L’ex Président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent
Gbagbo a accordé sa première interview à TV5 depuis sa chute du pouvoir le 11
avril 2011 suivi de son transfert puis son incarcération à la Cour pénale
internationale à la Haye au Pays-Bas. Dans cette interview, l’ancien chef d’Etat
se prononce sur l'actualité politique ivoirienne et prend position pour l’opposition
dans son bras de fer avec le pouvoir.
Lire l'interview complète
TV5 : Monsieur le
Président bonjour.
GBAGBO Laurent : Bonjour
madame.
Et merci d'accorder
cet entretien à TV5 monde. Comment allez-vous depuis que vous avez recouvré la
liberté ?
Je me porte mieux. On
est toujours mieux quand on est en dehors des prisons que quand on est en
dedans. Donc je me porte bien.
Depuis le 15 janvier
2019, date de vote acquittement, vous vous terrez dans le silence. Pour
quelle(s) raison(s) avez-vous accepté de parler aujourd'hui ?
Vous savez depuis mon
arrestation en Avril 2011, je n'ai pas parlé. Sauf lors des interrogatoires
devant la Cour pénale internationale. Et quand j'ai été acquitté, j'attendais
d'être dans mon Pays avant de parler. J'attendais d'être en Côte d'Ivoire avant
de parler. C'est pourquoi depuis je ne parlais pas. Mais aujourd'hui, la date
du 31 Octobre approche, je vois que les querelles nous amènent dans un gouffre.
Et en tant qu'ancien président de la République, en tant qu'ancien prisonnier
de la CPI, ancien homme politique connu, si je me tais ce ne serait pas
responsable. Donc j'ai décidé de m'exprimer pour donner mon point de vue sur ce
qui ce passe en ce moment en Côte d'Ivoire. Et donner ma direction. Celle qui
me semble bonne.
Pour la
Présidentielle du 31 Octobre, vous partisans ont déposé votre candidature qui a
été rejetée. Est-ce que vous avez été surpris par le rejet de votre candidature
parce que vous ne remplissiez pas toutes les conditions ?
Nous étions 44
candidats. On a rejeté 40 candidatures. Vous voyez un peu. Donc... Je trouve ça
un peu enfantin. Je pense que dans un pays, ceux qui veulent être candidats
doivent être candidats. On ne doit pas multiplier les obstacles sur la route
des candidatures. Je ne conçois pas comme ça la politique.
Vous estimez que
certains candidats ont été sciemment écartés de la présidentielle ?
Bien sûr. Bien sûr. Mais bon, c'est pour tout ça que je m'exprime aujourd'hui.
Depuis l'annonce de
la candidature d'Alassane Ouattara pour la Présidentielle du 31 Octobre, pour
briguer un troisième mandat, la Côte d'Ivoire connaît une crise pré-électorale,
qui a fait d'ailleurs déjà plusieurs victimes à Abidjan et dans Plusieurs
villes de l'intérieur, est ce que vous comprenez la colère des anti-troisièmes
mandats ?
Oui. Oui. Je la
comprends et la partage. Je pense que l'un des problèmes politiques en Afrique,
c'est qu'on écrit des textes transitoires. On écrit dans la constitution que le
nombre de mandats est limité à deux (02). Pourtant on veut faire un troisième
mandat ? Il faut qu'on respecte ce qu'on écrit. Il faut qu'on respecte ce qu'on
dit. Dès l'instant où dans une société, les textes de lois et la constitution
qui est la loi suprême...
On dit d'ailleurs que c'est la loi fondamentale.
...c'est la loi
fondamentale. Les textes de lois qui régissent les rapports entre les citoyens,
disent une chose, il faut qu'on s'y conforme. Et c'est en s'y conformant que la
société est régulées de façon efficace. Si on écrit une chose et qu'on en fait
une autre, on assiste à ce qui arrive en Côte d'Ivoire aujourd'hui.
La situation
inflammable que connaît la Côte d'Ivoire depuis le mois de juillet, vous
préoccupe alors ?
Elle me préoccupe
absolument. Et je voudrais dire qu'on a un remède à cela. Le remède, c'est la
discussion. Il faut que les gens s'asseyant et qu'ils discutent.
Quand vous dites
"les gens s'asseyent" vous pensez à qui ? Alassane Ouattara, Henri
Konan Bédié, SORO Guillaume ?
Aux hommes politiques
en général. Je pense à ces trois-là. Mais le champ politique s'est élargi
depuis. Le champ politique s'est élargi. Mais depuis que Houphouët était
président, parce que j'ai été le seul à être candidat contre Houphouët Boigny,
j'ai été le seul en 90, mais je ne cessais de répéter: << asseyons-nous
et discutons>>. Avec la discussion, la négociation on règle beaucoup de
problèmes.
