Depuis le départ de Jacques Anouma de la FIF, vous semblez
être entré en hibernation concernant le football ivoirien. Comment
expliquez-vous ce silence ?
À la vérité, ce sont plutôt mes responsabilités qui me
tiennent loin du champ du football. Je suis un féru de sport en général, de
football, de basket, de handball, de l’athlétisme et même des arts martiaux.
Mais, le contexte politique, économique, social, et mes activités
professionnelles ne m’ont pas permis effectivement d’être assez présent. Et il
faut reconnaître aussi que le fait que mon ami et frère, Jacques (NDLR :
Jacques Anouma, ancien président de la FIF) soit parti de la Fédération peut
expliquer également cette situation. Nous avions des valeurs, à savoir l’amitié
vraie, la solidarité agissante, la fidélité et la loyauté, sur lesquelles on
bâtit du solide et on devient une référence pour les autres. Ce sont des vertus
cardinales que je cultive. Ce n’est pas seulement le fait d’être à la tête
d’une association qui doit expliquer que vous soyez ensemble. C’est vrai que le
contexte le lui dictait, mais Jacques Anouma est parti de lui-même alors qu’il
aurait pu continuer. Et il devait poursuivre son œuvre du fait des acquis :
participation à deux coupes du monde, un niveau de représentativité dans le
monde footballistique très élevé, des joueurs révélés dont la base était portée
par l’académie mimosifcom. Jacques a eu la chance d’être coopté à un niveau
très élevé et relevé. Il a gagné le pari d’être directeur financier d’Air
France en Côte d’Ivoire et directeur administratif et financier de la Côte
d’Ivoire. C’est la perfection de la gestion du service public qu’il faut voir,
et cela donne la mesure de la probité morale de l’homme. Vous avez été vraiment
convaincu de la gestion du dirigeant… Il a géré la fédération ivoirienne de
football avec un tel brio que personne n’aurait pu lui soupçonner. Il y a
imprimé un savoir faire, une vision, une justesse du choix des hommes qui l’ont
accompagné dans cette aventure fabuleuse et merveilleuse. Il a bâti la «
génération dorée » qui succède à la génération des Konan Yobouet, Laurent
Pokou, Kallet Bialy, Jo Bléziri, Maurice Déhi, Diagou Mathias, Tahi François ou
encore Moh Emmanuel, c’est-à-dire ceux qui construisirent l’histoire du
football ivoirien avec un grand H, dont les empreintes sont encore visibles
aujourd’hui. Cela vous démontre la qualité de ce que Jacques Anouma a réussi à
faire. Il est clair que la passion qui nous a animés dans le championnat était
très relevée à l’époque.
Mais, aujourd’hui, nous sommes unanimes à reconnaître la
baisse quasi perceptible du niveau du football après son départ, le manque
criard de joueurs qui fassent se lever les foules. Jacques Anouma a fait jouer
sa notoriété, son prestige, son leadership en tant que président de la
fédération et sa proximité avec le pouvoir exécutif de la République pour
attirer des joueurs de la trempe de Didier Drogba. Et il avait autour de lui
des personnalités comme Idriss Diallo et Sory Diabaté. C’est peut-être
l’occasion pour vous de parler de ces trois personnalités. C’est l’ironie de
l’histoire qui remet en scène ces différentes personnalités. C’est pourquoi,
les gens doivent éviter les fausses querelles qui n’ont pas de sens. Ils sont
nombreux ceux qui ne savent pas comment ça s’est passé et qui aiment mener des
combats d’arrière-garde. Il faut rester digne et respecter les gens dans leurs
choix, dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils ont été, dans ce qu’ils ont fait.
