Au Gabon, « des anomalies mettent en question » la réélection d’Ali Bongo le 27 août dernier, affirment les observateurs européens dans leur rapport final, publié lundi dernier. Est-ce que cela signifie qu’en réalité Ali Bongo a été battu par Jean Ping ? L’eurodéputée bulgare Mariya Gabriel dirigeait la mission des observateurs sur le terrain. En ligne de Bruxelles, elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI: Vous dites que des anomalies mettent en question l’élection d’Ali Bongo. Est-ce que cela veut dire qu’Ali Bongo a triché ?
Mariya Gabriel : Cette question va au-delà du rôle de la mission d’observation électorale. Je rappelle que la mission d’observation avait pour mandat de faire une analyse du processus électoral sur la base d’éléments factuels et de ses propres observations. Et notre rapport répond à ce mandat. C’est aux organes judiciaires du pays, et ici c’est la Cour constitutionnelle, qui ont le pouvoir et le mandat de juger la validité de l’élection.
Mais les résultats, ils sont vrais ou ils sont faux ?
Notre observation a permis de relever un certain nombre de défaillances importantes, notamment en termes de manque de transparence lors des phases cruciales, et du manque d’indépendance de certaines institutions-clés.
Vous dites que les anomalies que vous avez observées mettent en question le résultat final du vote. Est-ce que cela veut dire que le résultat est faux ?
Pour nous, il est clair que nous avons constaté des anomalies dans la province du Haut-Ogooué. Ces anomalies remettent en question l’intégrité du processus de consolidation du résultat final de l’élection. Et en plus, la mission a constaté que le traitement du contentieux par la cour n’a pas permis de rectifier les anomalies.
Donc s’il y a anomalies, cela veut dire que le résultat officiel n’est pas exact ?
S’il y a anomalie, ça montre que c’est par le biais du renforcement de la transparence que le processus pourrait reconquérir sa crédibilité.
A vos yeux, le résultat actuel n’est pas crédible ?
Nous avons clairement dit, ce n’est pas à nous de nous prononcer sur la validité du résultat.
Dans votre viseur, il y a donc la province du Haut-Ogooué, le fief d’Ali Bongo, où le taux de participation est presque deux fois plus élevé que dans les huit autres provinces du pays. Qu’est-ce qui vous a particulièrement choquée ?
La force de la mission, c’est de se baser sur le travail de nos observateurs sur le terrain. C’est ainsi que dans la province du Haut-Ogooué, dans une des quinze commissions électorales locales, lorsqu’on prend le nombre des abstentions et des bulletins blancs et nuls, ce chiffre est supérieur à celui qui est donné par la Cenap [Commission électorale nationale et permanente], pour la province.
Ce qui veut dire que dans l’une des quinze circonscriptions électorales de la province du Haut-Ogooué, vous avez noté plus d’abstentions et de bulletins blancs ou nuls que le nombre officiel d’abstentions et de bulletins blancs ou nuls sur l’ensemble de la province du Haut-Ogooué ?
Exact.
Du coup, quelles conclusions vous en tirez ?
C’est que pour nous, ces anomalies remettent en question l’intégrité du résultat, et ensuite la mission indique les possibles recommandations pour que justement, dans le futur scrutin, des améliorations puissent être apportées.
Donc si on suit votre démonstration, le taux de participation officielle dans le Haut-Ogooué n’est pas exact ?
C’est pour cela qu’on parle d’anomalie évidente.
Ce qui veut dire que le résultat final, sur l’ensemble du pays, n’est pas exact non plus ?
C’est aux instances qui sont compétentes de pouvoir s’en charger. C’est la Cour constitutionnelle qui est l’instance autorisée par la Constitution.
En fait, dans votre rapport, vous montrez que les résultats officiels ne sont pas exacts, mais vous n’allez pas au bout du raisonnement. Et vous laissez les instances officielles traduire ce que vous avez démontré. C’est cela ?
Nous allons au bout du raisonnement du mandat qui nous est confié par la mission.
Vous regrettez de ne pas avoir eu accès aux phases techniques de recompte des voix. Mais est-ce que c’était prévu dans les deux protocoles d’accord que vous avez signés au préalable avec les autorités gabonaises ?
Dans les deux protocoles d’accord, il était en effet prévu que la mission puisse avoir accès à chaque étape. Ça n’a pas été respecté.
Est-ce qu’il était prévu noir sur blanc, par écrit, que vous auriez accès aux phases techniques de recompte des voix ?
Dans le texte, il est clairement dit qu’on a accès à tous les niveaux et à toutes les étapes. Donc cela comprend l’observation directe de cette phase cruciale.
La prochaine fois, vous le ferez écrire explicitement ?
C’est aux autorités compétentes de pouvoir tirer les meilleures conclusions.
Est-ce que vous êtes d’accord avec le président de la délégation du Parlement européen à Libreville, l’eurodéputé Jo Leinen, qui demande au Conseil européen d’envisager des sanctions contre les autorités gabonaises ?
C’est le droit de chaque parlementaire de pouvoir s’exprimer sur la question. Ensuite, cela revient aux instances politiques de l’Union européenne, au Conseil, de décider de cette question-là.
Dans l’opposition gabonaise, beaucoup de sont déçus par le fait que vous ne demandiez pas de sanctions contre les autorités gabonaises ?
La question des sanctions, la question de la suite par rapport à la situation créée par les élections, ce n’est pas à la mission d’observation électorale de se prononcer.
Mais, rien ne vous empêchait de recommander des sanctions ?
Mais au contraire, une mission d’« observation » électorale n’a pas pour mission de proposer des sanctions. Je vous rappelle que c’est une question qui relève de la compétence des instances politiques de l’Union européenne.
Donc c’est au Conseil européen, c’est-à-dire au futur Conseil des ministres européens des Affaires étrangères, de tirer les conclusions de votre rapport ?
Exactement. Et d’ailleurs, les recommandations de la mission sont une manifestation concrète de la volonté de l’Union de travailler avec toutes les parties prenantes afin d’améliorer le cadre électoral et de rétablir la confiance dans des élections crédibles, transparentes et équitables.
Suite à l’annonce des résultats, vous dites qu’il y a eu, selon les sources, entre 5 et 100 morts. Ce n’est pas du tout le même bilan. Est-ce que c’est plutôt 5, ou est-ce que c’est plutôt 100 morts ?
Ce qui est clair pour nous, c’est qu’au-delà des chiffres, évidemment qu’on est tous très attentifs à ce sujet, notre message principal c’est qu’il est très important de conduire une enquête impartiale sur les violences post-électorales.
Source RFI
N.B : le titre est de la rédaction
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