Vendredi 22 Novembre, 2024 - 6:40 PM / Abidjan +33
Vendredi 22 Novembre, 2024 - 6:40 PM / Abidjan +33
Société

Paul Angaman (président de la Fiacat) : « La Côte d’Ivoire a aboli la peine de mort, mais la torture existe »

Partages sur Facebook Partages sur Twitter + Partages sur WhatsApp
Single Post
Paul Angaman (président de la Fiacat) : « La Côte d’Ivoire a aboli la peine de mort, mais la torture existe »

Président de la Fédération Internationale de l'Action des Chrétien pour l(abolition de la torture (Fiacat), Paul Angaman a livré, le lundi 9 avril 2018, un important discours lors de l’ouverture du 3e congrès régional africain contre la peine de mort, à Abidjan. Dans une interview à notre organe, mercredi 18 avril, il revient sur la situation de la peine de mort en Afrique, plus particulièrement en Côte d’Ivoire où il reconnaît qu’il existe aussi des pratiques de torture, du reste impunies.

La Côte d’Ivoire a abrité le 3e congrès régional contre la peine de mort. Qu’est-ce que cela fait de recevoir un tel évènement ?

C’est un honneur pour notre pays de recevoir un tel évènement régional, mais c’est aussi un encouragement aux autorités ivoiriennes pour les efforts faits dans le sens de l’abolition de la peine de mort.

Quand est-ce que la peine de mort a été abolie en Côte d’Ivoire ?

En Côte d’Ivoire, la peine de mort a été abolie en droit par la constitution d’août 2000 et réaffirmée par la constitution du 8 novembre 2016. Mais depuis son indépendance, la Côte d’Ivoire s’est inscrite au rang des pays abolitionnistes, d’abord de fait, puisqu’elle a toujours observé un moratoire sur les exécutions. Il y a eu certes des condamnations, mais jamais d’exécutions. La seule étape qui reste à la Côte d’Ivoire pour être reconnue comme un pays abolitionniste de droit de façon irréversible, c’est de ratifier le deuxième protocole international au pacte relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

Qu’est-ce qui bloque ?

A ce niveau, les autorités disent qu’il n’y a plus d’obstacles à la ratification et qu’on n’a pas besoin de faire passer le texte à l’Assemblée nationale. Un seul décret présidentiel peut permettre de parvenir à la ratification du deuxième protocole facultatif relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (OP2).

Mais ce n’est pas encore fait.

Non, ce n’est pas encore fait. Il revient aux autorités et surtout au chef de l’Etat de prendre ce décret.

Vous l’avez dit, ce congrès était aussi pour encourager les autorités ivoiriennes, mais n’y a-t-il pas un message qu’on a voulu lancer à partir de la Côte d’Ivoire ?

Bien entendu ! On sait qu’en Afrique, la situation de la peine de mort est la suivante. Nous avons 20 pays qui sont abolitionnistes de droit, 19 pays qui observent un moratoire et il y a encore 16 qui appliquent la peine de mort. Si la Côte d’Ivoire fait partie de l’un des pays abolitionnistes, et la Côte d’Ivoire est un pays qui compte dans la sous-région, on veut certainement faire de la Côte d’Ivoire un pays leader pour porter le message abolitionniste au niveau de la sous-région, et assurément au-delà de toute la région. Nous disons que l’Afrique est le continent d’avenir puisqu’aujourd’hui, presque chaque année, il y a un pays qui abolit la peine de mort. Je voudrais rappeler que jusqu’en 1990, il n’y a qu’un seul pays abolitionniste qui était le Cap-Vert. Or, aujourd’hui, sur les 55 pays africains, nous avons 20 qui sont abolitionnistes de droit et 19 de fait. Au total, nous avons 39 pays qui ne pratiquent pas la peine de mort, ou plus précisément, qui n’exécutent plus un seul condamné.

C’est ce qui vous a fait dire lors du 3e congrès que l’Afrique a fait un bond en avant.