Cela est éminemment important lorsqu’on doit faire le choix des leaders. Et les
personnalités dont je viens de parler sont toutes des leaders en leurs qualités
intrinsèques, leur valeurs, leurs codes d’honneur, leurs visions. Si on ne crée
pas les conditions pour vivre ensemble, on ne doit pas créer les conditions
pour les opposer ou médire sur leur compte. Ce qui du reste traduit bien un
comportement déficient. Quand vous avez de la valeur, vous créez les conditions
pour que ces personnes-là soient ensemble. Tous ceux qui étaient membres de la
fédération ivoirienne de football étaient des hommes brillants à leur poste.
Pour l’histoire, je suis celui qui a créé, avec l’accord du comité exécutif, le
Jury des Oscars du football ivoirien. J’en étais le secrétaire permanent
pendant cinq à six ans. Mon ami et frère Zakpa Komenan en était le président.
J’étais la cheville ouvrière, la tête pensante. Tous les discours du juriste et
latiniste émérite Zakpa Komenan, c’est moi qui les écrivais parce que je ne
suis pas moins juriste et latiniste. Et il s’en délectait.
Que retenez-vous justement du défunt Ministre Zakpa Komenan
Roland avec qui vous avez collaboré au sein du Jury des oscars ?
Beaucoup de tristesse parceque c’était un homme brillant.
J’ai rarement vu un homme aussi brillant être aussi modeste. Il a été ministre
des sports et ministre de l’enseignement technique et de la formation
professionnelle. Il a eu la culture et la pratique de l’homme comme nos anciens
le pratiquèrent-ils, avec beaucoup de détachement. C’est une grande perte. Je
ne sais pas si la Côte d’Ivoire a pu apprécier à sa juste valeur ce grand homme
de culture, du savoir. Il était d’une telle densité, d’une telle profondeur. A
lui seul, il recelait de qualités humaines, intellectuelles et
professionnelles, mais était d’une simplicité proportionnelle. C’est une grande
perte, mais ses œuvres sont là.
Après cette période, il y a eu le silence de votre part. Ce
silence peut-il être assimilé à une indifférence ou à la conséquence
d’éventuelles mauvaises relations avec le comité exécutif sortant dirigé par le
défunt président Augustin Sidy Diallo ?
Non, non. Sidy, paix à son âme, c’est mon jeune frère. Le
vieux (NDLR : Abdoulaye Diallo), c’est mon père. Pour la petite histoire,
lorsque feu Dieng Ousseynou, mon ami et frère, fut élu président de la FIF, il
sollicitât feu Amadou Diallo (NDRL : frère aîné de Sidy Diallo) pour faire
partie de son comité exécutif. Après concertation de la famille, c’est moi
qu’elle a commis à la tâche pour dire à Dieng Ousseynou que Amadou Diallo étant
occupé, la famille acceptait que Sidy le remplace. Voilà comment Sidy Diallo
est arrivé à la fédération ivoirienne de football. Tout le monde connaît le
rôle important qu’il a joué, sa rigueur. Il était intraitable. Ça peut gêner,
mais c’est sa nature et il gagne. La preuve, on remporte la Coupe d’Afrique en
1992. Puis, après, une finale en 2006, une autre en 2012. Il a participé au
premier mandat de Jacques Anouma en tant que deuxième vice-président de la FIF,
Feh Kessé en était le premier. Le fonctionnement optimum de la FIF, à l’image
des fédérations européennes, était également de son fait. Puis, pour des raisons
personnelles et professionnelles, il a pris du recul. Après la crise postélectorale,
le mandat de Jacques Anouma venait à expiration. Le choix d’un homme de qualité
qui ait du vécu, qui ait du charisme, qui ait aussi les moyens, était devenu
une nécessité pour lui succéder à la tête de la fédération. Aussi, lorsque
l’opinion finit par savoir que c’était lui et que les clubs, qui sont les
électeurs, le firent par rapport à son vécu, à sa personnalité, à ses qualités
managériales, il devint le président. Et comme un bonheur ne vient jamais seul,
il remporta une autre Coupe d’Afrique en 2015.
Que pensez-vous de la gestion du football ivoirien durant
cette décennie ?
