À Tingrela, dans l’extrême nord quasi désertique, avec le thé très infusé dans de petits verres, les rumeurs de présence djihadiste dans la région.
En juin 2015, juste avant l’attaque djihadiste de Misseni, bourgade malienne à quelques kilomètres de la frontière ivoirienne, plusieurs villageois autour de Tingrela ont déclaré avoir vu des étrangers portant des kalachnikovs rouler de nuit à moto dans la brousse pour rejoindre le Mali. Un policier de la ville confie sous le couvert de l’anonymat qu’un stock d’armes de guerre a également été trouvé à Missasso, un village à 25 kilomètres au nord, jouxtant la forêt de Sama, à cheval sur la frontière. C’est dans cette forêt que la DGSE malienne a délogé en juillet 2015 un camp de la katiba Halid Ibn Walid, affiliée à Ansar Dine. Certains leaders du groupe se sont réfugiés un temps à Tingrela, avant d’être démasqués et remis à la police ivoirienne.
En mode camouflage
À Boundiali, à 100 kilomètres au sud de Tingrela, une ONG – l’Amci (Association des musulmans de Côte d’Ivoire) – a discrètement fait son apparition l’année dernière pour venir construire des écoles, des mosquées et des puits. Elle a depuis été chassée pour ses liens présumés avec Ansar Dine Sud. « Non seulement l’ONG faisait venir des précepteurs coraniques wahhabites, mais certains puits étaient tout le temps à sec. On s’est demandé si ce n’était pas des puits factices », raconte Ouassoulou Gnékpa, le préfet par intérim du département. Plus étrange encore, l’ONG est venue cachée dans le sillage et à l’insu d’une autre organisation plus respectable : la Lipci (Ligue des prédicateurs islamiques de Côte d’Ivoire). Cette dernière, qui s’était présentée aux autorités religieuses et étatiques, est repartie une fois ses projets terminés. Une seconde association – l’Amci – est alors arrivée sans se présenter à personne. « Un simple oubli », assure Lassina Dialassouba, l’ancien responsable de l’ONG. L’Amci est adossée à une organisation saoudienne wahhabite prosélyte nommée Abel Alsona Aljamaa, « qui entretient des liens au moins doctrinaux avec les groupes djihadistes », selon Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste de géopolitique du monde musulman.
Pour le chercheur, l’arrivée récente d’ONG confessionnelles – wahhabites ou non – s’inscrit dans « une lutte de terrain pour conquérir les fidèles, comme on peut le voir du côté chrétien avec les églises pentecôtistes ». Quatre pays sont particulièrement actifs : l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et l’Iran. « Cette compétition peut conduire à la radicalisation », prévient-il. L’islamologue évoque l’exemple de la région de Maroua dans le nord du Cameroun, qui a connu un afflux d’ONG islamistes financées par les pays du Golfe il y a quelques années. Désormais, les fidèles vivent plusieurs conversions : ils s’investissent dans un islam calme et tolérant, avant de basculer vers le prosélytisme, le fondamentalisme, puis le wahhabisme. « En général, ces wahhabites finissent par rejoindre les djihadistes », observe-t-il.
Le risque se précise sur fond de forte circulation d’armes.
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