Bien entendu, vous constatez que c’est un continent qui évolue véritablement vers l’abolition de la peine de mort, relativement à des continents comme l’Asie, l’Amérique avec les Etats-Unis, même si l’Amérique latine est une grande zone abolitionniste.

Contrairement à vous, la représentante de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a indiqué que les pays africains peinent à ratifier la charte et a déclaré à ce sujet, qu’ils ont du pain sur la planche.

Oui, les pays africains ont du mal à ratifier le protocole additionnel à la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples visant à abolir la peine de mort. Ce protocole devrait amener les Etats africains à s’approprier ce phénomène de l’abolition de sorte qu’on puisse arriver à un continent complètement abolitionniste. On va même proposer à ceux qui appliquent la peine de mort de ne pas s’opposer à ce protocole parce qu’il ne lie que ceux qui y adhèrent ou le ratifient. La difficulté vient du fait que beaucoup s’y opposent en estimant que les procédures n’ont pas été suivies, ou qu’il faut que l’on revoie un certain nombre de termes, négocier autour de ces termes. Tout ceci vise à retarder le protocole, parce qu’une fois qu’il est adopté, ces Etats vont subir une pression de leur population, de l’opinion nationale et internationale, surtout des abolitionnistes pour abolir chez eux la peine de mort.

C’est quand même paradoxal vu que, comme vous le dites, plus de 2/3 des pays africains ne pratiquent plus la peine de mort.

C’est vrai, mais il y a quand même un noyau dur qui reste, et non des moindres. Dans ce noyau, vous avez le Nigeria, l’Egypte, le Botswana. Tous les pays maghrébins par exemple n’ont pas aboli la peine de mort en droit. Quand on prend les pays anglophones, pour la plupart, ils appliquent le moratoire, mais ils n’ont pas aboli la peine de mort en droit. Ce sont les pays lusophones qui sont champions en matière d’abolition. Cela est lié à l’histoire coloniale, parce que depuis le 19e siècle, le Portugal a aboli la peine de mort. Les pays francophones, dans le cadre de la francophonie, avancent résolument vers l’abolition de peine de mort.

Vous disiez au congrès cette phrase : « La peine de mort, ce n’est pas la justice, c’est la vengeance ».  Ceci dit, certaines personnes pensent que la peine de mort peut dissuader la commission de certains crimes !

L’histoire de l’humanité montre que la peine de mort a été longtemps appliquée, mais ça n’a jamais arrêté le crime. Dans les pays où c’est pratiqué, on ne peut pas démontrer que la sécurité est aujourd’hui meilleure que par le passé. Vous avez le cas des Etats-Unis. On ne peut pas dire que la peine de mort est synonyme de sécurité. Ensuite, comme je l’ai dit, la peine de mort n’est pas la justice, c’est de la vengeance. Parce que l’émotion prend le pas sur la raison. Mieux, vous reprochez à ceux qui ont commis un crime leur acte, et vous venez commettre le même acte. Qu’avez-vous ajouté comme plus value ? Quelle éducation donnez-vous dans ce sens ? La vocation d’un Etat n’est pas de se venger des citoyens mais de les éduquer. Cet Etat les a-t-il éduqués pour qu’ils en arrivent  des actes qui sont quelque fois désespérés ? A-t-il fait tout ce qui devrait pour que ses citoyens soient des modèles ? Ces pour toutes ces raisons que nous disons que la peine de mort n’a jamais assuré la sécurité, n’a jamais dissuadé le crime, et n’a jamais été de la justice, sinon beaucoup plus de la vengeance. De plus, quand quelqu’un a commis un acte aussi mauvais soit-il, on attend à ce que cette personne s’amende. Mais quand vous lui ôtez la vie, quelle occasion lui donnez-vous pour pouvoir s’amender ? Doit-on désespérer de l’homme ? C’est l’autre grande question !

