Dans le cadre de ses activités, l’Association de la presse
étrangère en Côte d’Ivoire (Ape ci) a reçu ce mercredi 17 juin 2020 sur sa
plateforme d’échanges WhatsApp dénommée « Foreign press News » le Président du
COJEP, monsieur Charles Blé Goudé.
Au cours de cette interview, les sujets évoqués tournaient
essentiellement autour des relations entre les autorités ivoiriennes et monsieur
Blé Goudé en Côte d’Ivoire ainsi que de la formation d’une coalition entre les
partis d’opposition pour les élections présidentielles de 2020.
Innovation Afrique et
Ras Médias : M. Charles Blé Goudé, vous
vous préparez à rentrer en Côte d'Ivoire. Quelles sont vos relations avec les
autorités en place vu que vous êtes condamné à 20 ans de prison en Côte
d'Ivoire ?
Blé Goudé : L'état de mes rapports avec le régime en
place est connu. Voilà ! Les relations
ne sont pas au beau fixe. Vu que nous avons eu une crise profonde ce pour laquelle
je suis ici. Mais je pense qu'il y a un temps pour se battre et un temps pour
parler de paix. Et c'est à cela que moi je voudrais inviter les uns et les
autres. Tournons la page et puis regardons l'avenir. Les survivants à toute
guerre ont un devoir, c'est de faire la paix et faire en sorte que les douleurs
cimentent la suite de la vie du pays pour que ce pays soit en paix. Les
exemples sont légions dans le monde.
Voilà, l’Allemagne et la France qui aujourd'hui sont le poumon de
l'économie de l'Union Européenne. Partout on parle de paix. Je souhaite que la
Côte d'Ivoire tire les leçons de ce qui est arrivé et que nous en tant que
leader on puisse sensibiliser notre peuple à oublier cette autre page.
Agence Reuters : Je voudrais savoir si vous avez déjà entamé
des discussions avec le pouvoir pour un éventuel retour au pays ? Comptez-vous rentrer avant ou après les
élections du 31 Octobre 2020 ? Vous avez
été condamné à 20 ans de prisons pour des délits sensiblement pareils à ceux
pour lesquels vous avez été jugés et acquittés à la CPI. Êtes-vous disposé à
rentrer en CI malgré tout et êtes-vous disposé à demander un nouveau procès à
la justice ivoirienne une fois sur place ?
Blé Goudé : Cela ne dépend pas de moi seulement. J'ai
exprimé ouvertement, publiquement mon intention, ma volonté de rentrer chez moi
en Côte d'Ivoire auprès des miens. J'ai formulé cette demande auprès des
autorités de mon pays. J'attends une suite. Et puis la décision sera prise. Une
fois qu'il m'aura été accordé de rentrer chez moi, en ce moment je peux établir
un agenda. Mais je suis encore dans le principe avant que je ne rentre dans les
modalités. Voilà ce que je voulais dire.
En ce qui concerne les
20 ans de condamnation. Vous savez tout ce qui est politique se règle
politiquement. Le président Henri Konan Bédié avait un mandat d'arrêt contre
lui quand il quittait la Côte d'Ivoire pour s'exiler en France après le coup
d'État qui a eu lieu contre lui. Le président Alassane Ouattara avait un mandat
d'arrêt contre lui. Ensuite ils sont rentrés en Côte d'Ivoire où on n'a plus
entendu parler de ces mandants d'arrêts. Là où on parle de paix, là où on parle
de réconciliation, je pense qu'on ne fait jamais assez pour pouvoir rassembler
la Côte d'Ivoire... J'allais dire pouvoir rassembler les fils et filles de ce
pays-là. Ce n'est pas une première ce que je suis en train de demander. Je ne
quémande pas de rentrer chez moi, je dois rentrer chez moi. Je dois rentrer
chez moi. Je veux rentrer chez moi. Je ne suis pas hollandais. Je ne suis pas
européen. Je suis venu ici pour subir un procès. L'institution judiciaire qui
m'a retenu ici me met en liberté et me dit que je peux rentrer chez moi.
