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Politique

Guerre de succession d’Houphouët-Boigny : quand Bédié a failli faire arrêter Ouattara. Toute l’histoire

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Un document publié dans le célèbre groupe Facebook ODCI, raconte la guerre de succession d’Houphouët-Boigny entre le dauphin constitutionnel Henri Konan Bédié et le Premier ministre Alassane Ouattara.

Voici toute l’histoire !

Pour bien comprendre la signification du 7 décembre 1993, il faut remonter une quinzaine de jours en amont de cette date. Nous prendrons pour guide l’auteur de Mon combat pour la Côte d’Ivoire. Francis WODIE

« Le 17 novembre 1993, je reçois plusieurs coups de fil de la part de Alassane Ouattara, Premier ministre, de Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, et de Philippe Yacé, président du Conseil économique et social, chacun demandant à me rencontrer.

Nous prenons rendez-vous pour le lendemain. Le 18 novembre vers huit heures, je rencontre d’abord Konan Bédié. Il me dit que le président Houphouët-Boigny va mal et que des gens veulent former un gouvernement ; qu’il semblerait que le PIT soit prêt à accepter d’y participer. Je me borne à prendre note de ce qu’il me dit puisqu’il ne formule clairement aucune proposition ou demande. Il cachait, j’en étais certain, son jeu.

A neuf heures je rencontre Yacé. Il me dit qu’Houphouët-Boigny est au plus mal et qu’après le président Houphouët-Boigny, c’est lui, Yacé, qui est le dépositaire de la légitimité au sein du PDCI; que le président demande à Alassane Ouattara de former un gouvernement; que celui-ci n’étant pas très connu encore, le président lui a demandé à lui, Yacé, d’aider Alassane Ouattara à former le gouvernement. Puis il me parle longuement de ses déboires politiques et personnels avec Houphouët-Boigny depuis plusieurs années. J’écoute attentivement, sans réaction. Il n’est pas plus précis sur ce projet. (…).

A onze heures, je rencontre Alassane Ouattara. Il me dit qu’il a reçu mandat du chef de l’Etat pour former un gouvernement d’union et voudrait la participation du PIT. (…). Je lui réponds que nous prenons acte et que nous allons en discuter au sein du parti. Il me rétorque que c’est urgent et qu’il a besoin d’une réponse assez rapidement. Ainsi commencent les grandes manœuvres à la veille du décès d’Houphouët.(…)»

« De tous ceux que j’ai rencontrés, je n’ai donné de réponse qu’à Ouattara, car il était le seul à s’être exprimé clairement sur le projet de formation d’un gouvernement. Bien sûr le PIT a refusé de participer à un tel gouvernement. Il faut savoir que nous doutions de la réalité même de ce mandat, verbal, de la part d’Houphouët-Boigny, mourant, et de la régularité, autant la légitimité que la légalité d’une telle entreprise. Nous nous sommes demandé si le président Houphouët n’était pas déjà décédé ; cette proposition s’offrant comme une aventure à laquelle nous ne pouvions nous associer. » (pp. 153-154)

« On assistera ensuite à une confusion déplorable dans les rôles. Alassane Ouattara qui veut faire constater le décès, la Cour suprême qui dit qu’il n’y a pas à constater le décès, et Konan Bédié qui se déclare président de la république. (…).

Nous assisterons par la suite à la querelle scandaleuse entre Konan Bédié et Alassane Ouattara, à travers le spectacle de la guerre des communiqués ce jour [le 7 décembre 1993] entre dix-neuf et vingt-trois heures. » (p. 156).

En fait d’« aventure politique », il s’en fallut vraiment de très peu que le projet d’un coup de force en vue sinon de porter tout de suite Ouattara au pouvoir suprême, du moins de le maintenir dans sa position de Premier ministre – ce qui dans le contexte de l’époque revenait exactement au même – ne devînt réalité. Sous le titre « Après la mort du président de Côte d’Ivoire Houphouët-Boigny : succession explosive », le quotidien parisien France Soir annonçait en gros caractères dans son numéro du 8 décembre 1993 : « Le Premier ministre prend la direction du pays… ».