Vous avez parlé d’éducation des citoyens. En Côte d’Ivoire, face à certains phénomènes tels que ceux des ‘’microbes’’ et des enlèvements d’enfants qui endeuillent des populations, des citoyens souhaitent que soit appliqué aux criminels le même sort. Sentez-vous cette éducation de la population par l’Etat ivoirien pour éviter la commission de crimes et d’autres actes dégradants?

Vous me rejoignez dans le sens que ces populations en ont marre. Dans ces conditions, c’est toujours l’émotion qui prend le pas sur la raison. On ne peut pas empêcher à un être humain d’exprimer ses émotions, mais on doit l’aider à les maîtriser. Ça, c’est aussi le rôle d’un Etat. Quand vous prenez ces jeunes enfants en conflit avec la loi qu’on appelle abusivement ‘’microbes’’, c’est sous l’effet de la drogue qu’ils agissent. Mais ce ne sont pas eux qui vont chercher la drogue, ce sont d’autres personnes qui leur mettent la drogue entre les mains. Ces personnes qui tirent de gros profits de cette drogue sont des personnes quasiment intouchables. Qu’est-ce qu’on leur fait ? Combien de personnes suffisamment aisées sont-elles dans les couloirs de la mort ? Pourquoi trouve-t-on plus de 95% des personnes dans les couloirs de la mort venant de la classe pauvre ? La pauvreté est-elle signe de criminalité ? Ce sont là des questions auxquelles il faut trouver une réponse afin d’éviter de recourir à la peine de mort, quelque fois même systématiquement. Vous comprenez pourquoi il faille éduquer la population. Aujourd’hui, on constate de plus en plus que la population s’adonne à la vindicte populaire. Or c’est de la responsabilité de l’Etat d’assurer la sécurité ! Quand la population s’adonne à la vindicte populaire, elle peut se tromper. Mais à qui la faute ? C’est donc pour toutes ces raisons qu’il faut privilégier la raison à l’émotion.

Certes en Côte d’Ivoire, on a aboli la peine de mort, mais qu’en est-il de la torture ?

Je vois bien le lien que vous êtes en train de faire parce que la peine de mort est assimilée à la torture. C’est vrai, la Côte d’Ivoire a aboli la peine de mort, mais la torture, au sens conventionnel du terme, existe. Elle a connu des pics avec la période de guerre puisque la CDVR a relevé dans son rapport plus de 5000 cas de tortures. Après la guerre, la torture a baissé, mais les mauvais traitements existent. C’est pourquoi nous menons des actions en vue de l’éradication de la torture et des mauvais traitements. La torture a plusieurs formes, elle est à la fois psychologique et physique, et le plus souvent, elle se pratique au secret. C’est pourquoi il est important de pouvoir mener des actions en amont, des actions de formation et de sensibilisation, en aval dans les lieux de détention pour les conditions de détention soient meilleures. Par exemple, que ceux qui sont en détention préventive ne fassent pas l’objet de mauvais traitements parce que les délais seraient dépassés. Or, il en existe. Ceux qui sont reçus dans les commissariats doivent pouvoir, dès les premiers moments de leur arrestation, bénéficier des services d’auxiliaires de justice, des avocats pour les accompagner. Combien de fois, lors des procès, des personnes qui ont signé leurs auditions se rétractent devant la justice ! Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ? C’est tout ça qui nous amène à continuer le combat contre la torture et les mauvais traitements.

N’avez-vous pas le sentiment que le fait que les tortionnaires ne soient poursuivis et punis est un élément qui les encourage à continuer ces actes de torture ?

Bien entendu, c’est l’impunité qui est la source et une des grandes raisons des violations des droits de l’Homme. Et sur cette question, il en existe en Côte d’Ivoire. Là, je vous rejoins.

Plus d’un an après votre élection à la tête de la Fiacat, quel bilan ?

Plus d’un an à la tête de la Fiacat après notre élection en août 2016, nous pouvons dire que la Fiacat continue d’avancer. Je pense que les membres des Acat (ndlr: Action des Chrétien pour l'abolition de la torture) ont souhaité me faire honneur en tenant le Conseil international en Côte d’Ivoire, du 11 au 13 avril 2018. Nous avons fait les bilans, aussi bien financier que moral, qui ont reçu des quitus. Ce qui veut dire que ça marche, ça avance ! Mais il y a toujours des défis à relever pour aller plus loin.

