L’homme semble habité. Il est heureux d’être devant 2000 de ses partisans réunis au palais de la Culture d’Abidjan ce 4 octobre. Vêtu d’un pagne à son effigie, ‘KKB’, Kouadio Konan Bertin, lance enfin sa campagne : « J’ai décidé de prendre mes responsabilités, j’ai décidé de présenter ma candidature à l’élection présidentielle.» Le pari est osé. L’homme n’a aucun appareil politique derrière lui. Il vient d’être exclu temporairement ce 1er octobre du parti où il a effectué une grande partie de sa carrière, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire de Henri Konan Bédié. En guise d’investiture, 'KKB' reçoit le soutien de chefs traditionnels. Le président de l’association nationale des chefs coutumiers, Tchiffi Yoro Mathias, est présent. Il est venu lui remettre une canne, symbole d’autorité, et un pagne traditionnel.
Le discours du candidat est offensif. Il faut en finir avec « avec la Côte d’Ivoire des copains et des coquins » et celle des « passe-droits et des privilèges ». ‘KKB', le candidat « de l’équité », promet pour « tous les foyers sans ressources un revenu minimum de 25 000 francs CFA ». Les jeunes ne sont pas oubliés. L’enjeu électoral est important. Ils représentent la majorité de la population du pays. : « Je créerai un prêt sans intérêt destiné au financement des études universitaires de tous nos jeunes. .» L’homme se revendique de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance et président de 1960 à sa mort en 1993.
'KKB' promet un nouveau « miracle ivoirien ». Une minute de silence est observée en hommage au président défunt. Le discours semble résumer ce qui a été la matrice de sa carrière : l’encadrement politique de la jeunesse et l’engagement houphouëtiste. Kouadio Konan Bertin, 51 ans, est issu d’un milieu modeste. Il est né à Lakota dans le sud du pays. L’aîné d’une fratrie de six enfants devient étudiant à l’université d’Abidjan. Et il intègre assez rapidement l’organisation de jeunesse du PDCI fondée en 1991 par le parti du président Félix Houphouët-Boigny.
Président des jeunes du PDCI
Le jeune 'KKB' est atteint par le virus de la politique et à la mort du vieux chef, Félix Houphouët-Boigny, en 1993 il soutient le nouveau président Henri Konan Bédié, le successeur. « C’est un homme qui a suivi des études. Mais l’activité politique le passionne. Il est habité par la politique et s’est construit personnellement grâce à la politique et à l’engagement politique », décrit le journaliste politique ivoirien Jules Claver Aka.
Il se fait remarquer pour ses talents d’organisateur au sein du parti houphouëtiste. « Il est vraiment capable de développer et d’animer une force militante. Il a un vrai talent pour cela », précise le journaliste politique. L’homme n’en pince alors que pour le président Henri Konan Bédié qu’il surnomme alors « le père ».
'KKB' sort de l’anonymat en 1999 lors du coup d’État du 24 décembre qui renverse le président Henri Konan Bédié. Il fait la tournée des campus contre les militaires et s'oppose au gouvernement du général Robert Guéï. « Il a fait preuve d’un vrai courage personnel à ce moment-là face aux militaires », ajoute le journaliste politique. Les caciques du PDCI ne l’oublient pas et il devient président des jeunes du PDCI en 2001. Il y restera douze ans.
"Le Pasteur"
Il connaît alors une réelle influence dans de nombreux cercles étudiants. Il y gagne une réputation de brillant orateur. « Il était surnommé 'le Pasteur' dans les universités », par sa force de conviction et ses prêches en faveur de Henri Konan Bédié, souligne Jules Claver Aka. Un simple conseil traverse alors les amphithéâtres universitaires. « Ceux qui ne partageaient pas les options politiques du PDCI avaient cette formule assez évocatrice : « Si tu ne veux pas te laisser convaincre par 'KKB', surtout ne l’approche pas et n’engage pas la conversation avec lui », indique le journaliste ivoirien.
Valentin Kouassi, désormais président des jeunes du PDCI, se souvient des années de militantisme auprès des jeunes de 'KKB'. « Je l’ai rencontré en 2004. Il était très connu et je n’étais à l’époque qu’un simple lycéen. Il m’avait reçu dans son bureau. Il avait ce rapport direct avec les jeunes. Et son art oratoire m’avait impressionné. Je l’ai revu en 2006 à Abidjan. J’avais intégré l’université de Bouaké mais à cause du conflit le campus avait été déplacé à Abidjan. Et il 'vendait' partout très bien Konan Bédié », témoigne Valentin Kouassi.
Nombreux sont ceux qui confirment sa faconde. L'homme possède une forme de bagou. Michel Gally, professeur de géopolitique à l'Ileri (Institut des relations internationales) de Paris, se souvient l’avoir croisé en France. Il essayait alors de mobiliser politiquement une partie de la diaspora ivoirienne. « C’est un homme qui a compris qu’il devait à chaque fois adapter son discours à son auditoire. C’est quelqu’un de très politique. Il dit aux gens ce qu’ils veulent entendre. Il est très fort pour cela.» L’homme devient proche d’Henri Konan Bédié. «Il avait dépassé l’âge limite pour rester à la tête des jeunes du PDCI. Et pourtant il sera reconduit », explique Jules Claver Aka. L’ancien président a besoin de lui. L’élection présidentielle de 2010 se profile.
Mais celle-ci sera un échec pour Konan Bédié. Le candidat du PDCI est battu. Il est éliminé au premier tour avec 25 % des voix exprimées. Le scrutin de 2010 opposait déjà Alassane Ouattara à Henri Konan Bédié, ainsi qu'à Laurent Gbagbo. La crise post-électorale de 2010-11, née du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara, fait alors plus de 3 000 morts.
