Ce serait parier à perte à 100 % que de dire qu’ils n’y pensent pas chaque matin en se rasant.
A moins de deux ans des prochaines élections présidentielles prévues le dernier samedi du mois d’octobre 2020, Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ne pensent qu’à cette échéance. Cela est d’autant plus probable que leurs différents états-majors ne manquent pas de stratégies pour faire admettre leurs candidatures à ces élections. Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), celle de son leader, Konan Bédié, n’est pas de l’ordre de l’impossible.
Même si le concerné lui-même n’en parle jamais de façon publique, des indiscrétions foisonnent qui indiquent qu’en privé, il mûrit l’idée avec beaucoup de sérieux. Des cadres et militants du Pdci sont d’ailleurs favorables à cette candidature de Bédié qui, à 84 ans, n’est pas frappé par la limite d’âge, selon la Constitution de la IIIè République. « Nous avons dit, au Pdci, qu'il faut, pour 2020, un militant actif. Or, un parti ne confie pas sa direction à un militant non actif. Et puisqu'on a confié la direction du Pdci au président Henri Konan Bédié, je considère qu'il sera notre candidat en 2020 », fait valoir, avec insistance, le ministre Gnamien Yao, grand conférencier du Pdci.
Au cours de son 4e congrès tenu début août 2018, le camp Sangaré, l’autre fraction du Front populaire ivoirien (Fpi), plébiscitait, avec un score de plus de 97 %, le prisonnier Laurent Gbagbo comme son président, voire son potentiel candidat à l’élection présidentielle. Sangaré et ses hommes, dopés par la sortie de prison de Simone Gbagbo et des autres pontes du Fpi, croient mordicus en la libération de l’ancien président ivoirien et au retour de son parti au pouvoir, avec lui en tête. Ils y travaillent.
Au Rassemblement des républicains (Rdr), l’idée d’un autre mandat du président Ouattara à la tête du pays n’est absolument pas un sujet tabou. Certes, le président sortant a annoncé son retrait au profit d’une nouvelle génération de dirigeants, mais à condition que l’environnement politique au lendemain de sa retraite soit pacifié. « La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes », lâche l’actuel locataire du Palais d’Abidjan, dans une interview accordée à Jeune Afrique, le 03 juin 2018.
Contentieux non vidé. Les jeux restent donc ouverts pour ces trois dinosaures de la jungle politique ivoirienne. Chacun d’eux revendique le meilleur profil recherché par le peuple de Côte d’Ivoire. Ils ont en commun une sorte de vieux contentieux non vidé, de revanche à prendre sur l’histoire, surtout avec les scrutins présidentiels qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire pendant ces deux dernières décennies. Il se passe immanquablement des choses, différentes les unes des autres, dans la tête de chacun de ces trois leaders qui ont cristallisé – certains diront pris en otage - la vie politique ivoirienne pendant deux décades.
A en croire des sources bien informées, Bédié ressentirait encore le goût très amer du coup d’État du 24 décembre 1999 qui l’a déchu prématurément du pouvoir. Alors en pleine implémentation des 12 chantiers de l’Éléphant d’Afrique, son programme de gouvernement, il est brutalement interrompu. Un cadeau de noël dont le vieux se serait passé volontiers et qui continue de le hanter. En 2010, après la proclamation des résultats du premier tour des présidentielles, le Pdci informe l’opinion que 800.000 voix lui ont été volées. Bédié et ses hommes estiment qu’ils sont les grands vainqueurs du premier tour du scrutin et que leur victoire leur a été volée. Vrai ou faux ? En tout cas, cela en rajoutait à la dose de douleur et de colère, née du coup de 1999. Il éprouve alors comme une envie de corriger des injustices qui lui ont été faites à l’époque. L’échéance 2020 paraît à cet effet la seule occasion qui s’offre à lui pour laver l’affront.
On retrouve ce même goût d’inachevé et cette envie de finir ce qu’on a commencé chez Laurent Gbagbo. L’accession au pouvoir en 2000, dans ‘’ les conditions calamiteuses ‘’, ouvre, pour le chef de la refondation, un long cycle de violence meurtrière, d’incertitudes et de pourparlers. Son régime subit une attaque sanglante dans la nuit du 19 septembre 2002. L’attaque échoue sur les bords de la lagune ébrié et se mue très vite en rébellion armée. Elle est dirigée par Guillaume Soro et se cantonne dans la moitié nord du pays avec Bouaké comme Qg. Le programme de la refondation se transforme alors en négociation avec cette rébellion. Les voyages dans les capitales africaines (Lomé, Accra, Pretoria, Ouagadougou), les ballets diplomatiques sur les bords de la lagune ébrié, le désarmement, la mise en place du processus de paix, vont meubler sept années de présence au pouvoir de Gbagbo et les siens. Vainqueur au premier tour des élections présidentielles de 2010, il se retrouve au second tour avec Alassane Ouattara, le candidat de l’opposition. Cela va déboucher sur une crise post-électorale - chaque candidat revendiquait la victoire - ensuite la guerre, avec à la clé 3000 personnes déclarées mortes et plusieurs prisonniers, dont Laurent Gbagbo lui-même. Ce tableau sombre est très mal perçu par le régime Fpi, qui estime avoir été dépossédé du pouvoir de façon injuste. Ici aussi, il y a un fort désir de réparation et de justice, si l’occasion se présente en 2020.
Alassane Ouattara aurait certainement voulu un mandat plein et tranquille après les élections de 2010. Ce ne fut pas le cas. La féroce bataille, qu’il engage pour arracher le pouvoir à son rival après avoir été déclaré vainqueur des élections, a des conséquences graves sur la vie de la nation ivoirienne. L’État en sort totalement déstructuré, déglingué. L’administration, la justice, l’économie, les questions de sécurité interne, la cohabitation pacifique, la réconciliation, constituent alors le lot quotidien des problèmes à régler. Sans compter le rétablissement des liens d’amitié et de coopération rompus ou suspendus avec les institutions étrangères et d’autres partenaires. « Le pays était défiguré, tout était à refaire », martèle un proche de Ouattara. Le pouvoir passe ainsi les premières années du mandat à recoller les morceaux, à gérer les effets de la guerre plutôt qu’à dérouler véritablement le programme du Vivre ensemble qu’il a vendu aux Ivoiriens. Il aura, de ce fait, des marges de manœuvres réduites dans un temps relativement court pour montrer son savoir-faire aux Ivoiriens. Il ne cracherait pas sur une séance de rattrapage, et pourquoi pas en 2020. « En seulement deux ou trois ans, regardez ce qu’il a accompli. Imaginez s’il n’y avait pas eu la guerre et qu’il avait disposé d’un mandat plein, il aurait comblé les attentes des Ivoiriens », se convainc un des aficionados du chef de l’État, faisant allusion à certaines de ses réalisations depuis son accession au pouvoir.
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