Dans le corps de l’article, non signé – en l’occurrence cela aussi a sans doute son importance ! –, le journal révélait que quinze jours plus tôt, « sentant venir la fin de Félix Houphouët-Boigny, le Premier ministre Alassane Ouattara avait décidé de son propre chef d’assurer "la suppléance du président de la République". Aussitôt sept députés PDCI ont publié une lettre ouverte pour dénoncer "le coup d’Etat de Ouattara" ».

Ainsi, dès la mi-novembre, le mot était dit : coup d’Etat ! Toutefois, si la tentative du 7 décembre d’officialiser cette usurpation devait provoquer quelques belles petites phrases du genre :

« Bédié représente la légalité républicaine. Tout ce qui est en dehors de la constitution équivaut à un coup d’Etat civil ou militaire. » (Gbagbo)

ou « Konan Bédié est considéré comme le nouveau président de la République. Ce n’est pas normal mais que pouvons-nous, que devons-nous faire ? Si nous ne sommes pas d’accord, nous trouvons une autre solution, mais qui n’est pas de droit. On tombe alors dans l’aventure politique. » (Wodié)

La constitution stipulait qu’en cas d’incapacité absolue du chef de l’Etat en exercice dûment constatée par la Cour suprême, cette charge était dévolue de plein droit au président de l’Assemblée nationale. Or, privée de son président, la Cour suprême n’était pas en état de siéger valablement

Le 7 décembre, dès l’annonce officielle du décès du chef de l’Etat, Ouattara tentera de mettre à profit cette carence pour empêcher la dévolution du pouvoir à Henri Konan Bédié. Son insistance à faire constater le décès d’Houphouët par la Cour suprême, alors que cette formalité n’est exigée qu’en cas d’empêchement absolu, n’était qu’une manœuvre dilatoire visant à retarder l’application automatique de la constitution dans un premier temps, puis à la contrecarrer tout à fait dans un deuxième temps, s’il pouvait créer un rapport de forces à son avantage dans la classe politique, les directions des forces armées et l’opinion publique.

Dans un article intitulé « Le Premier ministre se pose en successeur de Houphouët. Alassane Ouattara conteste la légitimité de Henry Konan Bédié, qui s'est autoproclamé président mardi », Alain Frilet, de Libération, écrit le 9 décembre 1993 : « Le Premier ministre, Alassane Ouattara, (…), refuse de déposer les armes.

Hier matin, le chef du gouvernement convoque dans la plus grande discrétion son ministre de la Défense et le chef d'Etat-major des armées, qui l'auraient, affirme-t-on à la primature, assuré de leur entière loyauté. La veille déjà, il avait saisi la Cour suprême, réclamé qu'elle constate officiellement la vacance du pouvoir et, au terme du délai nécessaire, installe un nouveau président de la République.

Selon un diplomate occidental visiblement inquiet, cette manœuvre, tout en donnant l'impression de respecter la loi fondamentale, permet à Ouattara d'ignorer le nouveau "président" et de conserver sa qualité de Premier ministre. Plus qu'un simple défi à l'héritier constitutionnel, Ouattara vient d'engager un bras de fer politico-ethnique aux conséquences imprévisibles ».

La meilleure preuve qu’il y eut bel et bien tentative d’usurpation, c’est la démarche que Ouattara fit auprès du gouvernement français de l’époque aux fins de recueillir son interprétation de l’article de la constitution ivoirienne réglant la transmission des pouvoirs du président de la République, en cas d’empêchement ou de décès du titulaire, au président de l’Assemblée nationale jusqu’à la fin du mandat en cours ! (D’après Soir Info 03 décembre 2001)

Quelques semaines après sa victoire provisoire sur Ouattara, le nouveau chef de l’Etat confiait à un journaliste : « J’aurais pu le faire arrêter ». S’il le pouvait, alors pourquoi ne l’a-t-il fait ? La question ne fut pas posée. Ou bien, si elle le fut, soit Bédié n’y répondit pas, soit sa réponse ne pouvait pas être livrée au grand public…

 

 
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