Lesquels défis par exemple ?

Nous avons le défi de la communication. Nous en sommes sûrs, notre communication n’est pas encore très forte. Mais communiquer aujourd’hui, c’est beaucoup investir, cela demande beaucoup d’argent, et nos moyens malheureusement ne sont pas considérables. Nous avons également le défi de la professionnalisation de nos Acat puisqu’elles ont besoin d’avoir des sièges, des plans d’actions, du personnel, des comptes, des projets, etc, et bien les gérer pour être crédibles. Aujourd’hui, il faut l’avouer, les associations ne peuvent pas se contenter de cotisations pour vivre. Elles ont besoin d’être financées par des bailleurs à travers des projets. Nous avons aussi le défi du rajeunissement des Acat au niveau européen où la moyenne est de 60 ans dans certaines associations. Il faut donc des jeunes pour prendre la relève et assurer la pérennisation de ces Acat. Il y a aussi le défi de la gouvernance démocratique, de la redevabilité dans la gestion des ressources financières, du renforcement des capacités des bénévoles qui sont dans nos Acat pour qu’ils soient efficaces, engagés davantage et qu’ils ne cherchent pas à monnayer leur bénévolat. Voilà autant de défis que nous avons et qui nous amènent à nous engager ensemble pour aller plus loin.

Vous parlez de rajeunissement de vos structures. Alors comment des jeunes peuvent adhérer à une Acat ?

Comme pour toute association, ces jeunes peuvent venir au siège de la Acat, ici à Cocody Angré,  pour remplir une fiche d’adhésion. Ou se rendre sur notre site internet où l’on peut trouver toutes les informations possibles.

Vu les défis qui sont les vôtres au niveau de la Fiacat, quel est à ce jour votre objectif principal pour le reste de votre mandat?

C’est de relever ensemble avec toutes les Acat, les défis que nous avons identifiés. Tel est notre objectif et telle est notre espérance.

Réalisée par César DJEDJE MEL

Président de la Fédération internationale des associations chrétiennes contre la peine de mort et la torture (Fiacat), Paul Angaman a livré, le lundi 9 avril 2018, un important discours lors de l’ouverture du 3e congrès régional africain contre la peine de mort, à Abidjan. Dans une interview à notre organe, mercredi 18 avril, il revient sur la situation de la peine de mort en Afrique, plus particulièrement en Côte d’Ivoire où il reconnaît qu’il existe aussi des pratiques de tortures, du reste impunies.

La Côte d’Ivoire a abrité le 3e congrès régional contre la peine de mort. Qu’est-ce que cela fait de recevoir un tel évènement ?

C’est un honneur pour notre pays de recevoir un tel évènement régional, mais c’est aussi un encouragement aux autorités ivoiriennes pour les efforts faits dans le sens de l’abolition de la peine de mort.

Quand est-ce que la peine de mort a été abolie en Côte d’Ivoire ?

En Côte d’Ivoire, la peine de mort a été abolie en droit par la constitution d’août 2000 et réaffirmée par la constitution du 8 novembre 2016. Mais depuis son indépendance, la Côte d’Ivoire s’est inscrite au rang des pays abolitionnistes, d’abord de fait, puisqu’elle a toujours observé un moratoire sur les exécutions. Il y a eu certes des condamnations, mais jamais d’exécutions. La seule étape qui reste à la Côte d’Ivoire pour être reconnue comme un pays abolitionniste de droit de façon irréversible, c’est de ratifier le deuxième protocole international au pacte relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

Qu’est-ce qui bloque ?

A ce niveau, les autorités disent qu’il n’y a plus d’obstacles à la ratification et qu’on n’a pas besoin de faire passer le texte à l’Assemblée nationale. Un seul décret présidentiel peut permettre de parvenir à la ratification du deuxième protocole facultatif relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (OP2).

