Pour entrer chez elle, Robbin Krakauer est obligée de porter un masque à gaz. La maison tient debout. C’est plus bas qu’il faut regarder. Dans le gazon verdoyant se sont creusées des douves comme celles qui protègent les vieux châteaux. Seulement celles-là risquent de le faire s’effondrer. « J’en vois qui se sont élargies par rapport à hier », constate Robbin. De ces plaies béantes, dont on parvient difficilement à voir le fond, s’échappe de la vapeur. Un sauna en plein air… Mais il ne faut pas s’y fier. Cette fumée, c’est du dioxyde de soufre qui peut tuer. Robbin le sait : Sean, un de ses amis, qui organisait des expéditions touristiques autour du volcan Kilauea, est mort d’une inhalation il y a quelques mois. « C’était pourtant un pro, il savait ce qu’il faisait… »
Tous les jours, Robbin revient chez elle récupérer ce qui peut l’être, vérifier que rien n’a été dérobé… Elle a déjà retiré l’essentiel : les ordinateurs, les souvenirs, les photos de ses quatre enfants et même la Ford Falcon modèle 1968 de Dean, son mari… « Chaque fois que je viens ici, je ne sais pas où mettre les pieds. J’ai posé des planches par terre pour enjamber les crevasses, mais j’ai l’impression d’être sur un bateau qui coule, j’ai peur que le sol se dérobe sous mes pieds ! »
Sa maison est située à Leilani Estates, un quartier de Pahoa, le village le plus touché de la Big Island, la grande île de l’archipel de Hawaii. Les rues sont bordées de palmiers, d’eucalyptus rouges et de magnifiques albizias coniques, appelés « arbres à pluie » à cause de leur forme en parasol… C’est censé être le paradis sur terre. Mack et sa femme n’avaient sans doute pas le même avis sur la question. Elle est partie, il est resté. Robbin, qui fait le tour du quartier pour aider ceux qui en ont besoin, vient sonner chez lui. Elle le supplie de décamper, comme elle-même l’a fait trois semaines plus tôt. « La lave avance de 270 mètres par heure : tu risques de te réveiller cerné, la nuit », lui dit-elle… Il élude : « J’ai le sommeil léger ! » Mack a passé cinq nuits au gymnase du village, transformé en centre de réfugiés. « C’était devenu un zoo », dit-il. Pas question d’y retourner.
Robbin et Dean sont des Californiens, habitant à Hawaii depuis quatorze ans. « On voulait faire du surf et vivre loin de la société de consommation », explique Dean, forgeron et sculpteur. Pahoa, avec son ambiance baba cool, son salon de tatouage et son magasin de pipes à pakalolo (cannabis, en langue locale), était l’endroit idéal pour mener une vie « peace and love ». Toutes les plaques d’immatriculation sont estampillées d’un arc-en-ciel et d’une mention : « Aloha State ». Etat de l’amour… On n’arrive pas par hasard dans cet archipel perdu, à six heures de vol de Los Angeles. « C’est peut-être le seul endroit aux Etats-Unis où le tracé des routes contourne les arbres », s’attendrit Robbin, qui peste contre l’installation d’un Burger King… Pour elle et son mari, tout a basculé la nuit du 3 au 4?mai, à 2?heures du matin. Elle savait que quelque chose se tramait : les tremblements de terre qui se succédaient n’annonçaient rien de bon. « On aurait dit que des avions décollaient à côté de nous. Ou que l’armée de Napoléon était en marche, tout près, de l’autre côté de la colline. En trois minutes, le ciel est devenu rouge. J’étais terrifiée », avoue-t-elle. Avec Dean, elle est allée se réfugier dans son petit magasin de meubles, dans un quartier éloigné. « A notre arrivée, nous avons trouvé une vingtaine d’amis qui, comme nous, ne savaient pas où aller. »
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