De Bangui à Bamako en
passant par le désert libyen, les mercenaires déployés par Wagner en Afrique
doivent être les premiers à s'interroger sur l'avenir de leur patron.
Jusque-là, aucun
mouvement particulier n'a été signalé. Les employés du groupe, habitués à
travailler en autonomie, poursuivent leurs activités : la sécurité,
l'exploitation et l'exfiltration des ressources naturelles, et les manœuvres
informationnelles.
«
L'influence russe en Afrique ne va pas baisser pour autant »
Tout dépendra du
dénouement de la lutte de pouvoir en Russie et du sort du fondateur de Wagner.
Ce que confirme Kelian Sanz-Pascual, analyste en géopolitique au sein du
cabinet Cassini conseil, et chargé de recherche au centre Géode, interrogé par
François Mazet.
« Il y aura un avant
et un après, y compris en Afrique, ne serait-ce que suivant la question de
savoir si Evgueni Prigogine va conserver la tête de Wagner ou non, estime celui
qui a travaillé sur les actions du groupe paramilitaire sur le continent
africain. Et s'il ne conserve pas la tête de Wagner, est-ce que Wagner va
continuer à exister en tant que tel ou est-ce que ses personnels seront
répartis entre différentes autres structures ? Il n'est pas exclu que les
forces de Wagner se retrouvent tôt ou tard au même titre que les autres
personnels de sociétés militaires privées sous le giron du ministère de la
Défense ».
Kelian Sanz-Pascual
poursuit, au sujet de l’actuel ministre : « Je ne doute pas que Sergueï Choïgou
et son entourage – ou sans que ce soit lui directement, en tout cas des
personnes qui sont alignées plutôt avec les intérêts du ministère de la Défense
– souhaiteraient récupérer la direction de Wagner. Mais le ministère de la
Défense n'est pas le seul acteur à pouvoir essayer de récupérer ces parts de
marché, loin de là. En revanche, il est certain que l'influence russe en Afrique
ne va pas baisser pour autant. Elle pourrait simplement prendre une forme
différente de ce qu'on a connu jusqu'à présent. »
Quelles conséquences
potentielles suite à la rébellion menée le 24 juin 2023 par Evgueni Prigojine
et ses hommes de Wagner contre le Kremlin ? Va-t-on vers une modification de la
présence russe en Afrique ? Les événements et l'avenir du leader du groupe
paramilitaire auront en tout cas des effets sur le continent où Wagner sert de
prolongement aux intérêts de l’État russe. Décryptage.
Le chercheur Thierry
Vircoulon, lui, voit quatre scenarios possibles : la reprise totale des
activités du groupe par le gouvernement russe ; son remplacement par d'autres
compagnies privées proches du ministère de la Défense ; la division des
opérations avec la possibilité pour Evgueni Prigojine de garder ses affaires en
Afrique, s'il abandonne ses troupes déployées en Ukraine ; enfin, le maintien
de la situation en l'état. Cette dernière option est la moins plausible, selon
le chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français de
relations internationales.
Wagner ne peut pas se
passer du soutien logistique de l'armée russe dans ses opérations africaines.
Mais, en cas de démantèlement, la Russie ne laissera pas le terrain inoccupé :
les gains politiques, économiques et diplomatique obtenus cette dernière
décennie sont importants pour Moscou.
« Des dirigeants
attendent de voir lorsque la poussière sera retombée »
Les pays où le groupe
opère sont également dans l'attente. Mais les analystes s'accordent sur le fait
que l'image de force et de fiabilité, vendue par Wagner et la Russie, est
abimée.
Les dirigeants
africains, qui ont recours au groupe, doivent eux aussi s'interroger sur le
rapport de force actuel en Russie. Surtout, si le conflit venait à durer, ils
pourraient se retrouver face à un conflit de loyauté, souligne Kelian
Sanz-Pascual.
« Je pense qu'ils
attendent aussi, eux-mêmes, de voir ce qui se passera lorsque la poussière sera
retombée, glisse-t-il. Si le gouvernement russe reprend Wagner en main, la
question ne se posera plus. Ils pourront continuer à traiter avec cette société
sans craindre d'avoir des conflits d'allégeance avec la Russie. En revanche, si
Evgueni Prigogine reste à la tête de Wagner, il y aura effectivement une
question à se poser entre continuer la collaboration avec cette société-là –
tout en sachant que Evgueni Prigogine a défié publiquement Vladimir Poutine –
ou bien conserver des liens avec la Russie. Mais, de fait, les personnels
russes qui sont déployés en Afrique sont pour un grand nombre d'entre eux, des
personnels de Wagner ».
Et l’analyste de
conclure : « Donc, cela nécessiterait de revoir complètement le dispositif ou
bien d'entrer dans une sorte de zone grise. Il y aurait toujours une
collaboration avec les personnels déployés tout en essayant de ne pas offusquer
le pouvoir. Donc je doute qu'ils sachent actuellement exactement eux-mêmes ce
qu'ils vont pouvoir faire à l'avenir. »
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