La justice ivoirienne a jugé, le jeudi 26 janvier 2023, irrecevable l’appel interjeté par Amadé Ouérémi, un ex-chef de guerre, condamné à la prison à vie pour sa culpabilité dans le massacre de Duékoué lors de la crise post-électorale ivoirienne de décembre 2010 à avril 2011.
Son avocate Me Roselyne Aka-Sérikpa qui n’a pas participé à l’audience s’en indigne et fait des révélations dans un entretien exclusif avec l’agence de presse Top News Africa.
Absente du territoire national, Me Roselyne Aka-Sérikpa, avocate au Barreau d’Abidjan n’a pu suivre le dossier de son client dans la procédure en appel. Ce n’est pas faute d’avoir sollicité un report pour défendre en personne son client devant la Cour.
‘’Avec du recul, je réagis avec beaucoup de regrets et de surprises quant à cette décision de la Cour d’appel. Car je suis le dossier de bout en bout. Comme je l’ai expliqué en première instance, je suis l’avocate de M. Amadé Ouérémi en tant qu’avocate commise d’office et non avocate constituée par M. Amadé’’, précise-t-elle d’entrée.
De fait, son rôle d’avocate d’Amadé Ouérémi s’achevait quand la décision a été rendue en première instance au tribunal criminel. ‘’Il revenait à M. Amadé Ouérémi seul de relever appel de la décision s’il n’était pas d’accord’’, souligne l’avocate, qui est ‘’passée à autre chose’’, dit-elle.
Cependant, poursuit Me Sérikpa, quelques jours après la décision, l’ex-chef de guerre la fait appeler depuis la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, la plus grande prison du pays) pour exprimer sa volonté de relever appel de la décision.
‘’A l’audience, il avait déjà marqué son désaccord avec cette décision. Il appartenait donc au greffe de noter qu’il n’avait pas acquiescé la décision. Car, il avait clairement marqué son désaccord, ce qui sous-entend du point de vu procédural qu’il entendait faire appel. Je ne sais pas si ça a été fait ou pas’’, fait remarquer Me Aka-Sérikpa.
Plus tard, toujours dans le courant du mois de la décision, M. Amadé fait appeler, à nouveau, l’avocate pour l’informer qu’il a fait faire rédiger sa déclaration d’appel (ne sachant lire et écrire) qu’il a transmise au régisseur de la Maca qui, comme la procédure l’indique, est censé de transmettre cet acte au greffe de la Cour d’appel pour que ça soit enregistré dans le temps .
‘’Quand il m’a dit cela, je lui ai expliqué que moi j’ai été constituée pour le défendre par commission d’office donc qu’il ne me voit pas comme son avocate habituelle qui doit faire les procédures. Et qu’il lui appartient de choisir l’avocat qu’il souhaite pour suivre la procédure. Il m’a fait entendre qu’il m’enverrait ses parents pour confirmer ma constitution pour suivre son dossier en appel’’, révèle Me Sérikpa.
‘’Naturellement, tant que le client ne m’a pas encore constituée officiellement, je ne peux pas m’introduire de plain-pied dans sa procédure et suivre son appel. Donc j’ai dû attendre ses parents pour confirmer officiellement ma constitution. Et c’est ce qui a été fait. Mais entre-temps, l’appel a été introduite dans les délais, c’était même avant les 20 jours. Pour moi, il n’y avait pas de soucis pour aller vérifier parce qu’on était déjà dans les délais’’, souligne l’avocate.
Et quand Me Sérikpa a reçu la constitution des parents de M. Ouérémi, puis la décision, elle était en cours de préparation de son mémoire pour le déposer à la Cour d’appel quand ‘’étant en voyage, on m’a appelée pour me dire l’affaire sera appelée à la session de la Cour d’appel criminelle’’, dit-elle.
Prise de ‘’court’’, elle demande à son ‘’confrère qui avait été constitué d’office à mes côtés dans cette affaire en appel de solliciter un renvoi dans la même session, à une autre date (notamment le 13 février 2023 qui correspond à une de mes audiences) car le confrère ne connait pas assez le dossier’’, raconte encore Me Sérikpa.
Manifestement, elle n’a pas été suivie, car ‘’ encore en voyage, mon confrère et mes collaborateurs m’ont appelé pour me signifier, à ma grande surprise, que l’appel de M. Ouérémi a été rejeté et que la juridiction avait en sa possession un document qui marquait une date à laquelle il a introduit l’appel de telle sorte qu’il était forclos’’, relate l’avocate.
‘’J’ai gardé mon sang froid et je leur ai dit que de toutes les façons, comme c’est une procédure et que je suis à distance, prenez toutes les décisions, j’apprécierai à mon retour. Quand je suis revenue, j’ai vu que la décision qui m’a été remise contenait des éléments un peu contradictoires sur le document sur lequel, apparemment, la Cour s’est fondée pour déclarer l’irrecevabilité de sa procédure’’, constate l’avocate.
