A la Haye, la Cour pénale internationale a tenu jusqu’au 24 juin des audiences pour examiner la demande d'un procès en appel formulée par sa procureure à la suite des acquittements surprises de l'ex-président de Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, et Charles Blé Goudé, son ex-ministre de la Jeunesse, prononcés en janvier 2019.
Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont tenu trois audiences - la dernière le 24 juin, pour examiner la demande d'un procès en appel formulée par sa procureure. Fatou Bensouda conteste les acquittements de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, prononcés en janvier 2019.
Il s'est agi de trois jours de débats très techniques au cours desquels la procureure Fatou Bensouda a tenté de prouver que les juges, en acquittant l'ex-président de Côte d'Ivoire et son Premier ministre, n’ont pas rendu une décision motivée en bonne et due forme. Le délibéré a commencé. On ne sait pas quand le jugement sera rendu.
Les deux hommes ont été reconnus non coupables de crimes contre l'humanité commis en 2010 et 2011 au cours des violences post-électorales en Côte d'Ivoire. Bilan : 3 000 morts. Ils ont été libérés sous conditions en février 2019.
En raison de l'épidémie de nouveau coronavirus, l'audience de cette semaine est partiellement virtuelle, une première pour la CPI. Laurent Gbagbo, arborant une barbe grisonnante, a assisté aux débats par visioconférence, tandis que Charles Blé Goudé était présent dans la salle d'audience. Aucun des deux n'a pris la parole.
L'accusation a reproché aux juges de la chambre de première instance d'avoir présenté ses motifs écrits en juillet 2019, soit six mois après leur décision orale d'acquitter les deux hommes. Un laps de temps trop long qui a "recouvert d'une chape de doute la fiabilité de la décision", estime le bureau de la procureure
.
La chambre "n'a pas rendu une décision motivée en bonne et due forme" lors de l'acquittement et "n'avait pas terminé son exercice lorsqu'elle a oralement acquitté" les deux hommes, a déclaré Helen Brady, premier substitut du procureur.
Par ailleurs, l'un des motifs qui a justifié l'acquittement, selon les juges, était l'insuffisance de preuve à charge.
Vices de procédure
Or, l'accusation a présenté un "nombre important d'éléments de preuve", souligne Mme Brady, avec 4.610 documents versés au dossier et 96 témoins entendus pendant le procès.
En outre, "le laps de temps était très, très court entre la procédure de la requête pour insuffisance de preuve et l'acquittement", s'est défendue l'accusation.
Un point de vue partagé par Paolina Massidda, représentante légale des victimes de Laurent Gbagbo devant la CPI, qui a estimé que les juges avaient commis "plusieurs erreurs de droit et vices de procédure" en acquittant M. Gbagbo et M. Blé Goudé.
Ces erreurs "sont le résultat d'une procédure extrêmement défectueuse et sont seulement quelques exemples d'un échec global de la chambre de première instance qui n'a pas su mener un procès équitable vis-à-vis des victimes", a-t-elle ajouté.
Dov Jacobs, professeur en droit pénal international et membre de la défense de M. Gbagbo, a rétorqué que l'accusation n'avait simplement "pas été capable de présenter des éléments de preuve contre les personnes acquittées". "La Chambre de première instance a été la garante de l'intérêt de la justice", a-t-il poursuivi.
Conditions assouplies
"Le droit des victimes à la vérité a bien été soutenu par la décision en cause", a ajouté l'avocat de M. Blé Goudé, Geert-Jan Knoops.
"La vérité est mieux desservie quand on ne prolonge pas une procédure lorsque la preuve apportée par l'accusation semble être extrêmement faible", a-t-il lâché, ajoutant que les moyens d'appels devaient être rejetés.
La procureure de la CPI Fatou Bensouda avait déjà interjeté cet appel en septembre 2019, huit mois après l'acquittement.
Elle-même, ainsi que ses services, se trouvent sous le feu des critiques : si la CPI, fondée en 2002 pour juger les crimes contre l'humanité, a notamment condamné des chefs de guerre congolais et un djihadiste malien, l'accusation est accusé d'avoir échoué dans ses dossiers les plus emblématiques, avec les acquittements de Laurent Gbagbo et de l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, comme l’avait révélé Médiapart en 2017.
Récemment, la CPI a refusé une demande de liberté sans conditions présentée par M. Gbagbo, 75 ans, qui a passé plus de sept ans en détention à La Haye avant d'être acquitté.
Les juges ont cependant assoupli les conditions de sa liberté conditionnelle. L'ex-président ivoirien est désormais autorisé à quitter la Belgique, où il était assigné à résidence depuis son acquittement, à condition que tout pays dans lequel il souhaite se rendre accepte au préalable de le recevoir.
Le parti politique qu'il a fondé, le Front populaire ivoirien (FPI), a appelé le président Alassane Ouattara au "dialogue" afin de permettre son retour au pays.
Par la voix de son président Mamadou Bamba, l'association de victimes des Parents des Femmes martyres d'Abobo a indiqué lundi 22 juin avoir "décidé de porter plainte devant les tribunaux ivoiriens contre Laurent Gbagbo et X pour assassinat, complicité d'assassinat".
"Nous avions reçu cette décision d'acquittement (de la CPI) comme un coup de poignard dans le dos", a-t-il déclaré dans un communiqué.
Les Ivoiriens sont las de cet état de choses :"Tantôt ça reprend, tantôt il est libéré, on ne sait plus où se donner de la tête. Les Ivoiriens sont très, très fatigués."
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