Dr Edmond DOUA, enseignant-Chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, au Département de Communication, à l’UFRICA, Université Félix H. Boigny, expert en Communication politique et marketing des organisations, analyse, dans cet article, les enjeux de la communication politique en Afrique. L’auteur livre ici la quintessence de sa réflexion, qui a déjà fait l’objet d’une publication, dans la prestigieuse revue internationale de communication, Hermès, dirigée par Dominique Wolton.
CONSTAT D’ECHEC DE LA COMMUNICATION POLITIQUE EN AFRIQUE
Face aux défis énormes, auxquels le continent africain fait face depuis toujours, le temps est venu de replacer la communication politique au cœur des débats. Repenser surtout ce concept demeure un impératif, pour permettre aux acteurs (hommes politiques, opinion publique et médias) de s’approprier l’action publique. C’est la condition sine qua non, pour l’émergence d’une véritable démocratie de masse, gage d’un développement harmonieux, durable et inclusif en Afrique. .
Interactions entre la communication et la politique
Les relations entre la politique et la communication, entendue comme sphère dans laquelle se discutent les affaires communes et dans laquelle se prennent des décisions est des plus anciennes. L'émergence de la communication politique est l'aboutissement du double processus de démocratisation et de communication ; celle-ci correspondant à des aspirations profondes de l’homme. A tous les niveaux, la politique a besoin de la communication pour se réaliser pleinement. Au plan anthropologique, la communication intervient comme mise en scène des détenteurs du pouvoir, associée à un travail de légitimation de l’autorité. Au niveau gouvernemental, elle est liée à la propagande qui contrôle les représentations sociales et mobilise les gouvernés. L'originalité et l'intérêt de la communication politique résident donc dans le fait que cette science interdisciplinaire constitue ce lieu d'expression et d'affrontement des légitimités constitutives et contradictoires de la démocratie de masse. En ce sens, elle est une réalité nouvelle, observable tant à l’étape fonctionnelle que théorique dans les sociétés.
L’Afrique aux antipodes des réalités et des pratiques nouvelles
Toutefois, si la conscientisation des peuples, par la communication, est une réalité dans les sociétés occidentales, en Afrique, c’est tout le contraire nonobstant quelques progrès qui y sont réalisés. Non pas parce que les citoyens africains préfèrent rester aux antipodes des autres, mais parce que les axes de réflexions, relatifs aux problématiques sociopolitiques sont mal définis. Les initiatives sont des moins ambitieuses et ne sont pas toujours suivies d’actes empiriques. C’est plutôt une posture attentiste, sinon réactionnaire, du moins défaitiste, qu’il est donné de noter. Les Sommets de l’Union Africaine ressemblent plus à des clubs d’amis et solutionnent rarement les problèmes de gouvernance et de démocratie. En Côte d’Ivoire, par manque de vision sur le long terme, face à l’effondrement du système économique en 1980, une instabilité sociale s’est installée. Au Zimbabwe en 2008, les multiples choix politiques hasardeux de Mugabe ont contraint plus de trois millions de personnes à émigrer en Afrique du Sud, pour fuir la misère. Les intellectuels, qui ont autorité à s'exprimer publiquement sur la politique, à partir d'une logique de la connaissance, tiennent régulièrement des discours inaudibles et peu crédibles. Alors que ce sont justement eux qui devraient faire partie de la communication politique.
