« Nous sommes ici réunis dans un engagement commun devant aboutir à un avenir plus sûr pour nos pays et nos jeunesses », a déclaré à l’ouverture la représentante du ministère en charge de la Santé du Kenya, Pauline Achieng. Bien plus qu’un banal défi social, le tabagisme est une épidémie qui, à l’en croire, « constitue un vrai fardeau pour nos pays ». Pis, la tendance à la consommation de la cigarette et des autres produits du tabac est croissante malgré une intensification des campagnes de sensibilisation, « à cause des industriels qui ne tarissent pas d’idées novatrices pour appâter davantage de jeunes ».
Devant cette situation, le gouvernement kenyan est « totalement » d’avis avec l’organisateur du sommet - l’Alliance pour le contrôle du tabac en Afrique (Acta) - sur le fait que les pays africains gagneraient à augmenter les droits d’accises sur les produits du tabac fabriqués localement et ceux importés. « C’est la solution la plus efficace qui nous reste. Et elle portera à coup sûr ses fruits comme c’est le cas en Afrique du Sud qui nous a devancés dans cette démarche. En 1990, ce pays a augmenté les taxes sur le tabac et la consommation a chuté et dans le même temps les recettes fiscales ont connu une hausse. C’est donc une solution gagnante à tous les points de vue », a-t-elle expliqué.
Une solution deux en un
C’est donc une solution deux en un qui est proposée aux Etats africains pendant ce sommet de 72 heures. Elle s’appuie sur l’article 6 de la Convention-cadre de l’Oms pour la lutte antitabac (Cclat) qui préconise l’utilisation des mesures financières et fiscales comme outils pour réduire la consommation du tabac donc sa demande. L’objectif, comme l’a martelé Pauline Achieng, n’est pas de faire du tort à qui que ce soit, mais de mener une gouvernance responsable et orientée sur l’avenir.
« En augmentant les taxes sur le tabac qui sont jugées encore très faibles sur le continent, il ne s’agit pas pour nous de punir les industriels encore moins le consommateur final, mais de sauver ce dernier en le poussant à arrêter sa pratique, et en même temps avoir plus de revenus fiscaux pour appuyer la promotion de la santé publique », a-t-elle argué.
L’Acta, réseau panafricain de la société civile engagée dans la promotion de la santé publique à travers la lutte contre le tabagisme, fait de cette solution son cheval de bataille. Le fait est que les produits du tabac sont encore sous-taxés dans la majorité des pays africains. Conséquences, ils sont bon marché, faciles à trouver et donc accessibles à tout le monde y compris les populations à faibles revenus et les jeunes.
Les conséquences sanitaires et économiques sont assez documentées. « Le tabac est connu comme l’un des plus grands facteurs de risque d’avoir une maladie non transmissible telle que le cancer ou le diabète. Il cause donc beaucoup de problèmes de santé qui coûtent cher à nos Etats. Nous estimons que ce produit doit être taxé le plus fortement possible. Cela permettra aux Etats d’avoir des ressources pour faire face aux problèmes de santé que cela aurait causé », a expliqué Léonce Sessou, secrétaire exécutif de l’Acta. Et d’ajouter : « Nous luttons pour une Afrique en bonne santé et sans tabac, où le bien-être de chaque citoyen est protégé et promu ».
Suivre les directives de la Cedeao
L’Acta organise ce sommet en collaboration avec plusieurs autres organismes internationaux tels que International institute for legislative affairs (Iila), l’Alliance pour la lutte antitabac en Asie du Sud-Est (Seatca), la Fondation thaïlandaise pour la promotion de la santé, l’Oms Afrique, Tax justice network Africa et le Centre de connaissances sur la taxation du tabac.