Mais ce n’est pas encore fait.

Non, ce n’est pas encore fait. Il revient aux autorités et surtout au chef de l’Etat de prendre ce décret.

Vous l’avez dit, ce congrès était aussi pour encourager les autorités ivoiriennes, mais n’y a-t-il pas un message qu’on a voulu lancer à partir de la Côte d’Ivoire ?

Bien entendu ! On sait qu’en Afrique, la situation de la peine de mort est la suivante. Nous avons 20 pays qui sont abolitionnistes de droit, 19 pays qui observent un moratoire et il y a encore 16 qui appliquent la peine de mort. Si la Côte d’Ivoire fait partie de l’un des pays abolitionnistes, et la Côte d’Ivoire est un pays qui compte dans la sous-région, on veut certainement faire de la Côte d’Ivoire un pays leader pour porter le message abolitionniste au niveau de la sous-région, et assurément au-delà de toute la région. Nous disons que l’Afrique est le continent d’avenir puisqu’aujourd’hui, presque chaque année, il y a un pays qui abolit la peine de mort. Je voudrais rappeler que jusqu’en 1990, il n’y a qu’un seul pays abolitionniste qui était le Cap-Vert. Or, aujourd’hui, sur les 55 pays africains, nous avons 20 qui sont abolitionnistes de droit et 19 de fait. Au total, nous avons 39 pays qui ne pratiquent pas la peine de mort, ou plus précisément, qui n’exécutent plus un seul condamné.

C’est ce qui vous a fait dire lors du 3e congrès que l’Afrique a fait un bond en avant.

Bien entendu, vous constatez que c’est un continent qui évolue véritablement vers l’abolition de la peine de mort, relativement à des continents comme l’Asie, l’Amérique avec les Etats-Unis, même si l’Amérique latine est une grande zone abolitionniste.

Contrairement à vous, la représentante de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a indiqué que les pays africains peinent à ratifier la charte et a déclaré à ce sujet, qu’ils ont du pain sur la planche.

Oui, les pays africains ont du mal à ratifier le protocole additionnel à la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples visant à abolir la peine de mort. Ce protocole devrait amener les Etats africains à s’approprier ce phénomène de l’abolition de sorte qu’on puisse arriver à un continent complètement abolitionniste. On va même proposer à ceux qui appliquent la peine de mort de ne pas s’opposer à ce protocole parce qu’il ne lie que ceux qui y adhèrent ou le ratifient. La difficulté vient du fait que beaucoup s’y opposent en estimant que les procédures n’ont pas été suivies, ou qu’il faut que l’on revoie un certain nombre de termes, négocier autour de ces termes. Tout ceci vise à retarder le protocole, parce qu’une fois qu’il est adopté, ces Etats vont subir une pression de leur population, de l’opinion nationale et internationale, surtout des abolitionnistes pour abolir chez eux la peine de mort.

C’est quand même paradoxal vu que, comme vous le dites, plus de 2/3 des pays africains ne pratiquent plus la peine de mort.

C’est vrai, mais il y a quand même un noyau dur qui reste, et non des moindres. Dans ce noyau, vous avez le Nigeria, l’Egypte, le Botswana. Tous les pays maghrébins par exemple n’ont pas aboli la peine de mort en droit. Quand on prend les pays anglophones, pour la plupart, ils appliquent le moratoire, mais ils n’ont pas aboli la peine de mort en droit. Ce sont les pays lusophones qui sont champions en matière d’abolition. Cela est lié à l’histoire coloniale, parce que depuis le 19e siècle, le Portugal a aboli la peine de mort. Les pays francophones, dans le cadre de la francophonie, avancent résolument vers l’abolition de peine de mort.

Vous disiez au congrès cette phrase : « La peine de mort, ce n’est pas la justice, c’est la vengeance ».  Ceci dit, certaines personnes pensent que la peine de mort peut dissuader la commission de certains crimes !