Jacques Anouma et Sidy Diallo, ce sont deux personnalités
différentes. Et au niveau du tempérament et au niveau de la vision, mais avec
pour objectifs les mêmes résultats. Ce sont les méthodes qui diffèrent. Vous
verrez qu’il y a pas mal de personnalités qui étaient avec Jacques Anouma qui
sont restées avec Sidy Diallo. C’était normal que ces compétences fussent mises
à contribution parce qu’elles auraient une somme d’expériences qu’il fallait
quasi inéluctablement mettre à la disposition de la fédération pour poursuivre
le rayonnement du football ivoirien. Mais, la différence, c’est que beaucoup de
joueurs étaient vieillissants ou avaient pris leur retraite internationale. La
force de frappe qui faisait se lever les foules, l’attraction majeure, n’était
plus là. Mais, Sidy, avec son charisme, conduisait la machine. Il joue une
finale de CAN en 2012 et une autre en 2015 qu’il remporte C’est dix sur dix.
Jacques Anouma aussi, c’était dix sur dix au regard du rayonnement
international, de la qualité exceptionnelle des joueurs, deux coupes du monde
disputées, une finale de CAN en 2006. La même année, on a participé pour la
première fois à la coupe du monde. On a onze joueurs titulaires, onze
remplaçants et des réservistes du même talent et du même niveau. Moi qui suis
un esthète du football, que j’aille regarder des matches sur des pelouses où
les gars se crêpent les chignons, taillent les balles et s’illustrent par des
loupés incroyables, c’est vrai que ça manque. J’ai été obligé de prendre du
recul. Pas que je l’ai fait à dessein, mais ce spectacle soporifique, insipide,
qu’il m’était donné de voir, pour l’expert que je suis, ne me satisfaisait pas.
C’est pour cela que j’ai regardé de loin. Mais, comme si tu ne vas pas à
Lagardère, Lagardère vient à toi, je suis dans le football.
Avez-vous été sollicité d’une manière ou d’une autre durant
cette dernière décennie?
Ce n’est pas de gaité de cœur que j’ai pris du recul, mais
je rencontrais mon frère Sidy. Même lorsqu’il y a eu des quiproquos et qu’il
était combattu par d’autres frères que je connais bien, je lui parlais. Ce
n’était pas sur la place publique. J’allais chez le vieux. Je parlais à certains
journalistes.
Que pensez-vous de la nomination d’un comité de
normalisation à la tête de la FIF ?
Je le dis tout net : je n’ai pas apprécié et je n’ai pas
approuvé. Il s’agit d’un Etat souverain, dirigé par un président à dimension
planétaire, le Président Alassane Ouattara. Puis, parce que tout simplement il
y a des incompréhensions et non des contradictions inextricables, une situation
qu’on pouvait gérer en toute intelligence, la FIFA vient imposer à la
République de Côte d’Ivoire un comité de normalisation. Au départ, je ne
comprenais pas bien. J’ai voulu même comprendre et apporter ma contribution. Je
me suis dit, comme les frères ne s’entendent pas, peut-être sans doute nous qui
avons l’expérience, la culture du football, pouvions apporter de l’éclairage.
En plus, j’ai une notoriété quand même dans la presse et comme tel, c’est un
atout au niveau d’un dossier international. J’ai eu le ministre Danho Paulin
(NDLR : le ministre en charge des sports) qui m’a expliqué un peu. Il n’a pas
été très explicite. C’est mon ami, je sais. Donc, j’ai arrêté et j’ai regardé.
J’ai suivi les débats. Et jusqu’aujourd’hui, l’Ivoirien fier que je suis,
n’apprécie pas et n’approuve pas. Ce qui n’est pas à confondre avec la personne
de Mme Dao Gabala (NDLR : présidente du comité de normalisation de la FIF) ou
d’Abé Adou Simon.
Pourquoi dites-vous cela ?