J'attends maintenant que les autorités de mon pays me le permettent. Et je leur
dis, je m'en remets à leur décision.
Senegalnet.com : Tout dernièrement sur France24, vous avez
tendu la main aux autorités de ce pays. Est-ce qu'on peut savoir depuis cette
annonce, s’il y a eu une suite favorable pour vous ? Il y a également une
partie du peuple qui se réclame victime et qui est toujours en train de parler
de votre retour. Quels conseils pouvez-vous donner à ces populations pour
comprendre la nécessité de la réconciliation et essayer d'accepter ce qui est
fait ? En tant que leader de la Voix du peuple et président du COJEP, qu’est-ce
que vous pouvez dire à ceux-ci afin qu’ils reviennent à la raison pour qu'on
puisse réaliser la réconciliation à 100%?
Blé Goudé : Je voudrais à la réponse à votre première
question c’est à dire qu'elle est la suite à la main tendue ? D'abord cette expression
a suscité beaucoup de commentaires. Oui !
« Blé Goudé n'est rien », « Il se fout du pouvoir en place », « comment
peut-il être si arrogant et prétendre tendre la main ?» Vous savez, moi je voudrais attirer
l'attention des uns et des autres sur la situation de notre pays. Notre pays sort petit à petit d'un
traumatisme. Les rancœurs sont encore là. Il vous suffit d'aller sur les
commentaires sur les réseaux sociaux, vous verrez que la guerre s’est déplacée
sur la toile. Comme si les uns et les autres attendaient la moindre occasion
pour se rentrer dedans. Savons-nous ce que notre pays a vécu ? Moi je pense que
chacun doit plutôt chercher à apaiser la situation. Je suis un citoyen ivoirien.
J'ai été transféré à la Haye pour y subir un procès. L'institution judiciaire à
laquelle mon pays m'a remis m'a acquitté et me permet après plusieurs mois
maintenant de pouvoir rentrer chez moi. Cela fait 6 ans que je suis ici.
Maintenant, ai-je eu tort ? Je dis que je m'en remets aux
autorités de mon pays. C'est la moindre
chose que je puisse faire. Je ne peux pas débarquer à Abidjan comme ça comme un
Django. Non ! Je ne peux pas non plus narguer les autorités de mon pays. Il
faut comprendre le fond de l'idée. Je dis la Côte d'Ivoire a une longue
tradition d'aller chercher ses fils et ses filles qui se trouvent à l'extérieur
du pays du fait d'une crise ou du fait d'une opposition dans les idées. En
1982, le président Laurent Gbagbo opposant en son temps a quitté la Côte
d'Ivoire pour s'exiler en France. Le président Houphouët-Boigny, tout puisant
qu'il était, il n'y avait même pas de réseaux sociaux à cette époque mais il
est allé chercher le président Laurent Gbagbo. Il l'a reçu en Côte d'Ivoire en
septembre 1988. Et quand Laurent Gbagbo rentre en Côte d'Ivoire, il ne devient
pas PDCI-RDA. Il continue ses activités en tant qu'opposant au parti qui était
au pouvoir en ce temps. Voilà la grandeur dont Houphouët Boigny a fait preuve
parce qu'il avait besoin de rassembler les fils et filles de la Côte d'Ivoire ;
pays dont il était le président.