Les ambitions sont certes nobles, mais la vision prospective reste floue
Au sortir de l’esclavage et de la colonisation, les élites africaines ont entrepris des actions visant à affronter les graves crises sociales, politiques, économiques et culturelles. Ces crises qui avaient provoqué la perte des repères identitaires des peuples obligés, au nom du ‘‘progrès’’, de faire face à une acculturation et à des perturbations sociales profondes. A partir des années 1920, des grandes idéologies se développent, principalement parmi les intellectuels. Le panafricanisme et la négritude en sont des illustrations. Bien que les méthodes de lutte fussent différentes, ces doctrines visaient les mêmes objectifs : l’émancipation et la reconnaissance de l’humanité des Noirs. En 1960, le panafricanisme finit par être intégré dans la panoplie des politiques des États regroupés au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine. L’OUA se présentait comme une réponse aux aspirations des populations d’Afrique vers la consolidation d’une fraternité et d’une solidarité intégrées au sein d’une unité plus vaste qui transcende les divergences ethniques et nationales. Mais paradoxalement, Houphouët-Boigny, qui a joué un rôle de tout premier plan dans la création de ce mouvement en 1963, n’a jamais cru en ses finalités. Ce dirigeant ivoirien assimilait plutôt l’organisation à un parlement, voire une cours de justice, qui s’arrogeait de plus le droit de critiquer sa politique. C’est le cas de plusieurs projets politiques qui tout compte fait, semblent n’avoir rien apporté à la résolution des maux réels des Africains, qui visiblement en sont, de préférence, restés aux simples mots.
Comment associer les citoyens à l’action publique ?
Les ambitions parfois démesurées des leaders africains ont peiné à produire les effets escomptés, par absence de concertation et de dialogue social, par la communication, au sens de la négociation. En Afrique, dans les années 1990 en effet, les conférences nationales, le « printemps » de la presse, avaient laissé entrevoir une prise en charge par les populations de leur destin. Les risques majeurs demeuraient tout de même : la détermination par l’Occident de l’avenir de l’Afrique ; les pouvoirs qui se voulaient providentiels et les nouvelles menaces liées au terrorisme. En Côte d’Ivoire, depuis la réinstauration du multipartisme en 1990, la compréhension effective de la nécessité de discussion n’est pas être encore encrée dans les mœurs, selon le constat. En effet, dans ce pays, les crises sont liées d’une part à un mauvais legs de la colonisation française et d’autre part aux modalités de la naissance d’une société politique ivoirienne. Afin d’éviter une rechute en 2011, le président élu, Alassane Ouattara a tenté de trouver des solutions aux maux qui minent son pays. Mais sur ce plan, le dialogue politique a du mal à fonctionner. Le pouvoir et l’opposition sont de plus en plus dans sorte d’incommunication la plus totale, au sens ‘’woltonien’’ du terme.
La communication politique comme solution aux maux de l’Afrique ?
Le succès de la démocratie et de la culture politique en Afrique repose sur une bonne stratégie de communication politique ; ce qui suppose l’existence d’un vrai espace public où vont s'échanger les discours contradictoires. Pour ce faire, les citoyens doivent s’identifier, d’une manière ou d’une autre, aux discours ou enjeux qui circulent dans les agoras. Cette communication doit enfin reposer sur le modèle dialogique, qui met en présence des individus, l’espace public et les médias. L’Afrique doit donc relever le pari de la démocratie, par la communication, si ce continent veut être véritablement démocratique comme les autres. La modification des équilibres géostratégiques, la révolution numérique et les défis de l’accoutumance au changement climatique, l’économie mondiale ont créé de profondes mutations dans le monde. L’Afrique a pour obligation de trouver son positionnement au sein de ce nouveau paysage sans cesse évolutif. De notre point de vue, ce challenge passe par une communication politique bien repensée.
4 Commentaires
Anonyme
En Septembre, 2018 (08:18 AM) Très bien écrit et bien analysé. Bravo aux intellectuels africains en général et ivoiriens en particulier.Anonyme
En Septembre, 2018 (10:26 AM) Dr Doua, je crois que c'est le chef du département communication. C'est un intellectuel vrai. Au temps, où il était au Ministère du Plan, il faisait parfois de bonnes sorties. je le connais bien et je sais aussi que c'est un homme du showbizAnonyme
En Septembre, 2018 (20:16 PM) très bon articleJean Charles Anoh
En Septembre, 2018 (14:55 PM) Votre article est très enrichissant très cher maître. Si chaque citoyen africain en général et ivoirien en particulier lisait ces genres d'article (une seule fois dans sa vie au moins), le continent africain serait à l'abri du "tribalisme politique" qui plonge le plus souvent les pays africains dans des crises sociopolitiques lors des élections présidentielles en Afrique.Je vous remercie !
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