Les gens ne se sont même pas rendu compte qu’Abé Adou Simon,
c’est l’ancien numéro 10 de l’USC Bassam, avec Niang Seydou, Béhiri Aurelien,
Bamba Ousmane, Traoré Maxime, Gomez Alexis, Boti Vincent. C’est cette équipe
qui battait l’Africa Sports quand elle le voulait. Il a fait ses études, il est
devenu avocat en Europe. C’est une fierté. C’est un ami, un frère. Mme Dao
Gabala, elle a fait ses preuves dans plusieurs institutions. Peut-être que ce
n’était pas dans ce domaine précis. Quant au Pr Martin Bléou, il a été ministre
de la sécurité en Côte d’Ivoire. Il a un rang magistral. Ce n’est pas au Conor
qu’on doit le mettre. C’est mon opinion personnelle. J’estime que le Pr Martin
Bléou doit apporter plus à la Côte d’Ivoire, ailleurs que dans une instance de
football, fut-elle si importante. Gianni Infantino, le président de la FIFA,
dit qu’Hamed Ouattara (NDLR : ex-international ivoirien) est son ami. Ça veut
dire que dans la vie tout peut arriver. Et que Hamed Ouattara peut devenir
demain président de la FIF ou de la CAF. La CAF qui était destinée à un homme
brillant, celui qui en avait le profil, Jacques Anouma.
Pouvez-vous développer votre idée ?
C’est un complot qui a eu raison de Jacques Anouma, complot
à l’international. Qu’est-ce qui justifiait que l’on ait empêché un homme aussi
brillant de compétir avec les autres pour être président de la CAF. Il avait
déjà quasiment le soutien de l’Afrique de l’Ouest. Et le président de la
République avait accepté qu’il aille à la conquête de l’Afrique. Il était déjà
parti. Et c’est subitement la FIFA qui prend la décision qu’il n’y aura pas
d’élection de la CAF. Mais, pourquoi elle ne dit pas qu’il n’y aura pas
d’élection à la présidence de la confédération européenne, l’UEFA ? Donc, c’est
sous le prisme du misérabilisme qu’elle continue de regarder l’Afrique. Jacques
Anouma a été victime de ce complot. Visiblement, alors qu’il en avait tout le
profil, tout le talent, tout le brio. Comme Amichia François peut être demain
président de la CAF parce qu’il en a la culture. D’abord l’organisation des
supporters, ensuite ministre des sports, puis maire, donc la gestion de la
proximité dans la cité. On avait les hommes pour gagner cette bataille parce
que le leadership de la Côte d’Ivoire est sans conteste. Et le président de la
République de Côte d’Ivoire est le champion du leadership en Afrique d’une
manière générale, voire en Europe et en Asie parce qu’il a eu à gérer
l’économie de certains pays asiatiques, africains et européens. Donc, on avait
tous les atouts. Mais, qu’est-ce qui s’est passé ? On vient et on impose un
milliardaire. Mais, et le sportif ? Le palmarès de Jacques Anouma est éloquent.
Il avait toutes les cartes pour gagner. L’équation personnelle du président
Ouattara et l’équipe de campagne qui était autour de lui, c’était pour
pulvériser ses adversaires. Ce qu’ils surent et qui les amenât, après
réflexions, à procéder ainsi. On serait allé aux élections de façon régulière,
il n’y aurait pas eu de débat. Jacques serait assis dans le fauteuil de
président de la CAF. Pourquoi c’est la FIFA qui va venir dicter à l’Afrique la
conduite à tenir ?
Mais, quelle insulte à notre intelligence, à l’histoire de
nos parents, nos aïeuls qui se battirent pour faire de nous des dignes fils !
Est-ce à dire que
vous n’approuvez pas le fonctionnement actuel de la CAF ?
Ni le fonctionnement de la CAF ni même celui de la FIFA,
encore moins du Conor-FIF. Par celle-ci, ce ne sont pas les hommes que
j’indexe. C’est l’institution que je n’approuve pas.
N’est-ce pas aussi la faute des acteurs du football ivoirien
qui se sont illustrés par des palabres ?