En 1999, quand le
régime d'Henri Konan Bédié tente d'arrêter l'opposant Alassane Ouattara en son
temps, il s'est encore trouvé un certain Laurent Gbagbo opposant qui a été au
siège du RDR pour apporter son soutien à l'opposant Alassane Ouattara. Quand toute son équipe a été arrêtée, madame
Henriette Diabaté et bien d'autres leaders du RDR en son temps, Laurent Gbagbo
encore a engagé sa personnalité pour obtenir la libération de toutes les
personnalités du RDR en son temps. Nous étions en 1999. Moi-même, j'étais en
prison à la MACA à cette époque-là en tant que leader étudiant. Quand après le
coup d'État, contre le PDCI-RDA, les différents responsables, les différentes
personnalités du PDCI-RDA ont été détenues à AKOUEDO par la junte militaire, il
s'est encore trouvé un certain monsieur Laurent Gbagbo, opposant en son temps,
qui a fait le déplacement à Akouédo pour demander à la junte militaire de
mettre en liberté ces autorités qui avaient dirigé la Côte d'Ivoire au
haut-niveau. Après cela, le président Laurent Gbagbo est allé rencontrer le
président Henri Konan Bédié à Paris. Et en Octobre 2001, le président Henri
Konan Bédié après le coup d'État est rentré en Côte d'Ivoire. Il a été a
accueilli par ses partisans et il est rentré chez lui. Il n'est pas devenu
Front populaire ivoirien. Il a continué ses activités en tant qu'opposant. Un
mois après, c'est à dire en novembre 2001, l'opposant Alassane Ouattara est
rentré en Côte d'Ivoire. Lui aussi accueilli par ses partisans. Laurent Gbagbo
était toujours au pouvoir.
Aujourd’hui, cela fait
10 ans que le président Laurent Gbagbo et moi nous sommes à l'extérieur de la Côte
d'Ivoire. La justice internationale nous a acquitté et nous donne l'opportunité
pour que nous rentrions chez nous en Côte d'Ivoire. Moi je dis, je m'en remets
aux autorités de mon pays. Il leur appartient de prendre la décision qui elles
pensent est bien pour la Côte d'Ivoire. Moi, je pense que les filles et fils
devraient se retrouver autour d'elle. Je
reste opposant. Je viens et mon leitmotiv c'est le dialogue, rien que le
dialogue, pas pour une soumission parce que je reste avant tout un opposant au
régime, c'est ça que je suis, je suis président d'un parti politique, président
d’une coalition. Mais je me dis qu’il y a un moment pour se battre et il y a un
autre moment pour parler de paix. Voilà ce que je voulais dire en ce qui
concerne cette question. Pour les victimes, je le dis, on ne peut pas parler de
guerre sans parler de victime. Il y 'a eu des victimes partout. J'ai du respect
pour ces victimes. J'ai du respect pour leurs douleurs. J'ai du respect pour leurs ressentiments.
Mais je ne peux m'adresser à mes frères et à mes sœurs ivoiriens que si je suis
en Côte d'Ivoire. Je suis encore dans une procédure bien que je sois en
liberté. La procédure est encore pendante, elle est en cours. J’aurais
l'occasion de m’adresser à ces victimes. Mais à un aucun moment, je ne vais me permettre
de les narguer.
« Non
! Je ne suis pas candidat aux élections de 2020 »
Al jazeera et
Associated press télévision news : Où
en êtes-vous au sujet de votre retour en Côte d’Ivoire ? Que dit le Gouvernement à propos de votre
retour au pays ? Quel plan envisagez-vous de mettre en place pour les élections
présidentielles de 2020 ? Au cas où vous n'êtes pas rentré au pays,
envisagez-vous de nommer un dauphin ou tout simplement serez-vous prêt à
soutenir un autre candidat d'un autre parti politique ? Si c'est le cas, qui est votre favori ? Quel sera votre plan si vous n'êtes pas autorisé
à rentrer au pays ?
Blé Goudé : Je voudrais dire que j’ai moi-même exprimé
mon intention de rentrer chez moi en Côte d'Ivoire mon pays. Une telle question
ne se règle pas en 48 heures ni en une semaine vu la profondeur de la crise que
mon pays a traversée. Je ne mets aucune
pression sur les autorités de mon pays. Je leur laisse le loisir d'examiner la
demande que j'ai formulée. Et puis, j'attends le retour. Comme je l'ai tantôt
indiqué sur plusieurs chaînes, sur plusieurs médias, j’ai instruit le COJEP,
mon parti politique d'entreprendre des démarches auprès des autorités
ivoiriennes. Mais j'ai aussi missionné certaines bonnes volontés dans ce sens.
