Comment ne pas éprouver, dans le contexte socio-politique national actuel, la justesse de cette boutade, qui ne manque pas de piquant ni de sens, même si elle est abusivement élevée au statut de sagesse du temps ou de vérité axiomatique : «la Côte d’Ivoire, c’est la Côte d’Ivoire» ! Bien évidemment, la Côte d’Ivoire ne peut pas être l’Algérie, le Bénin, la Mauritanie, le Sénégal ou tout autre pays. Mais, n’est-ce pas là une image, rhétorique, pour souligner la spécificité de la Côte d’Ivoire, Terre d’espérance, pays de l’hospitalité où il fait bon vivre, même dans la bourrasque, et dont le Peuple se caractérise par un optimisme proche de l’insouciance.
Est-ce à dire, pour autant, que les ivoiriens sont condamnés, à jamais, comme par fatalité, à ne rien apprendre, ni à ne rien oublier ? Il y a bien lieu de le craindre ! En ce sens, l’état d’esprit belliciste des principaux responsables de la classe politique est un signe inquiétant. Depuis plusieurs semaines, tout se passe comme s’ils n’avaient pas tiré le moindre enseignement d’un passé, pourtant récent, dont le pays peine encore à effacer les balafres. Que l’opposition s’oppose,-sans jeu de mots-, à la politique mise en œuvre par le pouvoir en place, c’est son rôle, qu’elle pourrait évidemment jouer autrement et mieux !
Que des partis alliés au pouvoir revendiquent, avec insistance, leur tour de rôle à la tête de l’Etat en 2020 a de quoi se poser des questions, notamment celle de l’éthique en politique et des fins de la politique. Qu’un autre de ces partis alliés s’épuise dans une guerre singulière, contre soi-même est un signe de désespérance. En somme, tout porte à croire que la seule offre faite par l’ensemble de la classe politique aux ivoiriens consiste à leur présenter des candidats pour prendre la place de l’actuel occupant du fauteuil présidentiel… Aussi, convenait-il de mettre le holà, en rappelant à toutes et à tous l’éthique en politique et les fins de l’action politique, comme l’a fait le Président de la République, dans son adresse à la Nation du 6 août 2017.
On se souvient des différents mouvements sociaux de début de second mandat du Président de la République encore auréolé d’un taux de confiance de plus de 80% des électeurs ayant pris part à l’élection présidentielle d’octobre 2015. Ils n’avaient rien à voir avec des grèves classiques ou courantes, de fonctionnaires et agents de l’Etat ou de travailleurs du secteur privé. Les premiers sont survenus comme une échappée de vapeur, en réaction au réaménagement technique du Gouvernement opéré en janvier 2016. A travers des accusations directes de trahison présumée, de douloureux cris de révolte sincères et touchants et divers sentiments diffus de frustration exprimés, violemment et à visage découvert, par voie de presse et sur les réseaux sociaux, ces mouvements conduits par d’authentiques et de présumés partisans ont porté un coup d’arrêt brutal à la période d’état de grâce dont jouissait jusque-là le Président de la République.
La seconde vague a explosé, sans préavis, quasi-simultanément dans toutes les grandes métropoles du pays, probablement par effet de contagion. Elle a eu pour prétexte la cherté du coût de la vie ou les prix sur les marchés. Il en a été ainsi de ce qu’il a été convenu d’appeler «la crise des factures d’électricité» baptisée crise «des 200 facebookers», «l’affaire du prix des denrées sur les marchés» et «la crise du renouvellement des permis de conduire». Il n’est pas jusqu’à la clameur publique soulevée par la mise en œuvre effective d’une ancienne et banale circulaire encore en vigueur de la Direction Générale des Douanes, relative à «la déclaration en douane des effets personnels», que la pratique avait couvert d’une épaisse chape d’oubli, qui avait ajouté à la surchauffe sociale déjà perceptible à l’œil nu.