Il y a des pays où il y a eu des palabres plus que cela,
mais ils ne sont pas allés aussi loin. Et puis, l’institution elle-même,
qu’est-ce qu’elle a apporté de plus ? Les palabres n’ont pas cessé. Je
n’apprécie pas. Je n’ai pas donné de la voix dans le temps parce que ce n’était
pas nécessaire. Il faut laisser les gens commis à cette tâche s’en acquitter.
Ils l’ont bien fait. Mais, le résultat est là: la même pagaille entre les
hommes continuent. A quoi cela aura donc servi ? Les championnats se jouent.
L’assemblée générale est prévue pour très bientôt. Je pense qu’on aurait pu
éviter d’être mis sous coupe réglée. On est un pays trop important pour que
l’on apprivoisât la gestion de son football. Je ne l’aurais pas accepté. Je me
serais dressé devant la FIFA. Mais, ça été fait. Je pense qu’on va tirer les
enseignements de cette situation pour que les acteurs eux-mêmes comprennent
qu’à un moment donné, il faut savoir lâcher du lest.
Une des raisons avancées, c’était les textes. Pensez-vous
qu’il y a de grandes insuffisances dans les textes de la fédération ?
Généralement, le problème des textes, c’est celui des
intellectuels et plus particulièrement des juristes. Or, regardez la carrure
des présidents de club et leurs hommes liges. Combien de fois ils ont lu les
textes ? Combien prennent la peine de les disséquer pour en déceler les failles
? Lors des AG, on dit les textes sont approuvés, ils applaudissent. C’est
lorsqu’il y a des débats, des incompréhensions, qu’ils se posent des questions.
Donc, ce débat sur les textes ne date pas d’aujourd’hui. Au temps du président
Brizoua Bi, il y a eu des problèmes. Il y a eu l’affaire Abdoulaye Traoré et
bien d’autres. Les personnes qui rédigent les textes, ce sont les mêmes qui
s’asseyent pour les réviser, selon que ça les arrange ou pas. C’est un débat
sans fin.
Pensez-vous que le délai d’un an imparti par la FIFA au
Conor est suffisant pour qu’il puisse accomplir sa mission?
Dès l’instant où nous avons accepté la nomination d’un
comité de normalisation, nous nous en assumons les conséquences. Pour moi, la
question ne se pose pas.
Que pensez-vous de l’instabilité chronique qui règne au sein
de certains clubs ivoiriens, notamment l’Africa Sports ?
Cette instabilité chronique n’est pas liée seulement à
l’Africa Sports, aujourd’hui dirigé par mon jeune frère Yves Zogbo Junior. Ce
n’est pas d’aujourd’hui que les clubs éprouvent des difficultés, qu’ils sont
habités par la tentation du diable : renversement de président, tentative de
sabotage, croc-en-jambe… toutes les antivaleurs. Le football, qui est certes
l’opium du peuple, est en même temps un fond de commerce important pour
beaucoup de dirigeants qui sont dans le football. Celui-ci se joue sur le
terrain, mais il nourrit toute une chaîne. Quand ceux qui sont au bout de la
chaîne deviennent mécontents et sont les plus nombreux, leur réaction finit par
créer une crise au cœur du dispositif, donc au sommet. C’est une structure
pyramidale : la tête, les supporters, les sympathisants et les mécènes. Le
Stade d’Abidjan a été dirigé par Me Mondon, brillant avocat. C’était la grande
équipe du Stde d’Abidjan. C’était une dynastie de barons qui aimaient le
football et le sport. Idem pour l’Asec Mimosas. Touré Mamadou, Victor Ekra,
Kouyaté Mamadou… Ils avaient leurs ramifications tant dans le pouvoir central
que dans l’administration. La CNPS a été dirigée pendant longtemps par un des
barons de l’Asec. La quasi-totalité des joueurs mythiques de l’Asec travaillait
à la CNPS. Ils ont pris leur retraite et leurs enfants continuent de perpétuer
la tradition. Il y a le Stella Club. Nkoumo Mobio, Osséi Gnazou, Abdoulaye
Diallo… Des influamentos qui avaient les moyens aussi. Il y avait aussi la JCA.
