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Politique

Tiburce Koffi dit oui à Soro mais dénonce « la rébellion du nord, un acte perturbateur et regrettable de grande envergure »

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Il avait été approché par Soro Guillaume et son staff pour apporter, par sa personne et sa plume, sa pierre au projet de réconciliation nationale amorcé depuis le 3 avril par le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Tiburce Koffi, puisqu’il s’agit de lui, s’est mis à l’œuvre. S’il devrait par cette sollicitation présenter la beauté et l’opportunité du projet de réconciliation nationale derrière lequel on voudrait aussi tacitement blanchir l’ex-rebelle et montrer un visage pacifique, rassembleur et peut-être angélique de Guillaume Soro, Tiburce Koffi ni va pas sans son franc-parler. Et dans cet éditorial par lequel il se lance dans le bain à la fois très chaud et trouble de la réconciliation en Côte d’Ivoire, l’écrivain refuse de fermer les yeux et de se taire sur l’affreuse rébellion de 2002 dont Soro Guillaume fut le secrétaire général.  

Lire l’éditorial de Tiburce Koffi

Parce qu’elle n’est pas de la plaisanterie, mais bel et bien un acte dangereux, désespéré et tragique, les communautés humaines n’entreprennent jamais de la faire sans raison sérieuse. On comprend donc pourquoi les Jeux olympiques (JO) ne l’ont jamais prescrite au nombre des disciplines sportives à montrer, pour le plaisir du public ! La guerre est telle : une monstruosité. Un échec social. Une offense à l’humain. Le conflit armé reste la traduction de l’incapacité des hommes à trouver une solution pacifique à une question cruciale. Il en va ainsi de la rébellion ivoirienne, du nord, comme de tout acte de soulèvement armé.

Oui, quand les mots ne sonnent plus, quand la communication pour une meilleure socialité ne passe plus, quand les silences de méditation et autres prières s’avèrent impuissantes à juguler le mal, les hommes ne s’en remettent plus qu’au seul discours capable d’attirer l’attention des oreilles les plus bouchées, et d’ouvrir les yeux les plus aveugles : celui des armes qui, seul et à ce moment précis de l’Histoire, fait la décision. Révolte, grève, putsch, boycott, soulèvement populaire, révolution et rébellion procèdent de la même essence et fonctionnent toujours de la même manière, avec le même objectif majeur : ils sont l’expression de mécontentements d’amplitude variable ; et leur objectif est de résoudre une épineuse contradiction.

La rébellion ivoirienne a obéi en tout point à ces présupposés théoriques. Non, elle fut loin d’être une saute d’humeur farouche. Elle a été un cri désespéré d’une partie des nôtres las de se sentir tenus à la périphérie de la vie nationale. Entendons-nous bien : je n’ai pas dit que cette angoisse existentielle était fondée (là n’est pas la question). Je rapporte simplement ce que certains des nôtres ont affirmé qu’ils ressentaient par rapport à une politique du moment. Ni soutien (tardif et anachronique) à la rébellion, ni négationniste, ni révisionniste donc ne suis-je. Bien au contraire, je reste convaincu que la rébellion du nord, à l’instar de toutes les rébellions, fut un acte perturbateur et regrettable de grande envergure ; et à aucun moment de mes écritures, je ne me laisserai aller à nier tous ces papiers de refus de sa justification, que j’ai écrits au cours des temps d’exaltation républicaine et patriotique. Ces textes ont signé ma participation au combat de libération et de souveraineté nationale. C’étaient pour un temps historique précis.

Il m’a fallu trois années (2002-2005) de réflexions et d’écritures régulières autour de cette question, pour la relativement mieux cerner. Le résultat a donné un essai : « Côte d’Ivoire, l’agonie du jardin », où j’expose ma lecture de la rébellion ivoirienne. J’y ai abouti à la conclusion que, de même que le coup d’Etat de décembre 1999, la rébellion était une conséquence et non la cause de la déflagration de la société ivoirienne. Guillaume Soro était donc fondé à dire : « Nous n’avons pas pris les armes ; elles se sont imposées à nous. »

Mais comment (peuvent se demander les pacifistes) peut-on s’être sentis contraints de prendre des armes dans un pays reconnu pour son heureuse culture du dialogue et de la paix ? La réponse me semble aisée : le dialogue était rompu depuis longtemps, dans « ce pays qui n’était plus ce pays » (une belle réflexion que nous devons à Laurent Gbagbo.) Comme dirait Charles Konan Banny : « Il n’y avait plus de sage dans le village. » Dans la surdité ambiante, quelques-uns d’entre les nôtres, exclus (ou se sentant tels) du cercle national de vie, optèrent alors pour la solution radicale, en vue de la résolution maximale d’un problème national : le refus de l’exclusion de certains, pour l’inclusion de tous. Une fois de plus, le dicton dit vrai : « Une fin effroyable est préférable à un effroi sans fin. »