Banals mouvements d’humeurs sans lendemain, selon certains politiques, à travers des analyses déjantées agrémentant des dîners tardifs bien arrosés ! Manipulations politiciennes et manœuvres de déstabilisation, pour les officines de propagande politique et les «sécurocrates» en charge de faire prendre conscience de lui-même au bon petit peuple. Peut-être l’une ou l’autre de ces deux explications, peut-être les deux à la fois, parce qu’il ne faut rien exclure ! Tel était, en tous les cas, le contexte social dans lequel se sont déroulés les deux scrutins ayant suivi l’élection présidentielle d’octobre 2015 : le référendum du 30 octobre 2016 et les élections législatives générales du 18 décembre 2016.
Concernant le référendum, les responsables et les appareils des partis politiques alliés du RHDP, porteurs du projet de Constitution de la 3ème République, étaient déterminés, du moins à travers la communication plus que par les actions de terrain, y compris pendant la période légale de campagne, à en faire un remake de l’élection présidentielle.
Faut-il rappeler, ici, que la campagne officielle a été lancée dans un stade Félix-Houphouët-Boigny rempli au tiers. Malgré une communication exubérante déployée avant et pendant l’événement. Malgré également les appels à la mobilisation lancés aux militants et sympathisants des différents partis alliés du RHDP et le ramassage gratuit des populations du District autonome d’Abidjan et de nombreuses autres villes du pays, par autobus et cars de transport en commun communément appelés wouroufatôh. Malgré, enfin et surtout, le paiement de perdiems, âprement négociés, aux personnes qui acceptaient de faire… le détour.
L’opposition a eu beau jeu alors de pérorer que son appel au boycott actif et/ou citoyen du référendum a été entendu, cinq sur cinq. Mais, les élections législatives, qui ont eu lieu trois mois après le référendum, ont apporté un démenti cinglant à ce hourra de victoire, qui avait tout l’air d’une tentative de récupération politicienne peu glorieuse et guère habile.
Ces élections législatives, est-il besoin de le rappeler, ont enregistré la participation de toute l’opposition, qu’elle soit légaliste, légitimiste ou républicaine, à visage découvert ou sous le masque finalement impudique de candidatures indépendantes. Elle a battu campagne, sur l’ensemble du territoire national, dans ses fiefs présumés ou supposés comme ailleurs, avec les discours et les mots, qui la rendaient audible et visible et les moyens publics et privés dont a pu disposer chaque candidat des différentes chapelles politiques. Malgré tout, les électeurs, militants ou sympathisants politiques ou simples citoyens de la société civile, n’ont pas fait preuve d’un enthousiasme débordant, lors de ces scrutins.
Le même phénomène, sous une forme plus flagrante, s’est manifesté lors des différentes actions de rue organisées par l’opposition, toute tendance confondue, pour protester contre la politique menée par le pouvoir en place. Malgré les appels à la mobilisation lancés sur le ton du drame, de l’indignation et du tragique, les masses populaires attendues se sont résumées, à chaque occasion, à deux tondus et trois pelés, y compris les badauds des lieux où ont eu lieu, à dessein, les rassemblements.
La classe politique, toutes tendances confondues, semble indifférente à une analyse froide et sereine de ce phénomène inédit et pernicieux, ne serait-ce que par des méthodes empiriques, à travers ses appareils et leurs structures d’animation et de mobilisation, avant ou sur la base d’une enquête d’opinions conduite selon les règles de l’art. Or, une compréhension de la tectonique du phénomène pourrait lui permettre d’élaborer une stratégie efficace de remobilisation de ses militants et sympathisants et de reconquête du terrain.
