Le procès aux Assises du magistrat Placide Kouassi Kouassi, accusé d’avoir tué un jeune homme dans la nuit de Noël 2014, à Abidjan, s’est achevé jeudi par un verdict inattendu : trente-six mois de prison, pour « détention illégale d’armes et de munitions de catégorie 5 ».
C’était un procès inédit, dans un pays où les magistrats sont considérés à tort ou à raison, comme des intouchables. Les faits remontent au 25 décembre 2014, aux alentours de 2h du matin. Placide Kouassi Kouassi, conseiller à la cour d’appel d’Abidjan-Plateau rentre chez lui après une virée avec un ami policier. Lorsque les deux hommes arrivent à son domicile, situé dans les 166 Logements, un quartier résidentiel de la commune huppée de Cocody, ils croisent le cadet et la fille du magistrat, alors âgée de 14 ans, qui expliquent avoir eu une altercation avec un jeune du quartier aux alentours d’un « maquis » situé non loin de là.
Le magistrat décide alors de se rendre à l’établissement où l’incident a eu lieu. Il y trouve des jeunes hostiles et les échanges virent à la bagarre. Placide Kouassi Kouassi rentre alors précipitamment chez lui, sort son arme de calibre 12, avant de tirer une première fois en l’air, pour dissuader les jeunes qui poursuivent son ami policier. Il sort ensuite du domicile, l’arme à la main.
Le jeune Habib Malick Fall reçoit une balle
Un geste qui, plutôt que d’être dissuasif, pousse le groupe de jeunes à d’avantage d’agressivité. Le magistrat décide alors de rentrer chez lui, suivi par Habib Malick Fall, un jeune homme populaire dans le quartier, qui n’était pas au cœur du premier incident, mais dont le destin va basculer dans les minutes qui vont suivre.
Au bas de l’immeuble du magistrat, un deuxième coup de feu part. Habib Malick Fall est atteint. Blessé, il est transporté au Centre hospitalier et universitaire (Chu) de Cocody où il subit trois interventions chirurgicales. Mais il mourra de ses blessures à 16h, le même jour.
A Abidjan, la mort du jeune homme enflamme les réseaux sociaux, tandis que plusieurs rumeurs circulent sur des entraves supposées à la justice, qui viseraient à empêcher la manifestation de la vérité et à protéger le magistrat. En Côte d’Ivoire, un principe non écrit hante cependant tous les justiciables ayant affaire à un juge : « Chien mange pas chien ». Une expression tirée de l’argot ivoirien qui voudrait que les membres d’une corporation se protègent entre eux, quelle que soit la faute commise par l’un de ses membres.
Les proches de la victime doutent
La suspicion du collectif « Justice pour Malick Fall » – qui compte plus de 5 000 membres sur Facebook – est renforcée par le fait que l’arme du crime était introuvable à l’ouverture du procès, en début de semaine. Le procès a donc été retardé d’un jour… Et l’arme est réapparu, sans que les circonstances de sa disparition provisoire n’aient été explicitées.
La requalification des charges a aussi fait réagir parmi les proches de la victime. « Alors que nous nous attendions à ce que le tueur de notre frère soit jugé pour assassinat, la justice a décidé de le poursuivre pour coup mortel et détention illégale d’armes et de munitions de cinquième catégorie », dénonce un membre de la famille du défunt.
En définitive, la sentence, à l’issue d’un procès où plusieurs témoins se sont succédé, est tombée ce jeudi : trente-six mois de prison pour détention illégale d’armes par le magistrat Placide Kouassi Kouassi.
Pièces à conviction disparues
« Un verdict conforme au droit », selon Me Claver N’Dri, qui défendait l’accusé. « Aucune expertise n’a pu établir le lien entre la mort du jeune homme et le coup tiré par le fusil, explique l’avocat. Aucun témoin n’a pu confirmer avoir vu mon client tirer sur la victime. Les circonstances de la mort du jeune homme restent floues, surtout que deux corps étrangers ont été retrouvés dans son corps, au moment des opérations ».
Deux corps étrangers qui, eux aussi, sont portés disparus dans les scellés. Des pièces à conviction importantes, dont la nature n’a jamais été établie, alors qu’elles auraient pu aider à établir la cause exacte du décès.
Au niveau du CHU de Cocody, on explique cela par des coupures intempestives d’électricité, au moment des faits. « C’est un mauvais fonctionnement des services hospitaliers », rétorque Me N’Dri, qui soupçonne une erreur médicale qui aurait pu entraîner la mort de la victime.
Un mauvais fonctionnement des services hospitaliers ? L’enquête n’a pas poussé jusque-là. Le parquet n’a pas réclamé d’autopsie complémentaire.
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