L’EQUILIBRE DE LA TERREUR

Le 19 septembre 2002, tonna donc la rébellion du nord. Cris de fureurs, de feu et de plomb dans le sein de l’Eburnie stupéfiée. Réveil tragique d’un peuple abasourdi devant l’ampleur du désastre. Une part importante de nos concitoyens commença, enfin, à comprendre le danger que nous avons provoqué à avoir accepté (et même à saluer) un coup d’Etat. Non, camarades du Fpi, et surtout à toi Laurent Gbagbo : un coup d’Etat ne peut pas être « démocratique », ni « républicain » ni « salutaire ». Vous avez eu tort d’avoir saboté l’édifice républicain en conspirant contre l’Exécutif, afin de parvenir ‘’vite vite’’ au pouvoir d’Etat.

Votre myopie politique et vos réflexes schizophréniques pour le pouvoir ont contribué, en très grande partie, à provoquer cette déchirure écrite à l’encre de centaines, voire de milliers de morts, sur l’action néfaste des deux grands partis politiques antagoniques que vous fûtes alors, le Rdr et le Fpi, répartis en deux camps radicalement opposés : partisans de Laurent Gbagbo légitimant leurs actes criminels par une nécessité républicaine (protéger l’Exécutif, le pouvoir de Gbagbo, dans une ferveur nationaliste et…patriotique) ; et partisans d’Alassane Ouattara (les rebelles) tout aussi criminels, se réclamant, eux, d’une autre légitimité marquée, elle, du sceau d’une réhabilitation identitaire enrobée de patriotisme. Le Mpci, support idéologique et militaire de cette action insurrectionnelle, se veut « Mouvement patriotique pour la Côte d’Ivoire ».

Septembre 2002 a donc eu ses morts, tout comme décembre 1999 en a eu. Oh ! Ce ne fut pas une effusion de sang (l’expression mesquine alors à la mode) ! Mais il y a eu du sang, du sang humain, tout de même — y a t-il une différence ? De 2000 à 2002, il y en a eu aussi, des morts. En nombre indéterminé, et dans des conditions effroyables, sous l’égide des hommes du nouveau régime : c’est bel et bien dans l’arrière-cour de la RTI que des gens en armes (militaires, policiers, gendarmes ou miliciens enragés) exécutaient régulièrement et nuitamment des Ivoiriens supposés étrangers car portant des noms à consonance nordique : ils étaient suspectés d’être des conspirateurs au service d’Alassane Ouattara l’épouvantable spectre d’alors !

Et tout cela s’était fait avec la complicité du silence et la peur lâche de certains d’entre nous (dont l’auteur de ces lignes) qui avaient eu ‘‘vent’’ de ces crimes insalubres et intolérables : mais qui pouvait oser les dénoncer ouvertement sans être suspecté de connivence avec l’ennemi — les ‘‘envahisseurs’’ venus du nord ? Ceci est une autre histoire… qui fait malheureusement partie de l’Histoire. Le premier objectif de la rébellion se décline donc : créer l’équilibre de la terreur. Et c’est ce qui se fit, cette nuit effroyable du 18-19 septembre 2002. 

LES MORTS DE SEPTEMBRE 2002

Ah ! Septembre 2002 et ses victimes des premières heures ! Boga Doudou, le Général Robert Guéi, Flavien Coulibaly son garde de corps, Rose son épouse, Camara Yêrêfê dit ASH, Marcelin Yacé l’artiste prodigieux, le Dr Benoît Dacoury, le député Emile Téhé, entre autres. Une remarque de taille : ceux qu’on appellera plus tard « les rebelles » n’étaient alors que de vulgaires putschistes anonymes, brouillons et inefficaces, sans identité, sans visages ni porte-parole. De toute évidence, ce ne sont pas eux qui ont commis tous ces crimes sur l’espace républicain (ces personnes-là ne les intéressaient pas — elles n’étaient pas leur cible. Ceux qui les ont tués étaient des tueurs en uniformes militaires au service du régime au pouvoir. Qui oserait me dire que ce sont Guillaume Soro et les rebelles (dont le premier nommé n’était pas encore à la tête) qui ont exécuté ou fait exécuter le Général Robert Guéi, tué ASH, le Dr Benoît Dacoury, le député Emile Téhé, entre autres ? Quel intérêt avaient-ils à les tuer ? Et qui me dira la qualité hygiénique des mains qui ont signé ces crimes ‘‘républicains’’ ?...

