Le Syndicat national des agents de l’Agence emploi jeunes (SYNAT-AEJ) est passé à une autre étape de ses revendications qui font suite au licenciement de 80 de ses syndiqués. Dans cet entretien accordé à Ivoirematin.com, le Secrétaire général dudit syndicat, Tchimou Obou Raphaël, tire la sonnette d’alarme sur le drame que vivent les licenciés.
Ivoirematin : L’on vous a vu manifester bruyamment au Plateau il y a de cela quelques jours. Peut-on en savoir plus sur cette nouvelle étape de vos revendications ?
Tchimou Raphaël : La manifestation au Plateau n’est que la matérialisation de la non-issue de la négociation que nous avons entamée suite au licenciement abusif de 80 travailleurs. Je voudrais rapidement indiquer que nous sommes un syndicat et vous comprenez qu’à la base, nous avions porté un cahier de revendications fondé sur les manquements d’aspects professionnels que l’administration avait marqués. L’Agence emploi jeunes (AEJ) est une fusion de plusieurs structures qui avaient en son temps la question de gestion de l’emploi. Et cette fusion s’est faite dans une organisation légale qui stipulait que tous les actifs des anciennes structures devraient être au bénéfice de l’AEJ. Cela s’interprète aussi en terme de traitement, c’est-à-dire que si moi j’étais à l’AGEPE (Agence d’étude et de promotion de l’emploi, Ndlr) que j’avais 300 000 Fcfa, la continuité de l’administration devrait pouvoir, dans le but d’améliorer la productivité de la structure, soit bonifier ce revenu ou soit le maintenir. Le constat qui avait été marqué, c’est qu’à la suite de cette fusion, il y a eu une détérioration du revenu de l’ensemble du personnel. Donc on avait fait un calcul comparatif qui démontrait que 70% du personnel a vu effectivement son revenu drastiquement baissé. C’est donc un dossier que nous avons porté en priorité et qui appelait au rétablissement de la prime.
Pourquoi faites-vous du rétablissement de la prime votre priorité plutôt que de réclamer tout simplement une augmentation de salaire ?
Je rappelle que pour la plupart des opérations immobilières qui avait été conçues par le personnel à travers la mutuelle, tout le monde s’est endetté pour la souscription sur la base des primes. Mais subitement la fusion s’est faite et les nouveaux dirigeants de la nouvelle structure n’ont pas tenu compte du maintien de ce revenu qu’avait ce personnel. Ils sont venus avec une grille sans un calcul sérieux à la base. Ce qui faisait donc beaucoup de disparités au niveau des revenus. Et comme une administration ne comporte pas seulement de cadres, il y a aussi le petit personnel qui comme une structure pyramidale constitue la grande base. Vous voyez donc que ce personnel-là se mourrait. Le syndicat a pris ce dossier en priorité en relevant effectivement la légitimité et la légalité de la prime, qui ont été bien établies.
Qu’est-ce qui vous convainc de la légitimité et la légalité de la prime?
L’administration même l’a reconnu. C’est ce qui autorise le budget a accordé une ligne pour la prime de 2018. A l’heure où je vous parle, ce que le syndicat a négocié a été accordé par le ministère de l’Economie. C’est dire que nos revendications étaient bien fondées. Et le ministre Sidi Touré (Ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l'Emploi des Jeunes et du Service Civique, Ndlr) lors de la présentation des vœux l’a même reconnu. Donc à ce niveau il n’y a point débat.
S’il n’y a pas débat, pourquoi en êtes-vous arrivé là ? Est-ce une méprise dans la méthodologie de la revendication ?