J'ai été patient pendant plus de 7ans, je serai patient pour quelques semaines.
Donc j'attends le retour et j'espère que tout se passera comme tout le monde
l'attend. Pour les élections de 2020, c'est-à-dire dans quelques mois si Dieu
le veut. Vous me demandez si au cas où mon retour est empêché je désignerais un
dauphin et quel plan j'ai ?
Non ! Je ne suis pas
candidat aux élections de 2020. Je souhaite que cela soit clair une bonne fois
pour toute. J'ai donc pris du recul. J’ai été sollicité par certaines
associations, certains syndicats, certaines ONG pour conduire une plateforme,
une coalition citoyenne dénommée « La voix du peuple ». Qui comme son nom
l’indique, va donc porter la voix, les meurtrissures, les souhaits de ceux
qu’on n’entend pas souvent mais qui ne peuvent pas mettre en mission des
autorités qui viennent solliciter leurs suffrages lors des élections. Nous
allons donc nous contenter cette année, en tout cas en ce qui nous concerne, de
sensibiliser à l’action citoyenne, de sensibiliser sur l'importance du vote, de
sensibiliser à ce qu'on est le moins possible d'abstention de vote, et nous allons
mutualiser nos voix pour que la voix du peuple soit entendue. C'est à dire que
le peuple ne soit pas mis aux oubliettes, c'est à dire sensibiliser les
ivoiriens à ce que le débat politique en Côte d'Ivoire et le choix dans les
urnes soit détribalisé. Et que ce choix-là se fasse sur la base d'un projet de
société qui tienne compte du peuple. Voilà ce à quoi nous allons travailler
cette année. Dans ce rôle, je n'aurais donc pas besoin de désigner un dauphin.
Je ne suis pas candidat et donc je ne vais pas désigner de dauphin. Je suis
avec la société civile. J'ai mis de côté les ambitions de mon parti politique
pour le moment pour cette année 2020. Je vais travailler avec la société civile
à ce qu'il y ait une conscience nationale au sujet du vote qui doit désormais
compter. Parce que la voix de chaque ivoirien doit être son éducation, doit
être sa santé, doit être j'allais dire sa sécurité. C'est-à-dire mutualiser les
voix, missionner une personnalité politique qui nous aura convaincue pour que
désormais les besoins du peuple soient pris en compte.
Ivoirematin : Votre compagnon de lutte à la Fesci,
Guillaume Soro, qui a été alternativement votre adversaire et votre allié
politique, et qui a également joué un rôle important dans la chute de la
Majorité présidentielle (LMP) que vous défendiez à l’époque, est en bisbille
avec les autorités ivoiriennes et se retrouve aujourd’hui en exil en France.
Quel commentaire ?
Blé Goudé : Moi, par éducation, je ne me réjouis jamais
du malheur des autres. Je souhaite simplement que toutes les filles, tous les
fils de la Côte d'Ivoire se retrouvent autour de la Côte d'Ivoire pour tourner
cette page tragique que notre pays a connu. C'est à cela que je travaille et je
voudrais bien participer à cet autre acte de la vie de mon pays. Pour le reste,
j'espère que nous aurons tous tiré les leçons de ce qui est arrivé à notre
pays. Et qu'en tant que leader, nous devons impacter positivement tous ceux qui
sont nos partisans pour qu'on regarde l'avenir avec beaucoup d'espoir.
