La rivalité entre le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci) et Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (Rhdp, pouvoir) monte d’un cran à Yamoussoukro, sur les terres d’Houphouët-Boigny dont chaque formation clame incarner son héritage.
La bataille pour le contrôle du grand Centre avec pour épicentre Yamoussoukro, espace géopolitique et stratégique dans cette lutte, est manifeste au regard des rencontres du Rhdp et du Pdci avec les chefs traditionnels Baoulé et des meetings tenus dans la capitale politique ivoirienne.
A la veille du 26è anniversaire du décès de Félix Houphouët-Boigny, le 6 décembre 2019, le chef de l’Etat Alassane Ouattara, président du Parti unifié Rhdp, a rencontré les chefferies Baoulé.
A cette occasion, il a relaté ses relations avec Houphouët-Boigny, son « maître politique » et son « père ».
Les têtes couronnées, vu leur influence sur leur zone de prédilection, sont convoitées par les deux formations « Houphouëtistes ». Il y a quelques mois, Henri Konan Bédié, président du Pdci, parti fondé par Houphouët, a expliqué sa « rupture » avec le Parti unifié Rhdp, conduit par M. Ouattara.
Le Pdci qui a posé les bases statutaires du Rhdp, s’est retiré du Parti unifié Rhdp, après un échec dans des discussions visant à obtenir une alternance politique au profit du parti.
Selon M. Bédié, le président Alassane Ouattara n’a pas respecté leur « pacte ».
Guerre des héritiers
Une guerre des héritiers de Félix Houphouët-Boigny, premier président ivoirien, bâtisseur de la Côte d'Ivoire moderne, est ostensiblement ouverte. Ce qui crée des tensions entre les « frères » Houphouëtistes, demeurés alliés de 2005 à 2019, soit pendant 14 ans.
Plusieurs cadres du Pdci ont rejoint le Parti unifié Rhdp dont le vice-président Daniel Kablan Duncan, et l’ancien porte-parole de l’ex-parti unique, Kobenan Kouassi Adjoumani qui a créé le mouvement «Sur les traces d’Houphouët-Boigny ».
M. Bédié, dauphin constitutionnel au moment du décès de Houphouët-Boigny, et aujourd'hui chef du Pdci, se dit l’héritier « naturel » d’Houphouët, pendant que M. Ouattara, Premier ministre du président défunt et actuellement président du Rhdp, soutient que le Rhdp est « la maison d’Houphouët ».
Le président du Sénat, Jeannot Ahoussou, cadre du Pdci ayant basculé au Rhdp, a déclaré le 7 décembre 2019, à un meeting en hommage à feu Houphouët-Boigny, sur la Place Jean Paul II de Yamoussoukro, que Alassane Ouattara est « l’unique successeur de Félix Houphouët-Boigny ».
« Je m’emploierai à tout mettre en œuvre pour préserver et pérenniser les actions et la philosophie politique de Houphouët-Boigny », a déclaré M. Ouattara à ce meeting, qui a réuni tous les cadres du Rhdp et des milliers de partisans.
Le Pdci veut désormais reconquérir, seul, le pouvoir d’Etat sans son ancien allié du Rhdp. Comme stratégie, M. Bédié a appelé à la mise en place d’une plateforme non-idéologique de l’opposition, se rapprochant du parti de Laurent Gbagbo, autrefois opposé à Houphouët-Boigny.
Dans une adresse à des milliers de militants, sur la Place Jean Paul II de Yamoussoukro mi-novembre, M. Bédié a salué sur sa terre natale, la mémoire de Houphouët-Boigny, fondateur du Pdci, appelant les militants à ne point céder à la peur dans l’élan pour la reconquête du pouvoir d’Etat.
L’élection présidentielle du 31 octobre 2020 est l’objectif de chacune des parties. Tandis que le Rhdp affute sa stratégie, le Pdci de son côté aménage sa monture pour remporter ce scrutin. Dans ce combat, M. Bédié semble avec lui Guillaume Soro, autrefois proche de M. Ouattara.
Le paysage politique connaît une recomposition, l’intérêt pour chaque formation politique étant de remporter la victoire au soir du 31 octobre 2020. Les positions de MM. Bédié et Ouattara semblent tranchées, mais pas impossibles d’être conciliées.
Contrôle du pouvoir
Le contrôle du pouvoir est inéluctablement le nœud de la discorde entre le Rhdp et le Pdci. Le Rhdp a d’ailleurs décidé de construire son siège à Yamoussoukro, un acte de proximité qui n’est pas fortuit mais, chargé du symbole d’un ancrage sur les terres de Félix Houphouët-Boigny.
M. Ouattara laisse entrevoir que cela est un devoir. Si j’ai un seul regret, c’est de n’avoir pas pu transférer la capitale à Yamoussoukro, dira-t-il, lors du meeting en hommage à Houphouët-Boigny, à la mythique Place Jean Paul II.
La conquête du pouvoir n’est pas une messe à faire. M. Bédié dénonce des « abus de déstabilisation des partis politiques » et une « justice aux ordres », imputant la condamnation de son vice-président Jacques Mangoua, écroué pour détention illégale de munitions, à une «dictature rampante ».
Jacques Mangoua, président du Conseil général de la Région du Gbekê (centre ivoirien), purge une peine de cinq ans de prison ferme.
Le Pdci qui y voit une manœuvre politique pour affaiblir son électorat, affiche un air confiant de détenir son bastion.
En 2010 et en 2015, à l’occasion des joutes électorales, MM. Bédié et Ouattara ont rencontré les chefferies Baoulé. A moins d’un an de l’élection présidentielle de 2020, chacun échange avec les chefs coutumiers de façon solitaire.
« Nous ne comprenons toujours pas cette querelle entre deux frères aîné et cadet, et nous allons essayer jusqu'au bout de les réconcilier », a indiqué à la presse le gouverneur du District de Yamoussoukro, Augustin Thiam.
Pour Nicolas Yobouet, chef de la communauté Ayahou à Dimbokro (centre) ce problème peut être réglé. Il a confié que M. Ouattara a demandé au directoire de la Chambre des rois et chefs traditionnels de mener des pourparlers envers M. Bédié pour tenter un rapprochement.
Invité à la cérémonie d’hommage à Houphouët-Boigny, le 7 décembre 2019, le chanteur tradi moderne Nguess Bon Sens, a dit que cette affaire a trop duré, interpelant les chefs traditionnels afin de chercher à amener les deux personnalités à s’entendre.
Jean Koffi Kouadio, chef de la communauté Elagba, dans la Région du N’Zi, estime pour sa part que les enfants du Rhdp devraient être ensemble. Les chefs ont fait ce qu'ils peuvent faire, toutefois les deux camps aussi devraient faire des efforts pour se retrouver.
Dans l’ordre des choses, ajoutera-t-il, M. Ouattara étant «le jeune frère du président Bédié, l’e×-président Gbagbo est le jeune frère de Bédié, le grand frère est allé jusqu'à lui ; il faut avoir le courage, il faut que le président Ouattara prenne son courage pour aller voir son grand-frère afin que le problème soit réglé ».
« Il faut vraiment que les deux (l’ancien chef de l’Etat ivoirien Henri Konan Bédié et le président Alassane Ouattara) se retrouvent pour que le pacte qu'ils ont rompu revienne pour que la Côte d'Ivoire soit en paix », a-t-il conseillé.
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