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Interview / Sébastien Apatita (Administrateur au HCR) dévoile les projets de 2018 contre l’apatridie en Côte d’Ivoire

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Sébastien Apatita est Administrateur Principal de Protection au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) en Côte d’Ivoire. Il veille au respect des droits des refugiés, des apatrides et personnes à risque d’apatride, et des rapatriés ivoiriens qui, tous, relèvent de la compétence du HCR. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, vendredi 12 janvier 2018, il parle de la nécessité de trouver rapidement des solutions au fléau de l’apatridie pour l’atteinte des objectifs fixés en 2024.

Ivoire Matin : Le Haut-Commissariat des Réfugiés (HCR) est en Côte d’Ivoire depuis des années et une de ses missions est la lutte contre l’apatridie. Pourquoi est-ce maintenant qu’on en parle de plus en plus ?

Sébastien Apatita :  Je voudrais, avant tout rappeler que le mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) est d’assurer la protection internationale des réfugiés et des personnes qui relèvent de la compétence du HCR, parmi lesquelles les apatrides, et de trouver des solutions durables à leur situation. C’est vrai que nous sommes beaucoup plus reconnus comme étant une organisation qui s’occupe des réfugiés, comme le nom l’indique, Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mais est-il que l’apatridie fait partie intégrante de notre mandat, ce en application d’une Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1974. Je voudrais également rappeler qu’en 2014, le HCR a lancé un plan d’action global qui vise à éradiquer l’apatridie d’ici l’an 2024, parce que selon les statistiques qui ont été publiées sur l’apatridie, il y a environ douze millions d’apatrides dans le monde. Dans la zone CEDEAO, l’on dénombre plus d’un million d’apatrides. Selon les chiffres officiels sur l’apatridie en Côte d’Ivoire, il y a  700 mille dans le pays, je reviendrai là-dessus avec plus de précision. L’apatridie est l’une des violations des droits de l’Homme, un véritable fléau, auquel il est important d’y trouver des solutions. C’est ce qui a justifié le lancement en 2014 du plan d’action global dont plusieurs pays, dont la Cote d’Ivoire se sont inspires pour mettre en place des plans nationaux en vue de l’éradication de l’apatridie d’ici l’an 2014.

I.V : Avant d’aller plus loin, voudriez-vous expliquer c’est qui un apatride.

S.A.  Pour être plus simple et ne pas se lancer dans une définition philosophique, un apatride est quelqu’un qui n’a pas de nationalité. Vous et moi, nous existons par rapport à un Etat auquel nous avons des liens juridiques ; nous sommes ressortissants d’un pays.  Or un apatride, c’est quelqu’un qui n’est pas reconnu par un Etat au regard de sa législation. Et vous pouvez imaginer ce que ça représente  pour une personne de ne pas avoir de nationalité. Vous ne pouvez pas vous déplacer d’un pays à un autre parce que vous n’avez aucun titre de voyage qui ait été établi par un Etat. Naturellement, si vous n’appartenez à aucun pays, vous ne pouvez pas avoir un document pour vous déplacer. Vous pouvez avoir des problèmes pour accéder à des services de base tels que l’éducation, la santé, etc. Vous ne pouvez avoir accès à un emploi décent ; vous ne pouvez pas ouvrir de compte en banque. C’est un véritable fléau, une grande violation des droits de l’Homme auxquels il faudrait mettre fin.

I.V : L’on recense au moins 700 mille apatrides en Côte d’Ivoire sur plus d’un million dans la zone CEDEAO. Qu’est ce qui explique cette concentration d’apatrides dans ce pays ?

S.A.  En 2013,  la Côte d’Ivoire a ratifié les deux principales conventions qui régissent l’apatridie, à savoir la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Dans le processus de ratification de ces deux conventions, le chiffre 700 mille a été annoncé et figure depuis lors dans toutes les communications en matière d’apatridie en Côte d’Ivoire. Pour revenir à ce chiffre qui parait très élevé par rapport aux statistiques de la sous-région, l’INS (Institut National des Statistiques) en partenariat avec le HCR a convenu de mener une opération de profilage en 2018, aux termes de laquelle l’on saurait avec plus de précision combien d’apatrides il y a en Côte d’Ivoire. En effet, de tout temps, la Côte d’Ivoire a été une terre d’immigration. Avant l’indépendance, et même quelques années après l’indépendance, beaucoup de ressortissants des pays de la CEDEAO sont venus en Côte d’Ivoire soit pour y travailler, soit dans le cadre de processus de réunification familiale. Nombre de ces personnes ont coupé les liens juridiques pays d’origine. Ceux parmi ces migrants, qui ne peuvent accéder à la nationalité ivoirienne, sont donc exposés à l’apatridie.  