Lagune info et
Mapresse : Monsieur le président,
depuis l'allègement de vos mesures de détentions qui vous présentent
aujourd'hui comme un homme libre donc l'objectif est de retourner en Côte
d'Ivoire. Dans la constitution de la Côte d'Ivoire, il y a un article qui ne
stipule qu’aucun ivoirien ne peut être maintenu en exil. Donc vu cet article,
Est-ce qu'on peut dire que votre retour doit se faire sans condition préalable
?
Blé Goudé : Je vais être direct. On ne peut pas dire que
mon retour en Côte d'Ivoire doit se faire sans condition. Je ne voudrais pas
parler ainsi. Vous l'avez dit vous-même, cela fait plusieurs années que j'ai
été absent de la Côte d'Ivoire pour des raisons judiciaires. Aujourd’hui,
l'institution judiciaire qui a fait peser sur moi des soupçons et m'a soumis à
un procès, m'a acquitté et me permet aujourd'hui de rentrer dans mon pays.
C'est un fait. Mais vous venez de le dire mon pays a connu une crise très
difficile, des cœurs sont meurtris. Il y'a un groupe qui me voit en ange et un
autre groupe qui me voit en démon. Et ensuite, il y a des autorités en Côte
d'Ivoire. Non, je ne peux pas descendre comme cela en Côte d'Ivoire. Je dois
prendre langue avec les autorités de mon pays pour que je puisse savoir comment
je rentre dans mon pays. Après plusieurs années d'absence, la Côte d'Ivoire a
changé politiquement, elle a changé socialement, elle a changé sur beaucoup de
plans. Je ne suis pas venu ici à un dîner gala, il y a une crise de confiance
profonde entre ivoiriens au-delà des autorités. Moi, je pense que l'élégance
africaine me recommande de m'en remettre à la décision des autorités de mon
pays. J'ai exprimé clairement mon intention de rentrer en Côte d'Ivoire. Et
j'espère que je serais le bienvenu chez moi. C'est vrai que je n'ai pas d'autres
terres que la Côte d'Ivoire, mais est-ce que cela suffit. Entre le souhaitable
et le possible, vous voyez qu'il y a un gap. Donc j'ai exprimé clairement mon
intention de rentrer chez moi et j'attends la suite pour que je puisse prendre
part moi aussi au processus de réconciliation dans mon pays et à la vie
politique.
« Léguons
à notre jeunesse, des règles, des lois pour la postérité. C'est important. »
Agence Bloomberg
: Comment vous interprétez le fait que
tous les candidats potentiels dont vous-même, sont de manière concrète exclus
du scrutin présidentiel pour cause de décision de justice ?
Blé Goudé : Je voudrais donc dire que c'est tout cela qui
me fait dire qu'on n'a pas tiré les leçons de ce que nous venons de vivre.
Allez-y interroger l'histoire de la Côte d'Ivoire, l'histoire récente de la
Côte d'Ivoire. Toutes les crises que notre pays a vécues ces 20 dernières
années prennent leur source dans le refus de telle ou telle candidature ou dans
l'exclusion de telle ou telle candidature. C'est un fait. Et le parti au
pouvoir ne dit pas le contraire. Est-ce qu'on va recommencer les mêmes erreurs
? C'est ce que j'appelle tirons les leçons de notre passé récent. Et puis
acceptons de léguer aux jeunes générations un pays avec des règles, avec des
institutions impersonnelles qui puissent servir pour la postérité. Soyons des
hommes d'État, mettons-nous au-dessus des ambitions immédiates, mettons-nous
aujourd'hui au-dessus des ambitions des clans et construisons une action.
Léguons à notre jeunesse, des règles, des lois pour la postérité. C'est
important.
Innovation Afrique et
Ras Médias : La CPI vous a rendu libre aujourd'hui après plusieurs années à la
Haye. Donc vous vous préparez pour rentrer dans votre pays la Côte d'Ivoire.
Selon vous, comment comptez-vous engager la réconciliation entre ivoiriens
malgré toutes les blessures qu'ils ont eues ?