Ainsi, l’opposition, qui assume son statut, s’oppose, bi-entête, à la politique menée par le pouvoir en place, en niant tous les acquis réalisés par celui-ci, sans bénéfice d’inventaire. Plutôt que de proposer d’autres projets de société assortis de programmes de gouvernement d’alternance, au lieu d’offrir des solutions ou des voies autres que celles mises en œuvre par le pouvoir en place pour changer le quotidien des ivoiriens, en lieu et place de la critique féconde des actions et du bilan de celui-ci, la seule offre politique qu’elle fait actuellement aux ivoiriens, à travers son discours, consiste à instrumentaliser la réconciliation nationale présentée comme une donnée et à exiger (de quelle autorité, ivoirienne ou étrangère ? serait-on tenté de se demander) la libération «des prisonniers politiques», en particulier l’ex-Président Laurent Gbagbo et Blé Goudé. En fait, cela ne devrait pas surprendre, puisqu’elle a fait ses preuves à la tête de l’Etat, avec le bilan que l’on sait, de 2000 à 2010.
Quant à l’un des partis alliés au pouvoir, il semble ne plus assumer son statut, depuis belle lurette. Rarement, on l’a senti concerné par la gestion des différentes crises auxquelles a eu à faire face le pouvoir dont il est comptable de l’action : crise des factures d’électricité, crise des prix sur les marchés, grèves des étudiants et des fonctionnaires, mutineries militaires. Rarement, on l’a vu endosser le bilan des gouvernements successifs auxquels il participe pourtant. Presque jamais, il n’est intervenu dans le débat public sur le procès de l’ex-Président Laurent Gbagbo et de Blé Goudé, à la Haye, au moment où les amis et les partisans de ces derniers font feu de tout-bois sur les antennes et les ondes des télévisions et des radios internationales. Critiquerait-il, ouvertement, la gestion du pouvoir en place qu’on trouverait une certaine cohérence ou logique au fait qu’il réclame, à cor et à cri, l’alternance en sa faveur en 2020, une alternance adultérée, sans la moindre promesse, même d’un espoir illusoire, qui constitue, jusqu’à nouvel ordre, son leitmotiv, sa seule offre politique.
Enfin, celui des partis alliés, qui est considéré par les autres, plus à tort qu’à raison, comme le véritable détenteur du pouvoir, semble avoir abandonné son projet du «Vivre ensemble», la réalisation de l’ambition partagée de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020, pour se laisser balloter, diviser et emporter par une guerre absurde entre les «pro» de «ses éléphants». La dernière mutinerie de la soldatesque de mi-mai 2017 a donné une dimension tragique et porté à son point culminant cette guerre intestine menée dans la presse écrite et les tranchées numériques des réseaux sociaux, sous la forme d’une guérilla urbaine virtuelle, sans qu’on puisse en deviner une issue autre qu’un suicide collectif et un chaos général, dont la clé de compréhension devrait relever plutôt de l’ésotérisme ou du mysticisme politique. Alors qu’il est engagé dans les préparatifs de son 3ème Congrès Ordinaire, l’instance où toutes les contradictions qui le traversent devraient pouvoir être débattues, où le linge sale devrait être lavé, en famille, un moment de catharsis collective.
A l’évidence, le discours politique tourne à vide, sans cible, ni objet. Les homélies, les prêches et les sermons politiques, de plus en plus électriques et véhéments et de moins en moins audibles et crédibles, même relayés massivement par les réseaux sociaux, à mesure que la ligne d’horizon de 2020 semble se rapprocher, montrent, jusqu’à l’aveuglement, que la classe politique s’écoute plus qu’elle n’écoute les populations devenues citoyens d’un monde plus que jamais intégré. On ne saura jamais insister, assez, sur le rôle dévastateur d’allumeur de mèche ou de propagandiste joué par certains journalistes, fidèles de chapelles politiques. La classe politique laisse penser que les bouleversements politiques qui s’opèrent à travers le monde ne sont, pour elle, que de simples accidents et des bégaiements de l’histoire.
Or, il est permis de se poser la question de savoir s’il n’y a pas une parenté directe entre ces bouleversements que les instituts de sondage d’opinions et les médias mondiaux n’ont guère vu venir et le phénomène d’apathie qu’on observe dans le comportement des populations ivoiriennes, en général. Ce phénomène n’est-il pas l’expression d’une défiance à l’égard des politiques, la traduction de la perte de crédit dans leurs discours, la preuve d’un rejet de leurs méthodes, de leurs pratiques, de leurs «us et coutumes» et du refus des appartenances héritées ou de quelque aristocratie nostalgique ou encore la manifestation d’un besoin de renouvellement du personnel politique ?