Gens de mon pays, et vous autres d’ailleurs, celui qui écrit ces lignes n’est pas un militant de parti. Il est un citoyen qui s’est défait de toute pression, pour dire ce qu’il a vu, constaté, analysé dans son pays. Il sait, l’auteur de ces lignes, qu’il n’est pas aimé des militants zombies des camps de fanatiques écervelés qui infectent, de leurs langages boiteux et ridicules, le champ communicationnel transversal. Il sait qu’il est, encore moins, aimé des hommes politiques de ce pays qui ont du mal à accepter le principe même de l’existence de consciences libres et fières de l’être.

À tous ces esprits bornés et incapables d’accepter le propos sans parti-pris intéressé, je dis ceci : le temps n’a que trop sonné pour que vos yeux s’ouvrent enfin sur les pages, encore fraîches, de l’histoire de votre pays. Cette histoire que vous refusez de lire de manière objective et critique, aveuglés comme vous l’êtes par vos choix partisans. Le temps est aussi venu de situer les (vraies) responsabilités dans cette crise. Guillaume Soro, en homme aguerri aux/ et par les épreuves, en politique mûri par des années d’expériences administratives et de gestion des hommes, a pris sur lui de se culpabiliser tout seul dans cette fange collective qu’aura été la crise ivoirienne de l’après Houphouët-Boigny. Mais aucun Ivoirien n’est dupe : tous, nous savons que Guillaume Soro fait cela, exactement comme il accepta, il y a de cela une quinzaine d’années, d’assumer les horreurs d’une rébellion dont il n’est pas vraiment le seul père, ni le seul agent décisif, car cette rébellion n’aurait pu être possible sans de puissants moyens médiatiques, financiers et diplomatiques réellement au-dessus de ses moyens d’alors.

 

 

POUR CONCLURE

Non, je n’ai pas aimé le rebelle Guillaume Soro alias Bogota, que j’ai combattu avec une rare fureur — et il le sait. Mais j’ai éprouvé du respect et de la compassion pour le cadet qui, en toute humilité, tente de s’adresser à ce peuple sien à qui il demande pardon et réconciliation pour le mal fait. C’est une attitude qui indique sa grandeur, dans un pays où personne (chef d’Etat, ministres, chefs militaires, hommes d’affaires pourvoyeurs de fonds à la rébellion, etc.) ne se sent responsable de quoi que ce soit.

Je n’ai pas aimé cette conversion brutale et inattendue du sympathique étudiant perturbateur d’hier, en un redoutable porte-parole de mutins, constitués en rébellion. Mais j’ai accepté de lui tendre aujourd’hui la main, une main fraternelle, comme passerelle historique entre lui et moi, en signe d’une Nouvelle alliance entre les enfants du pays baoulé — que l’enfant du nord qu’il est a imprudemment blessé au cours de ces temps de fureurs rebelles — et ceux de ce nord révolté qui auraient dû s’interdire d’en arriver à de telles extrémités.

J’ai pris la main à moi tendue de Guillaume Soro, en signe d’affirmation de notre appartenance commune à un même pays et, nécessairement, à une histoire nationale et à un destin collectif.

J’ai dis oui à Guillaume Soro mon frère auquel rien ne devrait m’opposer car la crise que nous avons vécue doit être considérée comme un fait historique (une contingence donc) ; et ses effets ne sont une malédiction atavique insurmontable et impossible à exorciser et à dépasser.

J’ai dit oui, enfin, à Guillaume Soro, cette haute figure de la scène politique de mon pays qui, mue par un sens admirable de la responsabilité, a décidé de poser sa part d’actes salutaires pour guérir ce pays de la méfiance et de la haine qui font se scléroser les peuples, et dynamiter les fondements des sociétés sourdes à la sagesse.

Je reste convaincu que les causes bonnes, sincères et justes finissent toujours par trouver, pour leur accomplissement, des gens d’engagement et de foi. J’ai donc choisi, en toute conscience et liberté (que j’assume dans la clarté — je n’ai jamais agi politiquement dans l’ombre), de poser cet acte selon ce que MON cœur et la Raison me dictent de faire avec lui, pour n’avoir pas à regretter de n’avoir pas fait ce que nous avions à faire au moment où il fallait le faire — « En rencontrant Godot », T. Koffi. Théâtre. Paris 2017. » Tel est mon présent credo. Et j’entends bien aller jusqu’au bout de cet engagement.

 

 
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