les locaux de Jeune Afrique. Je déplore simplement son choix non-rationnel. Il est dommage et inutile qu’il s’engage dans cette voie. Il avait plus d’intérêt à chercher l’unité du parti. Elle l’aurait grandi. J’ai toujours dit que je n’étais pas opposé à ce qu’il soit président et moi vice-président.
Pascal Affi N’Guessan en est convaincu : l’ancien chef de l’État n’est toujours pas prêt à passer le flambeau. Il en veut pour preuve le discours ambigu prononcé lors du congrès du PPA-CI, durant lequel il a expliqué à ses militants que son « ambition [était] de partir, mais pas de [les] abandonner ».
À ses yeux, le choix de Gbagbo a le mérite de « clarifier les choses » dans un parti jusqu’à présent divisé en deux branches. « Au moins, maintenant, les camps sont bien définis. Le fait qu’il soit parti nous donne une plus grande marge de manœuvre. J’incarne le leadership du FPI et je suis soutenu par nos militants. Chez Gbagbo, l’incertitude domine. Personne ne sait s’il sera candidat à la prochaine présidentielle. Et s’il ne l’est pas, la guerre de succession fera rage dans les rangs du PPA-CI. »
Traversée du désert
L’ancien chef du gouvernement paraît malgré tout bien isolé. La quasi-totalité des cadres historiques du FPI, les « GOR » (les « Gbagbo ou rien »), ont suivi leur mentor. C’est donc un FPI vidé de sa substance qui reste entre les mains de Pascal Affi N’Guessan. S’il est parvenu à se faire réélire député dans son fief de Bongouanou lors des législatives du mois de mars, il semble bien seul sur les bancs de l’Assemblée nationale face au groupe parlementaire formé par les dix-sept députés pro-Gbagbo.
« Chaque leader politique connaît des moments de difficulté ou une traversée du désert, reconnaît-il. Mais contrairement à ce que certains peuvent dire, nous ne sommes pas isolés. Nous sommes dans une phase de reconstruction. Nous avons des militants et une base électorale, qu’il faut juste remobiliser. Ce sera un des objectifs de notre congrès. »
Le président du FPI, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles, est convaincu qu’il a une carte à jouer en 2025. Il fait le pari qu’Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié ne seront pas candidats, grâce à la réintroduction dans la Constitution d’une limite d’âge à 75 ans pour se présenter à la magistrature suprême.
Mi-septembre, cette hypothèse, qui mettrait hors-jeu les trois éléphants qui dominent la vie politique ivoirienne depuis trente ans, a réapparu dans le débat public après qu’un député a annoncé son intention de la soumettre à ses homologues lors de la session parlementaire d’avril 2022.
« Dans l’opinion publique, le souhait qu’ils prennent leur retraite est largement partagé, insiste Affi N’Guessan. Quant au président Ouattara, il a expliqué qu’il souhaitait amorcer un renouvellement générationnel et il n’est pas opposé à cette idée. Or c’est lui qui a une grande partie des cartes en mains pour mener cette réforme. »
Le 28 octobre, l’opposant a été reçu par le chef de l’État. Des retrouvailles pour parler de réconciliation nationale sur fond de décrispation du climat politique, un an après une présidentielle tendue qui avait permis à Ouattara de rempiler pour un troisième mandat. À l’époque, alors que leurs candidatures avaient été retenues par le Conseil constitutionnel, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan avaient décidé de boycotter le scrutin et appelé leurs compatriotes à la « désobéissance civile ».
Plusieurs semaines en prison
Après l’annonce de la réélection de Ouattara, les deux hommes étaient allés encore plus loin en déclarant la formation d’un éphémère « Conseil national de transition ». Des propos qui avaient valu à Bédié le blocus de son domicile et à Affi N’Guessan un séjour de plusieurs semaines en prison.
Entre les deux anciens alliés, les relations se sont depuis dégradées. Le leader du FPI n’a pas digéré d’être laissé de côté par le « Sphinx de Daoukro », qui a préféré faire alliance avec Gbagbo. « Bédié nous a planté un couteau dans le dos, tacle-t-il. Il nous a laissé monter en première ligne et aller en prison, puis il s’est tourné vers d’autres. »
Encore sous contrôle judiciaire, ce qui l’oblige à demander l’autorisation de la justice ivoirienne quand il veut quitter le pays, le président du FPI rechigne à s’attarder sur ces mois qui ont entouré la présidentielle de 2020. « J’assume tout ce que j’ai fait », élude-t-il, même si pour beaucoup de ses détracteurs, surtout parmi les pro-Gbagbo, il fait figure d’opposant « utile » pour le chef de l’État.
Une compromission que l’intéressé conteste fermement. « Mon opposition déterminée au troisième mandat a bien montré que je n’avais aucun lien avec Ouattara, assure-t-il. J’ai pu avoir des positions modérées dans le passé, mais parce qu’être tout le temps dans l’opposition radicale n’est pas constructif. Il faut savoir dire ‘non’ quand c’est nécessaire et ‘oui’ quand cela sert l’intérêt national. » Et de conclure : « Je n’ai aucun regret. »
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