Blé Goudé : Je
voudrais dire que tous nous sommes conscients de la situation que notre pays a
vécue. C'est un véritable traumatisme sans précédent que la Côte d'Ivoire a
vécu. Mais c'est dans ces moments difficiles qu'on voit la grandeur d'un peuple
mais aussi des leaders de ce peuple. Vivre une crise, c'est vrai, c'est très regrettable.
Je voudrais ici m'incliner devant la mémoire de toutes les victimes, saluez
prompt rétablissement autant physique et moral à toutes ces victimes-là. Mais à
la population ivoirienne en général. Beaucoup de nations ont traversé des
situations difficiles, mais ont réussi à tirer les leçons de ces meurtrissures
qui ont cimenté l'élan de leur développement. Les leaders africains, les
leaders ivoiriens devront comprendre que la Côte d'Ivoire n'a plus besoin d'un
autre traumatisme. Elle a plutôt besoin que ses fils et ses filles se
rassemblent autour d'elle. Je n'ai pas de potion magique, je dirais que je suis
un être humain, je voudrais juste en tout cas ajouter ma pierre à l'édifice. Un
mot, une action, que dois-je faire ? Je ne peux rien faire seul. C'est
ensemble, j'espère que nous allons réussir cet exercice difficile mais
inévitable. Si nous voulons reconstruire la Côte d'Ivoire, on ne peut pas
sauter la case pardon, on ne peut pas sauter la case réconciliation pourvu que
nous ayons tous pris conscience de ce qui nous ait arrivés par le passé. Mais
Je suis disposé moralement, je suis disposé physiquement pour apporter ma
pierre à l'édifice.
Lagune info et
Mapresse : Vous avez déclaré que la Côte d'Ivoire n'a pas besoin d'une autre
crise. Vous avez demandé à ce qu'on tourne la page. Mais de là où vous êtes,
aujourd'hui quand vous parcourez les réseaux sociaux, quand vous parcourez la
Une des quotidiens ivoiriens, est-ce que vous avez l'impression que les
ivoiriens ont vraiment tourné la page ? Est-ce qu'au vu des crispations, des
écrits qu'on lit sur les réseaux sociaux et même à la Une des journaux, est-ce
que vous avez l'impression que vous vous êtes entendus en ce moment par rapport
aux déclarations de paix, de rassemblement que vous soutenez aujourd’hui ?
Blé Goudé : De ce qu'il m'est donné de lire, d'entendre,
moi j'ai peur. J'ai peur pour la Côte d'Ivoire que 10 ans après nous n’ayons
pas tourné la page, que 10 ans après nous n'ayons pas tiré les leçons de ce qui
est arrivé à notre pays. Et pourtant avant nous, d'autres nations ont connu la
guerre, d'autres nations ont connu des conflits... Mais pour pouvoir tourner la
page d'un conflit, pour pouvoir reconstruire un pays qui a connu un conflit
d'envergure comme celui que la Côte d'Ivoire a connu, tout dépend des leaders
d'opinions, des leaders de la classe politique qui doivent tirer le wagon pour
sensibiliser les différents partisans. Mais ici j'ai bien l'impression que tout
ce qui compte pour les uns et les autres, c'est comment gagner les élections.
La vie de la Côte d'Ivoire ne se résume pas à une élection. Ceux que nous allons diriger sont meurtris,
continue de se battre sur les réseaux sociaux.
Que faisons-nous pour leur indiquer la voie de la paix ? Pour leur
indiquer la voie des retrouvailles ? L'Afrique du Sud est passée par là. Elle a
réussi à rassembler ses fils. L’Europe elle-même est passée par là. L'Europe a
compris qu'il valait mieux vivre sur un territoire de paix que de continuer à
se battre. Moi je pense que cette crise n'est pas au-dessus de nos
intelligences. Il manque une volonté politique. Mon souhait c'est que la classe
politique prenne suffisamment la mesure de ses responsabilités pour ne plus
conduire la Côte d'Ivoire vers une aventure sans issue. J'ai peur. J'ai peur pour
mon pays. Et pourtant je ne désespère pas.