La tentation est prégnante de répondre par l’affirmative à ces interrogations. D’autant plus que les ivoiriens d’aujourd’hui, jeunes comme adultes, femmes et hommes, militants et sympathisants de partis politiques ou non, sont tous connectés au reste du monde grâce au net. Ils sont des quartiers huppés, mais aussi et surtout des zones de non-vie des bidonvilles et quartiers précaires, tels que «Adjouffou, Derrière Warf, Gonzaqueville, Jean Foly, Vridi Canal, Zimbabwe» à Port-Bouët, «Aklomiambla, Bia-Sud, Campement, Quartier Divo, Soweto, Zoé Bruno» à Koumassi, «Biabou, Bokabo, Derrière Rail, Djibi-derrière cimetière, Klouétcha» à Abobo, «Bromakoté, Djakouakou, Ouatt-City, Sodeci-Soleil» à Adjamé, «Boribana, Gbébito, Locodjoro, Mossikro» à Attécoubé, «Doukouré, Gbinta, Kowët, Mamie Faitêh, Nouveau Quartier Extension, Pays-Bas, Yamoussoukro, Yao Séhi, Wassakara» à Yopougon. Ils ont conscience, plus que jamais, du pouvoir qu’ils détiennent. Ils participent tous, directement et personnellement, à longueur de journées et de nuits, par des post ou des «like», sur les réseaux sociaux, aux débats d’enjeux nationaux et mondiaux. Ils savent que le droit qu’ils ont de voter aux différentes élections est une arme fatale. De ce fait, tous sont devenus plus exigeants, quant à la prise en compte de leur vécu par les politiques. On pourrait se contenter de relever, à cet égard, les critiques instinctives, acerbes et dépréciatives voire les procès à charge dont le pouvoir en place est l’objet, dans certains milieux populaires, autres que les chapelles politiques. Or, les acquis du bilan de celui-ci, seulement en six (6) ans à la tête de l’Etat, sont évidents, dans tous les domaines de la vie économique, culturelle, politique et sociale, au point où des observateurs avertis et dignes de foi parlent d’un second miracle que la Côte d’Ivoire connaît sous le régime du Président Alassane Ouattara. C’est dire que dans ses modalités actuelles d’exercice, la démocratie est en train d’être frappée d’obsolescence, du fait des réseaux sociaux.
Si la classe politique veut éviter de connaître la même désagrégation ou désintégration que celle survenue dans d’autres pays, elle gagnerait à être plus attentive aux angoisses des populations, à leurs douleurs, leurs doutes, leurs impatiences, leur mal-être et leurs peurs, mais également à leurs aspirations profondes, leurs attentes, leurs ferveurs, leurs incandescences et leurs rêves. Plutôt que de persister dans une posture consistant à regarder le peuple avec des lunettes d’hier et, le prenant de haut et se substituant à lui, à tenir le même discours paternaliste des pères fondateurs des années des indépendances… Elle ne saurait être suspectée, ni, a fortiori, reconnue coupable, d’un quelconque péché de populisme. Encore que le populisme, qualifié par François Lenglet (in, Tant Pis ! Nos enfants paieront) de «déferlante planétaire», dans le contexte socio-économique et politique actuel, structure désormais et jusqu’à nouvel ordre la vie des démocraties libérales, à travers le monde… Pour preuve, tous ces Présidents, Premiers Ministres ou leaders politiques surgis de nulle part, notamment dans les vieilles démocraties occidentales.
Ces nouveaux acteurs ne sont pas des accidents..., de l’Histoire contemporaine en train de s’écrire en lettres de feu, de larmes et de sang, mais bien l’expression du besoin de changement de l’ordre actuel par un ordre nouveau.
CISSE IBRAHIM BACONGO
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