L’histoire de l’humanité montre que la peine de mort a été longtemps appliquée, mais ça n’a jamais arrêté le crime. Dans les pays où c’est pratiqué, on ne peut pas démontrer que la sécurité est aujourd’hui meilleure que par le passé. Vous avez le cas des Etats-Unis. On ne peut pas dire que la peine de mort est synonyme de sécurité. Ensuite, comme je l’ai dit, la peine de mort n’est pas la justice, c’est de la vengeance. Parce que l’émotion prend le pas sur la raison. Mieux, vous reprochez à ceux qui ont commis un crime leur acte, et vous venez commettre le même acte. Qu’avez-vous ajouté comme plus value ? Quelle éducation donnez-vous dans ce sens ? La vocation d’un Etat n’est pas de se venger des citoyens mais de les éduquer. Cet Etat les a-t-il éduqués pour qu’ils en arrivent  des actes qui sont quelque fois désespérés ? A-t-il fait tout ce qui devrait pour que ses citoyens soient des modèles ? Ces pour toutes ces raisons que nous disons que la peine de mort n’a jamais assuré la sécurité, n’a jamais dissuadé le crime, et n’a jamais été de la justice, sinon beaucoup plus de la vengeance. De plus, quand quelqu’un a commis un acte aussi mauvais soit-il, on attend à ce que cette personne s’amende. Mais quand vous lui ôtez la vie, quelle occasion lui donnez-vous pour pouvoir s’amender ? Doit-on désespérer de l’homme ? C’est l’autre grande question !

Vous avez parlé d’éducation des citoyens. En Côte d’Ivoire, face à certains phénomènes tels que ceux des ‘’microbes’’ et des enlèvements d’enfants qui endeuillent des populations, des citoyens souhaitent que soit appliqué aux criminels le même sort. Sentez-vous cette éducation de la population par l’Etat ivoirien pour éviter la commission de crimes et d’autres actes dégradants?

Vous me rejoignez dans le sens que ces populations en ont marre. Dans ces conditions, c’est toujours l’émotion qui prend le pas sur la raison. On ne peut pas empêcher à un être humain d’exprimer ses émotions, mais on doit l’aider à les maîtriser. Ça, c’est aussi le rôle d’un Etat. Quand vous prenez ces jeunes enfants en conflit avec la loi qu’on appelle abusivement ‘’microbes’’, c’est sous l’effet de la drogue qu’ils agissent. Mais ce ne sont pas eux qui vont chercher la drogue, ce sont d’autres personnes qui leur mettent la drogue entre les mains. Ces personnes qui tirent de gros profits de cette drogue sont des personnes quasiment intouchables. Qu’est-ce qu’on leur fait ? Combien de personnes suffisamment aisées sont-elles dans les couloirs de la mort ? Pourquoi trouve-t-on plus de 95% des personnes dans les couloirs de la mort venant de la classe pauvre ? La pauvreté est-elle signe de criminalité ? Ce sont là des questions auxquelles il faut trouver une réponse afin d’éviter de recourir à la peine de mort, quelque fois même systématiquement. Vous comprenez pourquoi il faille éduquer la population. Aujourd’hui, on constate de plus en plus que la population s’adonne à la vindicte populaire. Or c’est de la responsabilité de l’Etat d’assurer la sécurité ! Quand la population s’adonne à la vindicte populaire, elle peut se tromper. Mais à qui la faute ? C’est donc pour toutes ces raisons qu’il faut privilégier la raison à l’émotion.

Certes en Côte d’Ivoire, on a aboli la peine de mort, mais qu’en est-il de la torture ?