Je peux dire que dans la méthodologie de la revendication, nous avons observé toutes les règles. Nous avions initié un ensemble de discussions. Mais ce qui nous a un peu peiné c’est que le premier responsable de la structure n’a pas daigné accorder un temps sérieux pour répondre à toutes les questions du syndicat. Bien au contraire, il utilisait des méthodes assez dilatoires pour que le syndicat ne puisse pas avoir une bonne tribune d’expression. Nous avons donc compris à un certain moment qu’il ne dirigeait pas l’agence de son bon vouloir. C’était comme quelqu’un à qui une dictée était faite. Nous avons compris cela au point où les revendications que nous lui exprimons ne pouvaient pas avoir de réponses concrètes. On nous a fait savoir que c’est le ministre qui devrait statuer en dernier ressort sur tout ce que nous avions fait comme travail. C’est donc dans ces démarches que le lundi 4 septembre 2017, la base qui en avait marre ainsi que le personnel ont décidé de demander au syndicat et à l’administration des comptes au sujet de leurs interminables discussions. Vous aviez donc entendu parler de la grogne populaire qu’il y a eu à l’AEJ. Mais lorsque cette grogne a surgi, l’administration s’est permis de faire constater les absences par un huissier, un signe qui indiquait que des sanctions allaient tomber. Le syndicat a ainsi pris ses responsabilités à bras le corps en notifiant une grève parce qu’en la matière nous avions déjà déposé un préavis. Nous avons même fait un report de la grève pour donner chance aux négociations. Tout cela avait été observé. C’est lorsqu’on a vu que l’administration était sur le point de sanctionner que le syndicat a récupéré la grogne pour établir une situation de grève légale. Ce que nous avons fait et cette grève a été faite sans casse.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Les gens venaient mais ne montaient pas dans leurs bureaux. Nous avions juste des bandeaux rouges pour inviter l’administration à faire diligence sur notre dossier. J’indique au passage que le syndicat et l’administration avaient travaillé sur la finalisation du document qui devrait aller à la signature du ministre. Lorsque nous avons finalisé le document, moi-même responsable du syndicat et le sous-directeur responsable des ressources humaines, M. Drissa, nous étions descendus pour rassurer le personnel sur le fait que le document est finalisé maintenant et qu’on attend au maximum une semaine pour que la délibération du ministre soit faite. Je pense que c’est avec naïveté que nous avons cru que l’administration jouait franc jeu et qu’elle allait faire ce que nous avons ensemble concocté. Le lundi 11 septembre 2017, nous avons vu le débarquement de nos responsables de région. Il y avait des directeurs régionaux qui ont été débarqués au profit de personnes qui n’ont aucune expérience dans le service public d’emploi. Mais comme c’était des cas de nomination, cela n’a pas trop ému le syndicat. Cependant nous avons compris la gravité de la situation lorsqu’on a su qu’une vague de sanctions bien ficelées allait commencer à pleuvoir. Des demandes d’explication ont été brandies à l’ensemble du personnel. Même ceux qui étaient en congé maladie et qui n’ont pas fait de grève se sont vu adresser des demandes d’explication.
Quelle suite avez-vous donné à ces demandes d’explication ?
A ces demandes, nous avons tous répondu que c’est sur le mot d’ordre du syndicat que la grève a été faite. Il y a certains qui n‘avaient pas encore répondu dont moi-même, le premier responsable du syndicat, lorsqu’à partir du 20 septembre 2017, la sanction extrême de licenciement a commencé à tomber. Au final, 80 personnes, fonctionnaires et non-fonctionnaires, ont été licenciés. C’est à partir de cet instant qu’un ballet de diplomatie, de plaidoyers avait commencé.
Quelles sont les démarches précises que vous avez effectuées ?
Le syndicat a saisi la fonction publique qui est intervenue et a recommandé que nous soyons réintégré, mais cela n’a pas été respecté. Le Conseil national du dialogue social a analysé les dossiers, la forme des choses et a recommandé que les gens soient réintégrés, ça non plus n’a pas été respecté. Le Conseil national des droits de l’Homme a fait remarquer qu’il y avait de graves manquements en matière de droit de l’Homme et a invité l’administration à revenir sur ses pas. Elle n’a pas respecté. Nous pensions que dans ce pays, étant donné que la Chambre des rois est devenue une institution, cela devrait quand même appeler l’humilité du ministre Sidi. Nous sommes donc allé voir les chefs traditionnels qui ont formé une délégation et qui sont allés voir le ministre qui, après plusieurs jours ne les a pas reçu. Ils m’ont recommandé un plaidoyer, une demande de pardon. Je l’ai fait de mes mains, signé et ils sont allés avec, mais le ministre Sidi a dit niet à tout cela. A côté des chefs traditionnels, nous nous sommes rapprochés d’un certain nombre de responsables syndicaux qui ont essayé une médiation demandant à tous ceux qui ont été licenciés de venir demander pardon à l’administration, ce qui a été fait. Mais cela n’a pas donné de résultats favorables jusqu’à ce que nous allions solliciter l’intersyndicale de Côte d’Ivoire et la plateforme avec Zadi Gnagna qui ont commencé des négociations d’aspect syndical. C’est donc avec l’intersyndical que nous espérons la réintégration de nos camarades.
