Dans la bataille qui l’oppose désormais, et de façon inévitable, à Alassane Ouattara, l’environnement sociopolitique est un atout formidable pour Henri Konan Bédié.
« Non, je ne peux pas accepter. Je n’accepterai pas aujourd’hui, demain, et après demain. Soyez rassurés, je suis serein, j’irai jusqu’au bout ». Ces quelques mots qui closent le discours du président Henri Konan Bédié à la veille de l’important bureau politique de son parti tenu à Daoukro le lundi 24 septembre 2018, traduisent éloquemment l’état d’esprit du leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Ils ont été tenus face aux têtes couronnées baoulé venues exprimer leur soutien au patron du vieux parti dans sa bataille contre son ancien allié, le président Alassane Ouattara. Ce n’est pas fortuit. Pour qui connaît l’importance et l’influence de la chefferie dans l’évolution de la société traditionnelle baoulé, ce soutien revêt un caractère sacrement important. Ces chefs sont, à la fois, les porte-voix du peuple baoulé et les détenteurs de l’autorité. Il s’agit donc, ici, d’un ressort indispensable à partir duquel le président Bédié se lance dans la bataille. Une sorte de caution à laquelle il avait d’ailleurs recouru, face à une frange de militants réticents baptisés ‘’ irréductibles ‘’, pour accorder le soutien du Pdci à la candidature du président Ouattara en 2015. Dopé par cette même force, Bédié va la retourner, cette fois, contre son désormais adversaire dans la conquête du pouvoir. Cet appui des chefs est une arme redoutable dont il dispose.
Désillusion. Ensuite l’environnement, tant au plan politique que socio-économique, semble également jouer en faveur du doyen des Houphouëtistes dans sa bataille contre le président du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) unifié. Sur le plan politique, la recomposition de la scène ivoirienne conforte le parti vert et blanc. La sortie de prison des cadres du Front populaire ivoirien (Fpi) et la possible alliance avec ce parti peuvent être capitalisées par le parti septuagénaire. Des contacts existent déjà entre les leaders des deux formations politiques, qui sont disposées à former une alliance contre la coalition pro-Ouattara. En plus, le désapparentement de l’aile pro-Soro avec le Rdr suite aux diverses infortunes subies par des membres des ex-Forces nouvelles et leur rapprochement de Bédié, le divorce entre les deux leaders houphouëtistes sur fond d’ingratitude, sont autant de faits qui ne plaident pas en faveur du Rhdp unifié. Ils constituent aussi des armes dont le Pdci peut se servir.
Au niveau socio-économique, il y a le dernier rapport de l’Union européenne (Ue) rédigé par les chefs de mission en poste en Côte d’Ivoire, et rendu public début août 2018. Ce rapport, très critique, apparaît comme un véritable coup de canif dans le contrat qui lie l’institution européenne au régime d’Abidjan. Alassane Ouattara avait bénéficié, en effet, du soutien politique et financier de l’Union européenne dans sa bataille pour la prise du pouvoir. Mais Bruxelles tire un goût amer de cette relation avec Abidjan. De sorte que désormais, les diplomates européens « incitent à une réflexion sur le soutien de l’Ue à la Côte d’Ivoire », relève le rapport. Il dénonce, par ailleurs, une « dérive autoritaire du pouvoir, la corruption et de flagrantes inégalités sociales ». « La population s’interroge de plus en plus ouvertement sur cette croissance qui ne lui semble pas ou peu bénéfique, et tolère d’autant moins les largesses financières dont bénéficient les cercles du pouvoir, une “classe dirigeante” dont l’enrichissement ces dernières années est parfois spectaculaire », dépeint le texte de l’Ue. Cela en rajoute à l’ambiance de désillusion et de critiques parfois acerbes qui fusent de certains groupes sociaux, même proches du pouvoir, sur sa gestion des affaires. Un environnement peu favorable au Rdr et à ses soutiens.
Comme un lion blessé. Bédié se lance aussi dans cette bataille pour laquelle il jure qu’il irait « jusqu’au bout » pour laver son honneur. Sur la question de l’alternance, Bédié a vendu à ses militants la promesse de Ouattara de céder le fauteuil à un cadre du Pdci. Au final, le chef de l’État et tout son entourage maintiennent n’avoir fait aucune promesse d’alternance. « Le candidat du Rhdp sera le meilleur d’entre nous », répète le chef de l’État à chaque occasion. Le leader du Pdci verrait ici, selon des membres de son cercle privé, une impardonnable offense à sa personne, une étiquette de menteur que la polémique autour de l’alternance semble lui coller. « Le vieux n’a vraiment pas supporté qu’on le fasse passer pour un menteur, quelqu’un qui est venu sur la place publique pour dire ce qui n’a pas été dit. Il en a été durement affecté », se souvient un de ses proches. A 84 ans, le vieux sphinx veut laver cet affront, mais n’entend surtout pas laisser comme passif politique la disparition du Pdci au profit d’une autre formation politique. Comme un fauve blessé, il veut donc jeter ses dernières forces dans cette bataille. « Il peut perdre la bataille, mais on retiendra qu’il s’est battu pour son parti, pour l’héritage que lui a laissé le père fondateur, le président Félix Houphouët-Boigny. Et ça, ce n’est pas négociable », fait valoir un haut dignitaire du Pdci.
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