« Faisons
un effort pour nous parler, faisons un effort pour faire la différence entre la
soumission et les compromis politiques. »
Ivoire matin : Il y a le parti politique de Laurent Gbagbo
qui est en train de tisser une alliance avec le PDCI d'Henri Konan Bédié. Quel
est votre avis sur cette alliance qui est en train de se tisser ? Est-ce que
vous partagez cela ? Est-ce que si vous rentrez par exemple en Côte d'Ivoire,
vous allez rejoindre cette coalition de partis d'oppositions qui est en train
de se mettre en place ?
Blé Goudé : Vous savez que dans notre pays, il est bon
que tous nous comprenions ce que c'est que le jeu politique. Deux partis politiques et non des moindres,
le PDCI-RDA et le Front populaire ivoirien (FPI). Le Président Laurent Gbagbo et le Président
Bédié décident de signer ce qu'ils ont appelé un accord cadre de collaboration
pour créer une alliance. Les raisons de cette alliance ont été rendues
publiques. Moi je n'ai pas d'avis à émettre. Je suis président du COJEP,
désormais président d’une coalition qui travaille à l'action citoyenne pour une
conscience nationale, pour sensibiliser les électeurs, en tout cas à l’importance
du vote pour faire en sorte que les élections se passent bien, c'est à cela que
je veux travailler. Pour faire en sorte que ce peuple-là compte désormais et
ses besoins soient pris en compte par les différents prétendants au sommet de
L'État. Je n'ai pas à émettre un avis sur une coalition entre deux partis
politiques responsables. Si je suis invité à cette coalition, dès le jour où
les responsables des différents partis politiques dont vous venez de parler me
contacteront, mon parti et moi, nous nous réunirons pour aviser. Mais pour
l'instant, je n'ai pas de commentaire à faire.
Rfi et Africa Radio :
Votre parti politique COJEP a signé le 28 Novembre 2019 le manifeste créant la
CDRP, plateforme initiée par Henri Konan Bédié qui le préside. Comment
s'explique votre choix d’adhérer à cette plateforme alors que la plateforme EDS
dont le référent politique est Laurent Gbagbo existait déjà ? Est-ce par parce
qu'il y a des difficultés relationnelles avec les cadres d'EDS notamment ceux
du FPI ? Pourquoi avoir créé le 13 Juin
dernier une autre plateforme La voix du peuple alors que vous êtes déjà membre
d'une plateforme non idéologique la CDRP et qui répond en quelques sortes à
l’objet de cette énième plateforme ? Comment vous prévoyez travailler
simultanément dans ces deux groupements ?
Blé Goudé : Je voudrais vous dire que la CDRP est une
plateforme non idéologique à but non électoraliste. Le COJEP y a adhéré. La
coalition La voix du peuple, mise en place, n'a pas du tout les mêmes objectifs
que la CDRP. La voix du peuple est une
coalition citoyenne qui regroupe des associations qui ont décidé de mutualiser
leurs voix pour pouvoir mener des actions citoyennes comme cela veut dire,
faire en sorte d'éduquer, d'encourager, de sensibiliser le peuple à
l’importance du vote. Nous n'avons pas pour objectif un jour en tout cas pour
l'instant de nous battre. Notre action est limitée à la formation, à travers des séminaires, à travers des
rassemblements, à travers des actions de porte à porte... D'abord, pour ces
temps-ci, encourager, sensibiliser les ivoiriens à aller se faire enrôler sur
la liste électorale. Ensuite, quand cela aura pris fin, passer à une autre
phase, la phase de la formation ; la formation à l'importance du vote, la
formation à accorder sa voix à une autorité non pas sur la base tribale, non
pas sur la base de quelques affinités, que ce soit plutôt sur la base d'un
projet de société qui aura convaincu et qui prend en compte les besoins du
peuple. Enseigner des valeurs est important. Et c'est à cela que nous voulons
travailler au niveau de La voix du peuple. Je voudrais donc vous dire qu’en ce
qui me concerne, j'ai été sollicité. Le COJEP et son leader prennent donc du
recul et se mettent à équidistance de toutes les formations politiques, se
mettent à équidistance de tous les candidats, et entend les rencontrer à temps
opportun pour pouvoir scruter avec eux leurs projets de sociétés. Ce qu'ils
prévoient pour le système éducatif, ce qu'ils prévoient pour la santé des
ivoiriens, ce qu'ils prévoient pour la sécurité des ivoiriens, et j'en passe.