Mais monsieur le
Président, est ce que tous les trois vous n'avez pas une part de responsabilité
? Parce que depuis 30 ans vous cristallisez la scène politique Ivoirienne à
coup de désalliances et d'alliances. Est-ce qu'aujourd'hui le temps n'est pas
venu pour vous, tous les 3, de vous retirer et de passer la main à une nouvelle
génération?
On ne règle pas les problèmes politiques comme ça. C'est anti démocratique d'ailleurs de céder, de régler... J'entends souvent dire, orrr ces trois-là, il faut qu'ils partent, il faut qu'ils quittent. Mais de GAULLE, il est resté combien de temps devant la scène politique ? De 1940 à 1969. Son départ de l'Élysée après la défaite du référendum qu'il avait initié. François Mitterrand il est resté combien de temps ?
14
Non 14 ans l'Elysée.
Mais au-devant de la scène politique François Mitterrand était ministre depuis
les années 40, 50, puis il est passé dans l'opposition, puis il est devenu
Président.
Mais comparaison
n'est pas raison. La situation de la Côte d'Ivoire est particulière et vous le
savez. Depuis 1999 date du premier coup d'état, tous les trois vous occupez la
scène politique. Et aujourd'hui ce qu'on entend c'est que la jeunesse se dit
que vous devez passer la main à une nouvelle génération.
La jeunesse ne dit rien du tout (rires). Ce sont les autres
qui parlent pour notre jeunesse. Mais je ne voudrais pas focaliser la discussion
sur ce sujet. Parce que, bon, moi j'ai été mis en prison une décennie et la vie
a continué. Donc la vie peut continuer sans nous. Mais je veux dire que poser
le problème en ces termes-là, c'est encore tromper les Ivoiriens. En leur
disant, si ces trois-là s'en vont, tous les problèmes sont réglés. Or non.
Peut-être pas tous
les problèmes. Mais une grande partie des problèmes. Qu'est-ce que vous proposez
pour renouer les fils du dialogue entre Alassane Ouattara et les principaux
leaders de l'opposition dont vous faites partie ?
Il faut une auto
éducation. Il faut que les gens comprennent que dans la démocratie on se donne
des règles. On n'est pas d'accord. Dans la démocratie d'abord on se rend compte
qu’on n’est pas d'accord. C'est la première chose qui fonde la démocratie. On
n'est pas d'accord. Mais on vit ensemble dans un pays.
En bonne
intelligence.
Oui on doit vivre en
bonne intelligence. On doit se donner des règles. On doit se donner des règles.
Et une fois qu'on s'est donné des règles, il faut les respecter. C'est ça. Il
faut les respecter. Si on ne peut pas respecter les deux mandats, qu'on ne
l'écrive pas dans la constitution. Au temps d'Houphouët-Boigny, il n'y avait
pas de limitation de mandats.
C'était le parti
unique aussi.
C'était le parti unique. Mais il n'y avait pas de limitation de mandats. Quand il n'y a pas de limitation de mandats. On s'attend à tout. La limitation de mandats n'est pas obligatoire. Mais moi je la souhaite. Mais une fois qu'on a limité les mandats dans la constitution, il faut qu'on respecte cette limitation.
Face à ce qu'elle appelle
la dérive du pouvoir, l'opposition ivoirienne fait bloc. Et elle appelé à la désobéissance
civile. Un mot d'ordre qu’Alassane Ouattara n'entend pas puisque ça ne l'a pas
fait reculer. Et d'ailleurs ses partisans au RHDP disent le 31 Octobre, un coup
ko. Victoire au premier tour. Qu'est ce qui nous attend au lendemain du premier
octobre ?
La catastrophe. Ce qui
nous attend, c'est la catastrophe et c'est pourquoi je parle. Pour qu'on sache
que j'ai parlé. Pour qu'on sache que je ne suis pas d'accord pour aller pieds
et poings liés à la catastrophe. Pour qu'on sache que je dis qu'il y avait
autre chose à faire. Il faut discuter.
Monsieur le Président
cet entretien tire à sa fin, cela fait neuf ans que les Ivoiriens ne vous ont
vu, ni entendu, qu'est-ce que vous voulez leurs dire à la veille de cette date
cruciale du 31 Octobre ?
Discutez ! Négociez !
Parlez ensemble !
Il est encore temps
de la faire ?
Il est toujours temps
de le faire. Il est toujours temps de le faire. Il est toujours temps de
parler. Je voudrais dire aux ivoiriens que dans ce combat qui se mène
aujourd'hui autour du troisième mandat, je suis moi Laurent GBAGBO ancien prisonnier
de la CPI, je suis résolument du côté de l'opposition. Je dis vue mon expérience,
il faut négocier.
Merci !
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