Jacques Anouma a ressuscité ce club avant de créer l’AFAD en hommage à Amadou
Diallo. La JCA, c’est Treichville. C’est la fusion de plusieurs clubs de cette
commune.
Ces clubs sont-ils organisés comme de véritables dynasties ?
C’est une sorte de mafia à visage humain. Comme les barons
ou les parrains dans les films mythiques policiers. Tout le New Deal qui a eu
lieu aux Etats-Unis. On donnerait le bon Dieu sans confession à certains
parrains tellement ils apparaissaient d’une tranquillité, d’une netteté. On
dirait : « voici l’homme ». Mais, à la vérité, tout le New Deal qui a eu lieu
aux Etats Unis et que Chicago a été transformée en sanctuaire de la mafia, ceux
à qui ça profitait, c’est ceux qui étaient dans les grosses villas, assis.
Quand on les voyait en ville, on rêverait d’être comme eux, mais à la vérité,
c’est tout le petit commerce qu’ils pillaient. Chicago en 1929, c’était la
pagaille totale. La prohibition. Les parrains étaient tranquillement chez eux.
Chacun savait ce qu’il avait à faire. Celui qui contrevenait à cela, c’était à
ses risques et périls. C’est comme cela que le football ivoirien était. Il y a
eu le Sacraboutou de Bondoukou, le Kapahatian de Korhogo, le Denguélé
d’Odienné, l’ASI d’Abengourou, le Djibetoua de Tabou. Tabou qui a fait partie
des six cercles de la Côte d’Ivoire coloniale. San Pedro n’était qu’un petit
village à côté de Tabou. Ça, c’est l’histoire authentique et originelle de la
Côte d’Ivoire et du football ivoirien. Tous les hommes politiques, d’hier à
aujourd’hui, sont de ces clubs. Et ils ne peuvent être que de ces clubs.
Donc, vous insinuez qu’il y a de gros enjeux qui se
transmettent de génération en génération ?
C’est clair. J’allais dire même par atavisme. Vous voyez le
jeune qui se manifeste du côté de l’Africa Sports, Didier N’Guessan. Son père a
été un président mythique de ce club. Il s’agit de Koffi N’Guessan. Didier a
grandi dans cet environnement. Mon oncle, Lanzéni Coulibaly, était président de
l’Asec. On habitait où est l’ambassade de France aujourd’hui. En ce mont,
j’étais au Collège du Plateau. On prenait les sacs des joueurs. On passait par
le Monument aux morts, entre les barbelés, pour accéder au stade
Houphouët-Boigny. Plus que de génération en génération, je dirais même par
atavisme, c’est-à-dire une transmission de père en fils. C’est cela le football
en Côte d’Ivoire. Et le football est si beau en voyant rassemblées des
personnes venues d’horizons divers. C’est l’esprit qui a guidé les pères
fondateurs qui doit prévaloir.
Ça serait quand même le règne d’une oligarchie. Non, ce
n’est pas ça. Cela signifie simplement que l’esprit qui a guidé les pères
fondateurs doit prévaloir. Et les mânes ont prié hier pour qu’il demeurât de la
sorte. Mais, ils sont sortis du schéma. Ils ont oublié. Cependant, l’Asec,
malgré les difficultés, joue toujours les premiers rôles. Dans ce club, il n’y
a pas eu de rupture… Il ne peut pas y avoir de rupture parce que chaque fois il
y a un culte de l’esprit des anciens. Et Me Roger Ouégnin (NDLR : actuel
président de l’Asec Mimosas) y veille. C’est pour cela qu’il est encore là. Le
jour qu’il va dévier, je serai le premier à monter sur lui. Mais, il ne peut
pas dévier parce que nous sommes frères et nous entretenons ce culte. C’est le
gage de la stabilité.