Je vois bien le lien que vous êtes en train de faire parce que la peine de mort est assimilée à la torture. C’est vrai, la Côte d’Ivoire a aboli la peine de mort, mais la torture, au sens conventionnel du terme, existe. Elle a connu des pics avec la période de guerre puisque la CDVR a relevé dans son rapport plus de 5000 cas de tortures. Après la guerre, la torture a baissé, mais les mauvais traitements existent. C’est pourquoi nous menons des actions en vue de l’éradication de la torture et des mauvais traitements. La torture a plusieurs formes, elle est à la fois psychologique et physique, et le plus souvent, elle se pratique au secret. C’est pourquoi il est important de pouvoir mener des actions en amont, des actions de formation et de sensibilisation, en aval dans les lieux de détention pour les conditions de détention soient meilleures. Par exemple, que ceux qui sont en détention préventive ne fassent pas l’objet de mauvais traitements parce que les délais seraient dépassés. Or, il en existe. Ceux qui sont reçus dans les commissariats doivent pouvoir, dès les premiers moments de leur arrestation, bénéficier des services d’auxiliaires de justice, des avocats pour les accompagner. Combien de fois, lors des procès, des personnes qui ont signé leurs auditions se rétractent devant la justice ! Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ? C’est tout ça qui nous amène à continuer le combat contre la torture et les mauvais traitements.

N’avez-vous pas le sentiment que le fait que les tortionnaires ne soient poursuivis et punis est un élément qui les encourage à continuer ces actes de torture ?

Bien entendu, c’est l’impunité qui est la source et une des grandes raisons des violations des droits de l’Homme. Et sur cette question, il en existe en Côte d’Ivoire. Là, je vous rejoins.

Plus d’un an après votre élection à la tête de la Fiacat, quel bilan ?

Plus d’un an à la tête de la Fiacat après notre élection en août 2016, nous pouvons dire que la Fiacat continue d’avancer. Je pense que les membres des Acat ont souhaité me faire honneur en tenant le Conseil international en Côte d’Ivoire, du 11 au 13 avril 2018. Nous avons fait les bilans, aussi bien financier que moral, qui ont reçu des quitus. Ce qui veut dire que ça marche, ça avance ! Mais il y a toujours des défis à relever pour aller plus loin.

Lesquels défis par exemple ?

Nous avons le défi de la communication. Nous en sommes sûrs, notre communication n’est pas encore très forte. Mais communiquer aujourd’hui, c’est beaucoup investir, cela demande beaucoup d’argent, et nos moyens malheureusement ne sont pas considérables. Nous avons également le défi de la professionnalisation de nos Acat puisqu’elles ont besoin d’avoir des sièges, des plans d’actions, du personnel, des comptes, des projets, etc, et bien les gérer pour être crédibles. Aujourd’hui, il faut l’avouer, les associations ne peuvent pas se contenter de cotisations pour vivre. Elles ont besoin d’être financées par des bailleurs à travers des projets. Nous avons aussi le défi du rajeunissement des Acat au niveau européen où la moyenne est de 60 ans dans certaines associations. Il faut donc des jeunes pour prendre la relève et assurer la pérennisation de ces Acat. Il y a aussi le défi de la gouvernance démocratique, de la redevabilité dans la gestion des ressources financières, du renforcement des capacités des bénévoles qui sont dans nos Acat pour qu’ils soient efficaces, engagés davantage et qu’ils ne cherchent pas à monnayer leur bénévolat. Voilà autant de défis que nous avons et qui nous amènent à nous engager ensemble pour aller plus loin.

Vous parlez de rajeunissement de vos structures. Alors comment des jeunes peuvent adhérer à une Acat ?

Comme pour toute association, ces jeunes peuvent venir au siège de la Acat, ici à Cocody Angré,  pour remplir une fiche d’adhésion. Ou bien, se rendre sur notre site internet où l’on peut trouver toutes les informations possibles.

Vu les défis qui sont les vôtres au niveau de la Fiacat, quel est à ce jour votre objectif principal pour le reste de votre mandat?

C’est de relever ensemble avec toutes les Acat, les défis que nous avons identifiés. Tel est notre objectif et telle est notre espérance.

Réalisée par César DJEDJE MEL

Partages sur Facebook Partages sur Twitter + Partages sur WhatsApp

0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.

Commentez cet article

Auteur Commentaire : Poster votre commentaire
Banner 01

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email

Identifiez-vous

Don't have an account? Registration
OR