Voilà notre objectif. C'est pourquoi les camarades ont mis en place cette
plateforme et m'ont sollicité. Je compte me mettre entièrement à leur
disposition et nous envisageons de faire en sorte que le maximum d'ivoiriens
s’inscrive sur la liste électorale et qu'enfin nous puissions avec eux amener
nos autorités à comprendre que c'est le peuple qui les met en mission. Ils ont
l'obligation de savoir qu'au centre de toute leur action doit se trouver les
préoccupations du peuple. Voici donc pourquoi La Voix du Peuple a été créée,
les actions que La Voix du Peuple compte mener et vous allez nous voir sur le terrain
dans les jours à venir.
Ape Ci : Nous
sommes au terme de cet entretien, votre mot de la fin
Blé Goudé : Je voudrais dire aux uns et aux autres que
si nous voulons construire une nation, si nous voulons que la Côte d’Ivoire
reprenne sa place dans le concert des nations, il va falloir beaucoup de
courage. D’un côté, panser les plaies de ceux qui sont meurtris, de l’autre
côté, rassurer les pleurs, et cela ne peut pas se faire sans courage, c’est la
responsabilité, c’est le rôle de la classe politique. J’en fais partie. Et ce
jour, je voudrais dire que je me rends disponible pour faire ma part. Je suis
un opposant, je continuerai de critiquer ce que j’estime n’être pas bien fait,
je continuerai d’apprécier ce que j’estime être bien fait, et je continuerai de
faire des propositions. Mais le plus important pour moi, ce n’est pas de gagner
les élections, mais de créer les conditions d’une élection transparente, de
créer les conditions d’une Côte d’Ivoire qui demain va prendre sa place dans le
concert des nations. Je ne désespère pas bien que j’aie peur. Les propos du
genre « non il n’y a rien, non il n’y a rien », je suis mieux placé pour vous
dire qu’il n’y a jamais rien. Faisons un effort pour nous parler, faisons un
effort pour faire la différence entre la soumission et les compromis
politiques. Tout est fait de dialogue, tout est fait de négociation. Nous qui
avons survécu à cette guerre, je pense que notre rôle est de créer les
conditions d’une paix durable en Côte d’ivoire. Voilà mon message, voilà mon
appel à la Côte d’Ivoire, je me remets aux autorités de mon pays et je souhaite
rentrer en Côte d’Ivoire pour prendre ma place auprès des miens. Merci à M'ma
Camara (Présidente de l’Ape Ci). On ne peut pas sortir d'une telle situation
sans laisser parler nos plumes. Le vécu doit être rendu. L'histoire doit être
écrite. On ne peut pas vivre une histoire comme celle-là, vivre une situation
comme celle-là. Moi j'ai fait deux ans au Ghana, quatorze mois de détention au
secret en Côte d'Ivoire, cinq ans et demi d'emprisonnement à la CPI. Ce serait
ne pas être à la hauteur de mon devoir que de me garder de partager avec la
jeunesse de Côte d’Ivoire, avec le peuple Africain, tous ces moments-là. Par devoir de mémoire, par devoir de
responsabilité, par devoir de vérité, j'ai presque fini d'écrire un livre qui
va paraître dans les mois à venir.
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