A l’Asec, il n’y a pas de problème. Ce qui n’est pas le cas
de l’Africa Sports. La décision de mettre sous normalisation la section
football de l’Africa alors qu’elle n’a pas d’existence juridique est-elle la
bonne ?
C’est la seule question où je vais vous demander
l’autorisation de ne pas m’immiscer dans les affaires d’un club où je compte
des amis et des frères. En plus, n’étant pas tributaire de la situation, je ne veux
pas parler de ce que je ne sais pas. Ça c’est le propre des hommes honnêtes. Et
je souhaite qu’on s’en tienne à cela parce que nous à l’Asec, nous voulons que
l’Africa soit toujours dans les problèmes. Qu’ils aillent faire l’expérience de
la deuxième division et après ils reviendront pour qu’on poursuive notre
rivalité. C’est une rivalité-fraternité.
Quel regard portez-vous sur le travail effectué par les
différents ministres des sports ces dix dernières années ?
Les ministres sont nommés. C’est avant tout une fonction
politique. Donc, ce sont des hommes politiques. Maintenant, chacun a son
histoire personnelle, ses qualités intrinsèques, son charisme et un type de
rapport avec la matière dont il est censé être le numéro un. S’il n’a pas un
bon commerce avec ceux dont l’existence est de semer la joie et l’amour dans le
cœur des gens, il va avoir des difficultés. Il ne faut pas être trop distant,
ne pas donner l’impression qu’on est le nombril de la terre. Il s’agit de
battre la mesure et d’avoir une bonne connaissance de la sociologie du milieu
dans lequel on est appelé à évoluer. La passion extrême du football, du
basketball, du handball… Etre le premier responsable de ces disciplines impose
à celui qui en est le gardien beaucoup d’humilité, de recul et de générosité.
Le respect des valeurs promues par le président de la République, comme la
cohésion, la paix et la joie. C’est ce sont des paradigmes indispensables à
observer. Maintenant, les hommes étant différents, d’un homme à un autre la
gestion est différente. Je ne peux pas donc les noter. On observe tout
simplement qu’ils sont différents.
Vous ne voulez pas vous mouiller. Vous n’avez pas de
préférence ?
Non. Je les connais tous peu ou proue. Ils sont différents.
Chacun a son style, son genre et son époque. J’aurais pu être à leur place et
de façon plus dynamique. (Rire) Pendant près de dix ans, à la Primature, de
Seydou Diarra à Guillaume Soro en passant par Charles Konan Banny, j’étais le
patron du sport, de la culture et du showbiz. Monter un dossier d’Etat pour que
nos compétiteurs aillent à l’international ou au niveau de la Francophonie au
Canada... Nous avons été les concepteurs et les bâtisseurs stratégiques. Le
showbiz, c’est pareil.
Comment avez-vous vécu la polémique au sujet du CoCAN 2023
et le changement effectué à sa tête avec le remplacement de Feh Kessé par
Amichia François ?
Je ne veux pas entrer dans les querelles de personnes. Pas
plus que je ne vais m’attarder sur les contradictions. La structure appartient
à l’Etat de Côte d’Ivoire qui doit, pour le compte de l’Afrique, préparer,
organiser et réussir le championnat d’Afrique de football en 2023. L’enjeu est
éminemment important. Il y a eu une incompréhension, mais cela ne doit pas être
perçu comme un désaveu de l’une ou l’autre partie. En ce moment, ce serait une
querelle de personnes. Or, moi, je ne vois pas cela sous ce prisme. Le
président de la République, qui a le baromètre de mesure de l’ensemble des
composantes sous la responsabilité de qui nous sommes pleinement, sait comment
ces structures-là fonctionnent, depuis très longtemps. Depuis 1968, il était
encore très jeune dans les sommités internationales. Il en a vu des vertes et
des pas mûres. Donc, il est outillé. On va laisser les incompréhensions et nous
attacher au profil de l’homme nouveau.