I.V : Le code de la nationalité ivoirienne a été révisé, mais la question de l’apatridie n’a pas été prise en compte. Est-ce une négligence ou un manque de considération du problème par le législateur ivoirien?

S.A.  Je ne crois pas qu’on puisse parler de négligence parce qu’un Etat a ses priorités. Je rappelle qu’en 2013, la Côte d’Ivoire a ratifié les deux principales conventions que j’ai citées plus haut. Il est question, après la ratification, que les dispositions de cette convention sont transposées dans la législation ivoirienne. Je voudrais rappeler que, selon l’article 3 du code de nationalité ivoirienne, les textes internationaux ratifiés par la Côte d’Ivoire ont une primauté sur la législation ivoirienne interne en matière de nationalité. Il n’est pas exclu que d’ici là, les autorités prennent des mesures pour que les dispositions de l’article 3 du code de la nationalité s’appliquent.

I.V : Une question me trotte l’esprit. Est-il possible qu’une personne qui a la nationalité ivoirienne puisse devenir apatride dans son propre pays ?

S.A.  Oui, tout à fait. Il y a le cas de la déchéance de la nationalité ivoirienne pour des personnes qui ont acquis cette nationalité et qui se sont rendues coupables de crimes et délits contre la sureté intérieure ou contre les institutions. Certaines personnes peuvent volontairement renoncer à une nationalité. 

I.V : L’on traine les pas face à la situation des apatrides, en Afrique en particulier. Est-ce parce que les apatrides constituent une charge pour les pays?

S.A.  Nous devons savoir que les apatrides sont des personnes, comme vous et moi, qui ont des capacités et potentialités qui peuvent être mises à la disposition d’un Etat. Mais le fait d’être apatride limite la participation de ces personnes au développement du pays dont elles se réclament.  

I.V : Vous êtes engagés dans la logique du gouvernement pour éradiquer l’apatridie. Comment vous y prenez-vous ?

S.A.  Au niveau du HCR, la stratégie qui est mise en place pour éradiquer l’apatridie est conçue autour des quatre principaux axes suivants : l’indentification, la réduction, la prévention et la protection. Au niveau de la Cote d’Ivoire, le volet communication a été ajoutée à ces quatre axes, parce qu’il est important de communiquer sur l’apatridie pour améliorer l’attitude du public à l’égard des personnes apatrides, afin d’éviter l’exclusion et la discrimination. Notre mandat est de permettre que toute personne reconnue comme apatride puisse un jour accéder à une nationalité.

I.V : Un projet pour offrir des actes de naissance à plus d’un million d’enfants du primaire non déclarés à l’état civil a été lancé en mai dernier. A-t-il pu atteindre ses objectifs ?

S.A.  Le HCR félicite le Gouvernement d’avoir mis en œuvre ce projet, auquel, à l’instar d’autres partenaires, il a participé. Tout enfant qui nait, doit être déclaré à l’état civil. Ce projet rentre dans le cadre de la prévention de l’apatridie et permet de conférer à l’enfant une existence juridique qui autrement, hypothèquerait l’avenir de cet enfant.  

I.V : A ce jour, quel bilan faites-vous de votre collaboration avec le gouvernement ivoirien dans le cadre de la lutte contre l’apatridie ?

S.A.  Le bilan est très positif. Nous avons développé un partenariat avec le Ministere de la Justice et des Droits de l’Homme qui œuvre à la réduction des cas d’apatridie. Nous travaillons également avec le SAARA (Service d’Aide et d’Assistance aux Réfugiés et Apatrides) qui relève du Ministere des Affaires Etrangères, dans le cadre de la résolution des problèmes de documentation auxquels sont confrontés les rapatriés ivoiriens. J’avais déjà fait mention du programme de profilage des apatrides et personnes à risque d’apatridie que nous comptons mener avec l’INS. Bref, l’on peut conclure que le bilan de notre collaboration avec le Gouvernement est plus que positif.

I.V : Certes les autorités ivoiriennes sont engagées dans la lutte contre l’apatridie, mais au HCR qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?

S.A  Le profilage des apatrides et des personnes à risque d’apatridie est notre projet phare de 2018. Qui d’autre que le Gouvernement est mieux placé pour mener cette opération. Nous sommes avancés  dans des discussions avec l’INS et nous nous sommes entendus sur un plan d’actions pour que cette opération de profilage se passe dans de meilleures conditions. Le fait que le gouvernement, à travers l’INS, ait marqué son accord est un pas en avant et j’aimerais exprimer notre gratitude à l’égard du gouvernement. Nous pensons que d’ici la fin de l’année, nous saurons avec plus de précision la situation des apatrides en Côte d’Ivoire. Ce qui nous permettra en accord avec le gouvernement, de proposer des solutions qui répondent à leurs situations spécifiques 

Réalisée par César DJEDJE MEL

 

 
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