Première rupture
L’élection présidentielle de 2015 approche. Et le PDCI décide ne pas présenter de candidat contre le président sortant Alassane Ouattara. C’est la première rupture entre le PDCI et ‘KKB’. « Ne pas avoir de candidat en 2015, c'est participer ensemble à la signature de l'acte de décès du parti de Félix Houphouët-Boigny », déclare alors 'KKB' devenu député du Parti démocratique de Côte d'Ivoire. Kouadio Konan Bertin décide de se présenter contre l’avis de son parti. Comment expliquer cette rupture ? « Il a eu peut-être le sentiment d'être bloqué dans son ascension par les cadres du parti. Il a eu le sentiment peut-être pas infondé d'avoir été maltraité. Les anciens ne veulent pas laisser la place », explique Sylvain N'Guessan, politologue ivoirien. « Ce n’est pas quelqu’un qui a une idéologie propre. C’est un ambitieux et un opportuniste, je dirais même un champion de l’opportunisme. Tout est tourné autour de son agenda personnel », estime pour sa part Jules Claver Aka.
La non-candidature de son « père » Henri Konan Bédié en 2015 a-t-elle constitué une opportunité pour s’imposer au sein du PDCI ? « Le PDCI est un parti homogène contrôlé par les Baoulés (NDLR : les Baoulés sont un peuple de Côte d'Ivoire, vivant pour leur grande majorité au centre du pays comme à Bouaké ou Yamoussoukro ) et où la figure du chef est centrale. Souvent le chef ne désigne pas de successeur. Henri Konan Bédié aujourd’hui âgé de 86 ans n’allait pas désigner son successeur. Félix Houphouët-Boigny n’a jamais désigné de successeur. Ce n’est pas dans la culture de ce parti. Ce qui n’est pas apprécié en revanche c’est l’indiscipline», explique Michel Gally, professeur de géopolitique à l'Ileri (Institut des relations internationales) de Paris.
Dominique Komini est le directeur de cabinet de 'KKB'. Il travaille pour lui depuis 2010. «Je suis en mariage politique avec lui pour la vie», aime -t-il plaisanter. Il évoque la rupture avec Henri Konan Bédié. «Kouadio Konan Bertin a toujours respecté la légitimité du parti. Nous sommes toujours restés dans la légalité. La rupture date de 2013, en fait parce que nous avons rappelé qu'Henri Konan Bédié ( NDLR : alors âgé en 2013 de 79 ans ) ne pouvait pas se présenter à la tête du PDCI. L'âge limite était de 75 ans», explique ce très proche collaborateur de Kouadio Konan Bertin. «Konan Bédié s'est retrouvé de nouveau à la tête du parti pour ne rien faire et ne pas se présenter», confie Dominique Komini.
'KKB' est alors écarté du parti. Il termine troisième avec un score très faible, 3,88 % des suffrages exprimés. Cette première aventure politique s’avère désastreuse. En 2016, sans soutien, il perd son siège de député aux élections législatives. Il n’est plus que conseiller municipal de Port Bouët, une des communes d'Abidjan, en 2017, lorsqu'il décide de réintégrer le parti. Lors d’une conférence de presse, il explique ce retour : la décision "du PDCI de présenter un candidat en 2020. »
Pense-t-il déjà alors à une nouvelle candidature présidentielle avalisée cette fois-ci par le parti ? En juin 2020, 'KKB' dépose sa candidature au scrutin interne du PDCI, en vue de désigner le candidat pour la bataille de 2020. Sa candidature est largement rejetée. Le journaliste politique Jules Claver Aka décrit alors un homme politique capable de changer d’alliances assez rapidement en fonction de ses intérêts. « Un mois avant le dépôt des candidatures, il assurait ne pas vouloir se présenter et affronter Henri Konan Bédié. Et puis quelques semaines plus tard, il annonce sa candidature. »
Pourquoi une nouvelle candidature alors que ses chances semblent minces ? "Il joue le coup d'après, celui de l'élection présidentielle 2025. Il veut occuper l'espace politique en espérant que les anciens ne se représenteront plus", croit savoir le politologue Sylvain N'Guessan, politologue ivoirien.
Un allié objectif de Ouattara ?
Le constat de Michel Gally, professeur de géopolitique à l'Ileri, est bien plus sévère. « Il a obtenu 3,88 % des voix en 2015. Il n’a pas de base électorale. Il se présente à 51 ans comme le candidat des jeunes mais il ne représente finalement que lui-même. Pourquoi une telle candidature ? Elle sert surtout à légitimer et valider un scrutin très contesté. Il est le faire-valoir d’Alassane Ouattara. On peut dire que c’est un allié objectif d’Alassane Ouattara. Cette candidature de témoignage favorise les intérêts du président sortant en donnant un semblant de pluralisme ».
Face à la candidature controversée d'Alassane Ouattara pour un troisième mandat, Kouadio Konan Bertin ne proclame pas la désobéissance civile contrairement aux deux autres candidats Henri Konan Bédié et Pascal Affi N'Guessan. Il n'envisage pas de report de l'élection présidentielle. Il se désolidarise de la démarche des deux autres candidats de l'opposition. Il était d'ailleurs absent ce samedi 10 octobre du grand rassemblement de l'opposition dans le stade d'Abidjan contre la candidature à un troisième mandat présidentiel d'Alassane Ouattara. "Nous n'avons pas été invité à ce rassemblement donc nous ne sommes pas venus. J'avoue ne pas comprendre tous ces candidats (NDLR : Pascal Affi N'Guessan et Henri Konan Bédié) qui font donc acte de candidature et refusent la tenue du scrutin. Lorsqu'on candidate c'est pour aller au vote", réplique Dominique Komini, le directeur de cabinet de 'KKB'.
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