Des droits ont-ils été payés à vos camarades licenciés ?
Au moment où je vous parle, des droits ont été liquidés mais sur la base de fautes lourdes. Des gens qui ont fait 20, 21 ans de service, ont reçu des modiques sommes de 300 000 fcfa pour certains, et pour d’autres, des chefs de service, ont perçu 900 000 fcfa, 1 000 000 fcfa comme droit après 17 ans, 20 ans de service. Vous comprenez un peu cette injustice ! Alors qu’avant que nous ne revendiquions, le personnel était déjà mourant parce qu’ayant été spolié de la prime et ne pouvant plus honorer les engagements bancaires, et donc le salaire qui était payé était avalé. En ce moment il y a des camarades qui ne peuvent plus payer le loyer. Ce problème va donc au-delà de la simple revendication, d’une simple réintégration. C’est un problème d’ordre social qui mérite d’être relevé pour attirer l’attention du gouvernement. C’est le lieu d’interpeler encore le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly et qu’il vienne aider ce personnel sans défense qui subit impunément cette injustice.
Avez-vous envisagé une suite judiciaire à cette affaire au cas où la diplomatie échoue ?
Nous avons envisagé cela. Vous savez qu’au-delà de la réintégration, il y a déjà le dommage qui a été consommé. On peut ester en justice pour revendiquer ou pour réclamer la réintégration. Mais la réintégration n’exclut pas que le dommage soit réparé. Il y a des dommages sociaux, des atteintes à la dignité humaine dont a longuement parlé la Commission nationale des droits de l’Homme. Nous envisageons effectivement monter un dossier avec l’aide de nos juristes pour que tous ces aspects puissent être réglés. Il y a par exemple notre camarade Obou Tiero qui est un grand malade et malgré qu’il soit cloué à la maison, il a été chassé de l’Agence. On lui a coupé immédiatement son assurance, sa communication. Pis, dans les récentes affectations, il a été envoyé à Touba. Quelqu’un qui n’arrive pas à payer sa maison, comment est-ce qu’il peut s’organiser pour aller s’établir à Touba pour prendre fonction? Surtout que s’il ne parvient pas à prendre fonction, on va lui couper le salaire de la fonction publique qu’il ne perçoit même pas. En dehors de ce cas, il y a effectivement des gens qui avaient pris des engagements dans des écoles où étaient leurs enfants. Le fait qu’il soit renvoyé leur a porté préjudices au niveau de la scolarité et autre. Il y a même un camarade dont la femme a passé trois jours dans une clinique pour son accouchement. Le premier jour l’assurance passait et les jours suivants il s’est rendu compte que l’assurance était coupée sans avertissement, sans préavis. Vous voyez que ces cas-là méritent d’être relevés afin que les gens comprennent qu’il y a des gens qui sont en train de mourir pour un simple fait de grève pacifique !
Quel message souhaitez-vous faire passer en guise de mot de la fin ?
Notre message ne peut être que l’interpellation du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, et au-delà cette personnalité, l’interpellation du Président de la République sur la question de l’Agence emploi jeune qui est un secteur très stratégique sur lequel mise les bailleurs de fonds dont la Banque mondiale, dans leur approche relative à la question de l’emploi. C’est donc la prunelle des yeux du gouvernement et le ministre Sidi Touré n’a pas intérêt à bafouer toute la politique d’emploi en commettant ces injustices qui ne sont pas dignes du pays. Nous demandons donc que le Premier ministre puisse très rapidement prendre à bras le corps ce problème pour que les cas désespérés qu’on a cités puissent vraiment retrouver le sourire.
0 Commentaires
Participer à la Discussion
Commentez cet article