"C’est inhumain", réagit par téléphone l’ONG ghanéenne de défense de la diversité Interfaith Diversity Network of West Africa (IDNOWA). "Si cette loi passe, toute conversation avec des journalistes sera interdite et notre existence même sera menacée", s’inquiète l’activiste au bout du fil.
Le Parlement du Ghana étudie, mardi 26 octobre, une nouvelle loi visant à pénaliser lourdement l’homosexualité, déjà interdite dans le pays. Si le texte est voté, il permettra d'infliger jusqu’à dix ans de prison aux personnes LGBT, pénalisera les défenseurs et la publication d'informations pouvant être considérées comme un encouragement à l’homosexualité. Le projet de loi fait aussi la promotion des thérapies de "conversion" des homosexuels, déjà pratiquées dans plusieurs pays du continent africain et aux États-Unis.
À l’origine du texte figure Sam Nartey George, un député du parti d’opposition, le Congrès national démocratique. Décrivant les droits des homosexuels comme une "perversion", ce parlementaire farouchement homophobe a déposé sa proposition de loi début août, appuyé par sept autres élus. "Nous avons besoin de protéger nos enfants qui sont la cible de ces personnes LGBTQ+ leur faisant croire qu'il s'agit d'un nouveau mode de vie", avait-il déclaré à l’AFP au moment de déposer son texte.
Vague d'homophobie inédite
Cette offensive législative intervient dans un contexte inédit. D’après plusieurs associations de défense des droits des LGBT sur le continent africain, le Ghana connaît une vague d’homophobie sans précédent depuis plusieurs années. Celle-ci a connu son point d’orgue en février 2021 avec l’expulsion, par les forces de l’ordre, de la permanence d’accueil d’une des rares associations d’aide aux LGBT, le LGBT+ Rights Ghana, un mois à peine après l’ouverture du lieu.
Depuis, la communauté est la cible d’attaques violentes dans les médias et sur les réseaux sociaux ghanéens par des politiciens, des journalistes et des dirigeants religieux. "Les homosexuels ne vont pas disparaître soudainement avec l’apparition d’une nouvelle loi, c’est juste qu’ils vont avoir encore plus tendance à se cacher", alerte Alexandre Marcel du comité Idaho, contacté par France 24. Cette ONG, qui organise des actions contre l’homophobie, a récemment été contactée par un jeune ghanéen de 24 ans, mis à la rue par plusieurs membres de sa famille après avoir été surpris par son oncle avec un autre homme. "Je suis sans nouvelles de lui depuis trois semaines", s’inquiète Alexandre Marcel.
Le cas de ce jeune homme n’est pas isolé. Au Ghana, les relations homosexuelles sont interdites par une loi héritée de l’ère coloniale, mais aucune personne n’a jamais été poursuivie au titre de cette loi. Pourtant, les personnes LGBT font l’objet de discriminations et de violences, souvent dans le cercle familial.
En mars 2021, 21 personnes ont été arrêtées dans la ville de Ho, lors d'une formation destinée aux assistants juridiques et autres professionnels qui soutiennent les groupes vulnérables. Elles ont été libérées sous caution, mais de nombreux accusés ont dû s’exiler dans des refuges par crainte pour leur sécurité. Certains ont été reniés par des membres de leur famille et ont perdu leur emploi, a rapporté le Guardian au moment des faits.
"De plus en plus de personnes LGBT ont dû fuir leur domicile ou leurs communautés, ou sont ciblées par des attaques. Elles subissent d’intenses pressions et les dommages sont aussi psychologiques", déplore l’IDNOWA, qui estime que de nombreux cas sont passés sous silence parce que les personnes discriminées n’ont pas d’accès à Internet ou aux médias.
Le rejet des LGBT au Ghana s’appuie sur le conservatisme de la société ghanéenne, très religieuse. Selon un sondage datant de 2014, 90 % des Ghanéens soutiennent l’établissement d'une loi criminalisant les relations entre personnes de même sexe. Pour les militants de l’IDNOWA, "ça n’est pas parce que l’opinion publique est pour, que les parlementaires doivent voter une telle loi" qu’ils estiment "dommageable" pour la société ghanéenne. "Nous espérons que nos élus vont percevoir le danger contenu dans cette loi et qu’il y aura au moins des amendements", souhaite l’association, qui ne comprend pas cet "acharnement" alors que l’homosexualité est déjà interdite.
Une propagande religieuse anti-LGBT
Les raisons de cette persécution sont à chercher du côté des leaders religieux, estime Alexandre Marcel, notamment les évêques catholiques ghanéens. L’activiste en appelle au pape : "Ils ont une responsabilité dans ce discours de haine à l’égard des homosexuels. Comment le pape peut-il accepter que ses évêques soutiennent une telle loi ?"
Cette homophobie a été "importée", souligne l’IDNOWA, qui considère que l’animosité envers les personnes LGBT au Ghana a été alimentée par la tenue, en 2019, d’un congrès du "World Congress of Families", le Congrès mondial des familles, une organisation anti-LGBTQ basée aux États-Unis et fortement liée à la droite religieuse. Des organisations de défense des droits de l’Homme, comme Human Right Watch, avaient déjà alerté sur les dangers de la propagande haineuse de ce groupe dans plusieurs pays africains. "Ces religieux tentent d’imposer leur point de vue qui ne reflète pas notre diversité et notre riche héritage culturel. Les parlementaires ne devraient pas se laisser guider par leurs idées religieuses, l’agenda de notre pays ne doit pas être dicté par la religion", déplore aujourd’hui l’association.
Si le Ghana vote cette loi anti-LGBT, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest risquent de prendre le même chemin, s’inquiètent les membres de l’IDNOWA dans la région.
Du côté de la présidence ghanéenne, le sujet est abordé avec des pincettes. En pleine crise économique, le chef de l’État, Nana Akufo-Addo, qui voudrait attirer les investissements des Afro-Américains et des Ghanéens de la diaspora, souhaite véhiculer l'image d'un pays ouvert et tolérant. Un cliché écorné par cette proposition de loi qui, selon plusieurs spécialistes, a de fortes chances d’être adoptée.
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