Noureiny Tcha-Kondor, représentant de l’Oms Afrique, lui, a parlé plutôt de réduire l’abordabilité des produits au consommateur final c’est-à-dire s’assurer, par des techniques fiscales spécifiques, que les mesures fiscales prises fassent en sorte que les prix ne soient pas abordables au consommateur final. L’idée étant in fine de le décourager. Il a aussi invité les pays de l’espace Cedeao à suivre les directives de l’espace communautaire qui propose une politique fiscale mixte comprenant un taux minimum de 50% pour les droits d'accises et une taxe spécifique de 0,02 FCfa sur chaque cigarette.
Une taxe sur les mégots de cigarette en perspective
Bien qu’étant encore loin de ce que recommandent l’Oms et la Cedeao, la Côte d’Ivoire fait tout de même figure d’exemple dans la région en matière de taxation des produits du tabac et surtout en ce qui concerne l’utilisation des revenus tirés de ces mesures fiscales. En effet, le pays applique actuellement une taxe globale de 49% sur les produits du tabac sans distinction aucune et peu importe qu’ils soient importés ou fabriqués sur place. Ce taux comprend les droits d’accises, la taxe spéciale pour le développement du sport et la taxe de solidarité pour la lutte contre le Vih/Sida et la lutte antitabac.
« L’initiative d’affectation d’une partie des taxes sur le tabac pour financer la santé est louable et doit être encouragée. Aussi, nous avons en perspectives d’augmenter la part de la taxe affectée à la lutte antitabac. Nous prévoyons aussi de créer de nouvelles taxes au profit du Programme national de lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et les autres addictions (Pnlta), notamment une taxe sur le mégot de cigarette », a annoncé Antoine Konan Kouassi, sous-directeur de la législation à la Direction générale des impôts (Dgi), représentant le gouvernement de Côte d’Ivoire au présent sommet.
A l’en croire, il a été démontré que le mégot, ce petit bout qui reste après l’usage d’une cigarette, est un déchet toxique, difficile à collecter et à valoriser en raison de sa toxicité et du peu de valeur de sa matière. Créer une taxe sur ce « reste inutile » et « destructeur pour l’environnement » est une mesure tout à fait en phase avec la vision de la Côte d’Ivoire et de l’Oms qui est faire en sorte que la consommation des produits répare tous les torts qu’elle cause aux humains et à l’environnement.
« Les autres pays de la région africaine de l’Oms sont invités à suivre notre exemple qui doit être amélioré et renforcé pour une bonne prise en charge de la santé des populations », a invité Antoine Konan Kouassi.
Les recettes des taxes sur le tabac (droits d’accises et les autres taxes) sont passées de 52,3 milliards de F Cfa à 60 milliards entre 2021 et 2023. Cette année, à fin août, on est déjà à 42,9 milliards de F Cfa. Instituée en 2003, la taxe spéciale pour le développement du sport représente 5% des taxes globales sur le tabac. Ses recettes servent à appuyer directement le développement du football, les autres sports et le développement des infrastructures sportives. La taxe de solidarité, instaurée quant à elle en 2008, représente 2% des taxes globales. 70% des recettes de cette taxe sont alloués directement au Fonds national de lutte contre le Sida (Fnls) et 30% au Pnlta.
« Nous entendons aller plus loin, en mettant en place un système de traçabilité des produits du tabac. Nous travaillons sur ce projet avec une structure du Kenya, qui a une meilleure expérience en la matière », a indiqué Antoine Konan Kouassi.
Pour rappel, le tabac est la cause de près de 8 millions de décès dans le monde chaque année dont 600 000 non-fumeurs exposés à la fumée de cigarette. En Côte d’Ivoire, 9% de la population fume et 9000 décès sont liés à la consommation du des produits du tabac. Si le taux de prévalence est globalement en légère baisse, il connait en revanche une croissance chez les jeunes, renforcé par la multiplicité des produits nouveaux et émergents du tabac. Les dépenses de l’Etat pour la prise en charge des malades causée par le tabac s’élèvent à plus de 50 milliards de F Cfa.
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