Deux
corps de migrants d'Afrique subsaharienne ont été retrouvés ces
derniers jours dans une zone désertique à la frontière entre la Tunisie
et l'Algérie, où des dizaines d'autres errent, abandonnés à leur sort,
suscitant l'inquiétude des ONG.
A
la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien la semaine
dernière, des dizaines de migrants originaires d'Afrique subsaharienne
ont été chassés de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, et conduits
par les autorités, selon des ONG, vers des zones inhospitalières
frontalières de la Libye et de l'Algérie.
"Un
premier corps a été retrouvé il y a dix jours dans le désert de
Hazoua", près de la frontière algérienne, et un autre lundi soir, a
déclaré mardi à l'AFP Nizar Skander, porte-parole du tribunal de Tozeur
(sud-est). Une enquête a été ouverte pour "mort douteuse".
"Il s'agissait de deux jeunes hommes", a témoigné un commerçant local qui a requis l'anonymat, joint au téléphone par l'AFP.
Selon
lui, "deux convois en une semaine ont été vus en train de déposer des
migrants subsahariens, une centaine au total dans les environs de
Hazoua", à plus de 500 kilomètres au sud de Tunis.
"Beaucoup essayent de rejoindre les oasis où les habitants leur donnent de l'eau et de la nourriture", a-t-il ajouté.
D'autres
migrants ont été déposés plus au nord, toujours près de la frontière
entre l'Algérie et la Tunisie, longue de plus de 1.000 kilomètres.
Mardi,
un Ivoirien de 25 ans, Youssouf Bilayer, a dit à l'AFP avoir été arrêté
le 4 juillet à Sfax alors qu'il voulait prendre un train pour Tunis, et
conduit pas très loin de Gafsa, une zone minière du sud tunisien à 360
kilomètres de la capitale.
"On
était dans six bus et on nous a répartis dans la forêt, on nous a fait
descendre en nous frappant", a-t-il raconté, soulignant que depuis, son
groupe de huit personnes, qui s'est réduit à six "parce que deux ne
pouvaient plus continuer", marche vers le nord.
"On
demande qu'on nous sorte d'ici et qu'on nous emmène à Tunis ou Sfax",
a-t-il dit, assurant se trouver à 40 kilomètres au sud de Kasserine
(centre-ouest).
- "Rien à manger" -
"On
souffre beaucoup, on arrive à trouver un peu d'eau dans la forêt mais
on n'a rien à manger, les gens disent que la police leur interdit de
nous donner à manger, on arrive juste un peu à recharger nos
téléphones", dit M. Bilayer, qui travaillait depuis quatre ans comme
soudeur à Sfax.
Selon
lui, à chaque fois que son groupe essaye d'aller sur la route, la
police les repousse vers la forêt et la frontière algérienne: "Ca s'est
déjà produit à cinq reprises".
L'ONG
Human Rights Watch a fait part lundi de son inquiétude pour "150 à 200
migrants subsahariens" se trouvant à la frontière algéro-tunisienne.
Selon elle, des témoignages ont fait état de "plusieurs morts" dans ces
zones.
Un
migrant guinéen, Mamadou, géolocalisé à Douar El Ma, du côté algérien
de la frontière, à plus de 600 kilomètres au sud de Tunis, avait lancé
lundi un appel de détresse à l'AFP en disant n'avoir "ni eau ni
nourriture". Il n'était plus joignable mardi. Ils étaient une trentaine
dans la même situation, avait-il témoigné.
HRW
a annoncé lundi soir la mise à l'abri de 500 à 700 migrants
subsahariens abandonnés la semaine passée dans une zone tampon à la
frontière entre Tunisie et Libye dans au moins trois villes tunisiennes:
Ben Guerdane, Tataouine et Médenine.
Un
discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l'égard de ces
migrants s'est répandu depuis que le président tunisien, Kais Saied, qui
s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, a pourfendu en
février l'immigration clandestine.
Lundi,
M. Saied a estimé que "la Tunisie a donné une leçon au monde avec la
manière dont elle a pris soin de ces migrants", ajoutant toutefois
qu'"elle refuse d'être une patrie de substitution pour eux et
n'acceptera que ceux qui sont en situation régulière".
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