Un procès historique pour les Libériens doit s'ouvrir ce lundi 11 juin à Philadelphie aux États-Unis. L’ancien ministre de la Défense de Charles Taylor, Jucontee Thomas Woewiyu, est poursuivi pour avoir menti aux autorités américaines sur son passé. Mais en toile de fond, il sera question des crimes de guerre commis par le NPFL, National Patriotic Front of Liberia, auquel il appartenait.
Thomas Woewiyu est résident des États-Unis depuis 1972, mais il est toujours retourné au Liberia, où il aurait commis des crimes atroces lors de la guerre civile des années 90. Malgré cela, il passait encore récemment beaucoup de temps au pays, où il avait repris une activité politique plus intense.
En mai 2014, c'est pourtant bien dans un aéroport aux États-Unis qu'il a été interpellé, accusé de fraudes et de parjures lors de ses démarches pour obtenir la nationalité américaine. En 2006, il a menti sur son passé, en ne dévoilant pas son rôle majeur dans des mouvements rebelles accusés de crimes de guerre.
Et c'est pour cette raison que l’ancien ministre de la Défense de Charles Taylor est aujourd'hui devant la justice, explique Hassan Bility, président de l’ONG libérienne Global justice and research project. « Monsieur Woewiyu est poursuivi pour fraude à l'immigration et parjure. En 2006, il avait demandé à se faire naturaliser, mais il n'avait pas mentionné qu'il avait fait partie d'un groupe rebelle qui voulait renverser un gouvernement par la force. C'est ça, l'ironie. Il est poursuivi pour fraude à l'immigration ! Bien sûr, les accusations relatives aux crimes de guerre sont utilisées pour prouver qu'il a menti aux autorités américaines. »
Soulagement pour les victimes
Le procès a évidemment une portée plus large que la simple question administrative. Mais s'il jugé pour cela et non pour ses actes au Liberia, c'est aussi parce qu'il « ne peut pas être poursuivi par les États-Unis pour les crimes qu'il a commis » au pays, précise Hassan Bility.« Car les crimes de guerre ou les meurtres et les tortures sont devenus punissables par les États-Unis à partir de 1994 et de 1996 respectivement. La plupart de ces crimes ont été commis avant 1994, mais, vous le savez, ces lois ne sont pas rétroactives. »
Hassan Bility estime que même si l’ancienne figure du NPFL n’est pas condamnée à la peine maximale, le simple fait qu’il soit devant la justice représente déjà beaucoup pour ses victimes. « M. Woewiyu risque jusqu'à 110 ans de prison et de devoir payer 4 millions de dollars américains. Ça, ce serait dans le meilleur des cas. Mais ses victimes croient que, quelles que soient les circonstances entourant ce procès, le simple fait de pouvoir être entendu par une cour de justice américaine, c'est un véritable soulagement. »
Opération Octopus
Parmi les crimes de guerre dont il sera probablement question lors de ce procès, figure notamment l’opération militaire Octopus lancée par le NPFL contre Monrovia le 15 octobre 1992. « L'objectif, c'était de prendre Monrovia. A cette époque, il y avait des soldats de maintien de la paix ouest-africains à Monrovia », rappelle Hassan Bility.
L'opération, qui a duré près de 120 jours, a été particulièrement sanglante. « Dans l'offensive, le NPFL a commis beaucoup de violations des droits de l'homme, des meurtres. Ces rebelles ont aussi lancé des rockettes de manière indiscriminée sur des cibles civiles, entre autres, dans ce lieu que l'on appelle Matadi Estate, mais aussi dans d'autres parties de Monrovia. »
« Des centaines de personnes ont été tuées, dont des soldats de maintien de la paix ouest-africains, souligne le président de l’ONG libérienne. Et au cours de cette même opération, cinq bonnes sœurs américaines ont été kidnappées et tuées par le National Patriotic Front. Thomas Woewiyu a été activement impliqué dans cette opération, dans la planification et l'exécution. Tous ces crimes, il y a participé de manière directe ou indirecte. »
Un autre chef rebelle déjà condamné
Le même tribunal a récemment condamné à 30 ans de prison un autre rebelle libérien pour des motifs équivalents, et la justice américaine ne cache ainsi pas qu'elle traque désormais certains criminels de tout bord installés aux États-Unis, et qui ont pu croire qu'ils y jouissaient d'une certaine impunité, rapporte notre correspondant à New York, Grégoire Pourtier.
Lors du procès de Mohammed Jabatteh, dix-sept de ses victimes ont témoigné à la barre pour convaincre que l'accusé avait bien caché son rôle pendant la guerre quand il a demandé l'asile. Cette semaine, des témoins à charge devraient là encore venir depuis le Liberia, cette fois pour raconter ce que Thomas Woewiyu leur a fait endurer.
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