Présent à Abidjan, depuis quelques jours, Me Jean Serge Gbougnon, membre de l'équipe de défense de Charles Blé Goudé, s'est prêté aux questions de Linfodrome, rédaction en ligne du groupe Olympe, éditeur des quotidiens Soir Info et L'inter. L'avocat évoque la situation de son client, acquitté en première instance, libéré sous conditions, et dans l'attente d'un pays d'accueil. Me Gbougnon aborde d'autres sujets comme les rapports Gbagbo-Blé Goudé, et les suites éventuelles du procès.
Vous vous êtes battus et, aujourd’hui, votre client est acquitté. Comment est-ce que l’avocat que vous êtes, se sent après un tel verdict ?
Il n’y a rien qui puisse arriver de plus beau dans la carrière d’un avocat que l'acquittement d’un client. On arrive, dans un procès, où presque toute la presse, et tout ce qu'on appelle communauté internationale, nous fait passer pour présumés coupables. Et on gagne de quelle manière ? Sans avoir eu à présenter nos preuves. Nous sommes les premiers à l’avoir fait à la Cour pénale internationale, à avoir gagné un procès sans présenter un seul élément de preuve lié à un témoin. Il n’y a pas plus grande fierté que ça. Cela dit, il faut redescendre sur terre parce qu'il y a l’appel du procureur qui maintient nos clients dans une liberté conditionnelle. Ce qui signifie qu'il y a du travail à faire.
Comment expliquez-vous que vous ayez obtenu l'acquittement sans présenter un seul élément de preuve lié à vos témoins ?
Il y a, d'abord, ce qu’on appelle la vérité judiciaire. Comme le dit Vergés, il y a la vérité qui sort d’une épreuve de justice où on confronte les choses. Il y a, ensuite, la réalité ivoirienne. Cette réalité, c’est que jamais quelqu'un ne pourra prouver que mon client, ou le président Laurent Gbagbo, a pu concevoir un plan commun pour exterminer une catégorie de personnes. En toute franchise, même si vous donnez 10 ans au bureau du procureur, il ne pourra jamais prouver cela parce que ça n’a pas existé. C’est à peu près ce que dit le résumé de la décision. On a voulu construire un débat juridique sur une chose inexistante. On a abouti au résultat que vous savez.
Le fait est qu'on parle de 3000 morts. Doit-on considérer qu'il n'y a pas de fautifs dans cette affaire ?
Ce que mon client n’a de cesse de répéter, c'est qu'il n’y a pas une victime de Laurent Gbagbo ou bien d’Alassane Ouattara dans cette crise. Il y a des Ivoiriens qui sont morts. Il y a des Ivoiriens qui ont payé un lourd tribut à la crise. Personne ne peut s’en réjouir. Mais la justice vient de dire que notre client n’a planifié aucun plan commun contre qui que ce soit. C’est ce qu’on appelle la vérité judiciaire. On en tire toutes les conséquences du point de l’histoire et du droit. Je suis avocat de la défense. Ma tâche était de démontrer que mon client n’a pas commis les crimes qu’on lui reprochait. Mais cela ne permet pas de dire qu’il n’y a pas eu de morts en Côte d’Ivoire. Non ! Il y a eu des morts mais il y a une décision de justice. On n’a pas quémandé à la Cour pénale internationale. Ce n’est pas une grâce voire un don. C’est l’issue d’une bataille épique. Donc personne ne viendra me convaincre qu’on nous a fait un cadeau. On ne nous a pas fait de cadeau.
En cas d'appel du procureur, est-ce que votre client pourrait retourner en prison ou être condamné plus tard ?
Je vous explique comment ça se passe. La chambre de première instance a acquitté notre client parce qu’elle estime que le procureur n’a pas apporté de preuves suffisantes pour continuer le procès. Selon le chronogramme prévu, après la présentation des preuves du procureur, venait le tour de la défense. Elle devait apporter ces éléments de preuves : des témoins, des documents écrits, des vidéos etc. Sauf que nous avons estimé que nous n'avions pas besoin de présenter nos cas pour qu’on aboutisse à une décision de justice. C’est pour cela qu’on a déposé en juillet (2018) et demandé que le procès s’arrête là. La chambre de première instance a trouvé que nous avions raison, que le procureur n’a pas rempli son obligation qui était de prouver que notre client a commis des crimes tels que décrits par le statut de Rome.
Considérons que le procureur décide de faire appel du verdict rendu par la chambre de première instance. Si jamais elle est fait droit à cette requête, la chambre d’appel nous demandera de venir continuer le procès. Ce qui se passera- je touche du bois et je pense que cela n'arrivera pas- c'est que la chambre d’appel dise : on a évalué les preuves du procureur et on pense qu’on doit continuer le procès. Ce qui reviendrait à dire que la défense devrait présenter ses cas, ses témoins, ses preuves documentaires. Ce n’est pas qu’on demandera à nos clients d’être arrêtés mais il s'agirait de continuer le procès dans la mesure où le procès s'est arrêté à mi-parcours.
Environ deux semaines après sa libération conditionnelle, votre client, Charles Blé Goudé, peine à trouver un pays d'accueil. Comment expliquez-vous cela ?
Remettons les choses dans leur juste contexte. Nous n’avons jamais fait de demande de pays d’accueil. Il faut que les choses soient claires. Le 15 janvier 2019, nous avons été déclaré acquittés par la chambre de première instance. Par la suite, il a été fait appel de notre mise en liberté immédiate. Le reste est géré par la Cour pénale internationale. Nous n’avons jamais demandé à aucun pays de nous recevoir. Cela est du ressort du greffe. J’entends des gens dire : tel ou tel pays nous a refusé. Nous sommes sortis de la prison de Scheveningen. Mon client est à l'aise. Il attend seulement que le greffe lui trouve une destination autre que le lieu où il se trouve.
Une fois encore, il faut noter que nous avons été acquitté. La seule chose est que la chambre d’appel a cru mettre des conditions à la liberté de notre client. Ce n’est pas à notre demande et donc il n’y a plus de commentaire à faire sur ce point. Le jour où ils trouveront un État et une ville, nous nous y rendrons. Pour le moment, nous n’avons pas fait de demande relative à un pays. Des personnes font croire que nous avons fait des demandes qui ont été refusées. On n'a jamais adressé de demande à un pays. Ce n’est pas de notre devoir d’adresser des demandes. C’est le greffe de la Cour qui, en conformité avec la décision de la chambre d’appel, cherche des États, des pays, des villes etc.
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