Juriste et analyste politique, et auteur de plusieurs œuvres dont « Côte d’Ivoire : la troisième république est mal partie », Geoffroy Julien Kouao parle au président Ouattara quant à la gestion de la crise politico-militaire et sociale que vit le pays. Il a accordé une interview à Ivoire Matin.
La Côte d’Ivoire est secouée depuis peu par des mutineries, des remous sociaux. Comment l'analyste politique vit cette situation ?
A l'image des tremblements de terre, les conflits ou les guerres, après leur cessation, connaissent des répliques. Les mutineries, les remous sociaux qui secouent la Côte d'Ivoire actuellement sont les répliques de la rébellion de 2002 et de la crise post-électorale de 2010. Tout ceci pour dire que nous ne sommes pas définitivement sortis de d'une décennie de crise. Les gouvernants doivent redoubler d’effort et d'intelligence pour apporter les réponses, les meilleures, à ces situations qui abîment considérablement l'image de la Côte d'Ivoire.
Quel est votre avis sur la gestion de cette crise par le gouvernement ?
Contrairement à ce que croit une partie l'opinion publique, le gouvernement a agi avec habilité. La gestion d'une mutinerie est très délicate, surtout que derrière tout ceci il y avait des revendications financières. L'Etat de Côte d'Ivoire n'était pas partie au contrat liant les ex-rebelles et leur hiérarchie. De ce qui précède, l'Etat n'a aucune obligation envers les 8400 ex-forces nouvelles. Mais la sécurité des citoyens et la paix sociale étaient menacées, le gouvernement ne pouvait que réagir dans le sens qu'il a choisi, c'est à dire payer les primes promises en janvier 2017. Périsse un principe que périsse l'Etat. Parce que si l'enjeu des mutineries est le paiement des primes, ce qui est en jeu c'est la paix sociale et la survie de l'Etat.
N'encourage-t-il pas ainsi les autres groupes qui revendiquent (ex-combattants et fonctionnaires) et ne croyez-vous pas que cette gestion va provoquer une scission dans l'armée ?
A l'observation, oui. Puisque selon la presse nationale, les mutins réclameraient maintenant chacun une villa. Mais le gouvernement pouvait-il faire autrement? Comment discuter avec des gens en armes? Je pense que la question a pris une proportion nationale. Aussi, il importe que le gouvernement associe l'opposition politique dans le règlement définitif de ce malaise au sein de l'armée. Une scission de l'armée ivoirienne? Je ne le pense pas. Les mutins veulent une chose: leur argent. C'est tout. Ils n'ont pas d'autres idées derrière, c'est dire qu'ils ont un sens aigu des valeurs républicaines. Dans tous les cas de figure, ces mutineries sont les conséquences de nos inconséquences politiques.
Vous dites qu'il ne peut pas avoir de scission dans l'armée. Mais ne pensez-vous pas que les autres corps dans l'armée qui n'ont pas été satisfaits peuvent être frustrés vis-à-vis de cette gestion parcellaire ?
C'est une réaction normale et compréhensible. C'est pourquoi j'invite le pouvoir à associer l'opposition politique dans ses tentatives de résolution de la crise. Une sorte de consensus politique pour parler aux Ivoiriens et aux militaires et leur dire les efforts à faire de part et d'autre. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que le gouvernement seul a les réponses à cette crise au sein de la grande muette, trop souvent bavarde.
Vous êtes l’auteur de "Côte d'Ivoire : la 3e république est mal partie", croyez-vous que ces remous sont symptomatiques de ce que vous dénonciez
Oui! Dans "Côte d'Ivoire : la troisième république est mal partie", j'attirais l'attention des uns et des autres sur la nécessité de construire des institutions fortes à partir du principal instrument juridique qu'est la constitution. Personne ne m'a écouté. Dans "Et si la Côte d'Ivoire refusait la démocratique?" je donne modestement quelques axes et objectifs stratégiques et opérationnels pour répondre aux défis qui sont les nôtres. Malheureusement, les hommes et femmes politiques ivoiriens ne lisent pas.
Dans le cas d'espèce, quelle doit être la démarche?
Dans une telle situation de crise grave, le gouvernement dispose d'une double solution juridique et politique. Juridiquement, le président peut user de ses pouvoirs de crises que lui confère la constitution pour prendre des mesures exceptionnelles exigées par le contexte. Mais je ne crois pas à l’efficacité de l'usage de l'article 73 de la constitution. Il reste l'option politique, le gouvernement doit associer l'opposition politique dans la gestion de la crise, lui demander de l'aider à expliquer aux Ivoiriens la nécessité de prendre l'argent dans les caisses publiques pour résoudre définitivement cette question des mutins. Tout ceci montre bien que dans une démocratie, l'usage des armes comme moyen d'action politique est une aventure, une erreur.
Sinon doit-on craindre une fin précoce de la 3e république?
Dans tous les cas, la troisième république est grippée et toussotant .... et c'est le moins qu'on puisse dire.
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