‘’Déjà, au niveau des dates, pour ne pas laisser transparaitre les moyens de défense au pourvoi, les dates au niveau de la réception du dossier à la Cour et au niveau de la rédaction depuis la Maca, étaient contradictoires. J’ai fait appeler mon client pour l’écouter car c’est lui qui a fait rédiger l’appel. Il m’a expliqué que l’acte de l’appel a été rédigé dans le même mois d’avril pratiquement dans la même semaine. Il dit se souvenir que l’acte a été déposé, pratiquement, une semaine après la décision, soit le 21 avril. Alors qu’il avait 20 jours pour le faire. Donc, il était largement dans le délai’’, rapporte Me Roselyne Aka-Sérikpa.
Pour ce document ‘’surprenant’’, qui n’est pas rédigé des ‘’propres mains’’ de son client, Me Sérikpa est à se demander si ‘’la personne qui a écrit le document, le régisseur d’alors pourraient être courageux pour venir témoigner que mon client n’a pas donné son document de façon tardive’’ ? C’est la grosse difficulté à laquelle fait face le conseil de d’Amadé Ouérémi dont ‘’le jugement doit être fait de façon correcte et qu’il assume en toute aisance la peine qu’on pourrait lui infliger. Mais qu’on ne procède pas par des +magouilles+ dans ce dossier’’.
‘’ Il y a beaucoup de zones d’ombre. Qui a transmis ce document ? Qui l’a écrit pour lui ? Ces personnes, certainement, par peur ne viendront pas témoigner. C’est étonnant qu’on se serve d’un document qui n’est pas écrit de la main de mon client pour rejeter son appel. Ce qui n’a pas été bien, effectivement, l’audience s’est passée en mon absence. Le juge aurait pu renvoyer l’audience pour que moi qui m’occupe du dossier, je puisse faire mes observations. Ça n’a pas été le cas. Je ne peux pas lui en vouloir, il a fait son travail de juge’’, commente l’avocate qui affirme avoir introduit son pourvoi en cassation. ‘’J’ai déjà rédigé mon mémoire et on attend que l’affaire soit appelée pour aller encore se défendre’’, soutient-elle.
‘’A l’audience, en première instance, M. Amadé n’a jamais nié qu’il faisait partie du groupe armé qui avait été monté de toutes pièces à Duékoué. Mais, ce qu’il n’a jamais accepté et qu’il continue de marteler c’est de lui faire porter à lui tout seul le chapeau et même de le tenir pour l’instigateur, le responsable, le commanditaire, le cerveau de cette affaire’’, rappelle Roselyne Aka-Sérikpa, faisant remarquer que ‘’pour se défendre, il a cité des noms et il a expliqué son histoire de sorte qu’Amadé nous a tous fait entendre qu’il n’était pas militaire à la base et qu’il était un jeune mécanicien qui s’est reconverti en agriculteur. Voilà ce qu’il exerçait comme activités’’.
Et l’avocate d’interroger ‘’d’où vient-il que M. Amadé puisse devenir un militaire, porter des tenues de militaires, combattre avec des armes de militaire ? Il y a bel et bien eu des responsables aguerris à ce métier-là qui l’y ont entrainé. Et Amadé n’est pas passé par quatre chemins pour citer des noms d’autorités militaires qui sont encore vivants, ici en Côte d’Ivoire et même qui sont en fonction’’, martèle Me Sérikpa.
Pour bien faire cette procédure, plaide-t-elle, ‘’il aurait fallu que ces autorités-là viennent à l’audience si elles n’ont rien à se reprocher face à Amadé pour nous dire leur part de vérité puisqu’il les accuse. C’est de là qu’éclatera la vérité. C’est là que se situe la zone d’ombre. Ces autorités militaires refusent de comparaitre, le ministère public est incapable de les faire comparaitre, même le gouvernement est incapable de les faire comparaitre’’, insiste-t-elle.
‘’Il y a toujours des questions que nous tous, nous nous posons. Mais que se passe-t-il ? Cette question reste non éclairée. En appel, on aurait encore exigé que ces personnes viennent à l’audience. Au lieu de faire croire que l’avocate d’Amadé est incompétente parce qu’elle est incapable de suivre les règles de procédure et que l’appel de son client a été rejeté. Ce qui est faux !’’, rétorque Me Sérikpa.
‘’Tout le Barreau sait qui je suis. Méticuleuse, à aucun moment, un de mes dossiers n’a été rejeté dans toutes les juridictions depuis que je suis avocate, pour des erreurs de procédure. Pour l’heure, la vérité peut être couverte mais tôt ou tard, elle sera sue’’, conclut Me Roselyne Aka-Sérikpa.
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