Justement comment voyez-vous l’avènement de François Amichia
?
C’est “the right man at the right place” : l’homme qu’il
faut à la place qu’il faut. Il connait comment fonctionnent les institutions de
la république. C’est aussi un homme de consensus. C’est un historien. Il
connaît l’histoire des peuples et des nations. Donc, sa relation avec les uns
et les autres est une relation fluide. Intellectuellement et socialement, il
vient de Treichville, la commune par excellence qu’Houphouët a bâtie, où il a
mis différents peuples et différentes ethnies les uns à côté et des autres.
C’est la cité du partage, de l’amour et du vivre ensemble. La cité « n’zassa ».
Forcément, avec Amichia, c’est la même expérience. Ses années de ministre le
ramène à l’époque où il était patron des supporters (CAN 98 au Burkina Faso,
CAN 2000 au Ghana, CAN 2002 au Mali). Il connaît les acteurs du football, les
responsables de cette discipline au plan continental, les exigences des grands
championnats de football. Il connaît la sociologie et psychologie des
Ivoiriens. Il a cet avantage énorme. Le président de la République a choisi le
profil idéal. François Amichia ne peut que réussir l’organisation optimale de
la CAN 2023, avec des infrastructures qui auront été achevées à temps, avec
tous les différents acteurs : les supporters, les présidents de club, la
presse, etc. C’est un excellent chef d’orchestre.
Vous avez été un des premiers à traiter le sport à la
télévision ivoirienne. Quel regard portez-vous sur le traitement actuel du
sport dans le paysage audiovisuel ivoirien qui a été libéralisé ?
Il y a une volonté manifeste et affirmée des premiers
responsables de donner plus de temps d’antenne au sport. Si j’en juge par les
différentes tranches horaires, les week-ends et même en semaine. Sur tous les
événements, il y a des journalistes maisons avec des consultants. C’est une
avancée. Mais, plus qu’une avancée, c’était un impératif pour ne pas être battu
à plate couture, déjà qu’il y a un déficit. Donc, cette initiative est à saluer
sauf que il va falloir que tous les jeunes gens qui interviennent, de même que
ceux qui viennent apporter leur expertise, se cultivent un peu plus pour que
leurs analyses, leur volonté de faire référence souvent, soient conformes aux
réalités auxquelles nous sommes attachés, pour qu’on prenne plaisir à les
écouter et que les comparaisons qu’ils font trouvent leur sens. C’est ce
conseil-là que je peux donner parce que les temps ont changé. Et quand les
temps changent, les choses doivent changer à tous les niveaux. Donc, c’est un
encouragement à faire mieux et plus. C’est une invitation aussi à faire appel
aux anciens pour qu’ils partagent leurs expériences parce que celui qui n’a pas
vécu ne peut pas rendre avec efficience, avec des images, des mots, des noms,
par rapport à celui qui a vécu. Même si on estime qu’il peut avoir des
qualités. Donc, il s’agit de cultiver l’humilité en faisant la promotion des
jeunes tout en étant arrimé au passé.
Quels sont vos projets ?
A la vérité, je suis un homme politique. J’ai des
partenaires nationaux comme internationaux. J’étais un peu loin des stades de
football, mais il va falloir les retrouver parce que c’est notre violon
d’Ingres. Nous aimons cela. Et quand on nous voit, ça fait plaisir aux gens
nostalgiques. Qui peuvent se dire qu’il faut remplir les stades à nouveau,
créer l’émulation, donner l’envie, pousser les joueurs à s’améliorer pour
qu’ils méritent de la grande Côte d’Ivoire qui est perchée au niveau où elle
est aujourd’hui sous le magister du président Alassane Ouattara. C’est cette
dynamique nouvelle que nous allons apporter à l’ensemble des sports, le
football, mais aussi le basket, le handball, le volley, les arts martiaux, etc.
Pour que ce pays qui est un grand pays de sport retrouve son lustre d’antan
dans ce domaine.
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