Dans un premier article intitulé « Mutinerie et primes : Mamadou Koulibaly fait de troublantes révélations » que nous avons publié ce martin, nous livrions un pan d’une analyse faite par Mamadou Koulibaly, ex-président de l’Assemblée nationale et le fondateur-président de Liberté et démocratie pour la République (Lider), sur la crise qui prévaut dans l’armée.
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Dans ce second article, nous vous livrons un autre pan de cette analyse du professeur. En fait le début de l’analyse qui dans l’ordre précède le pan dont nous avions traité. Mamadou Koulibaly écrit donc :
« (…) L’objet de la réflexion qui suit est de poser des perspectives qui, même si elles ne résolvent pas les problèmes, posent les jalons pour ne plus se détourner d’eux et les aborder avec vérité car, après tout, la Côte d’Ivoire doit avancer et ne peut le faire correctement que si les institutions sont cohérentes et fonctionnent selon le bon sens commun aux pays et peuples libres et démocratiques.
Tour à tour, nous aborderons la question de savoir qui sont les mutins de janvier 2017 et nous nous demanderons s’ils sont manipulés et par qui ? Nous poserons aussi la problématique de la prime dans la fonction publique et chez les militaires en particulier. Après, nous questionnerons les processus du DDR (désarmement, démobilisation et réintégration), de la RSS (réforme du secteur de sécurité) et le destin de la LPM (loi de programmation militaire). Nous terminerons sur une évaluation des risques politiques et économiques de cette mutinerie en ce moment précis.
Le texte, par son étude des relations cachées et complexes sur toutes les questions abordées, devrait mettre les populations, les politiciens, les militaires et les observateurs intéressés dans une posture de meilleure compréhension et de renforcement de leurs capacités d’analyse et de gestion de la situation. Nos remèdes à nous ne changent pas et ont été par ailleurs exposés dans l’analyse de ces questions il y a quelques années de cela.
I. Qui sont donc les soldats entrés en mutinerie en janvier 2017
Ce sont les anciens rebelles qui sont dans les camps et les unités moins favorisés, qui n’ont pas de bonnes conditions de vie et de travail et qui considèrent que, comme par le passé, ils peuvent revendiquer, exiger, réclamer dans tous les domaines et avoir gain de cause.
Ils sont donc, si l’on s’en tient au recrutement massif effectué par le pouvoir en 2011-2012, environ 13.000 dans l’armée, auxquels il ne faut pas oublier d’ajouter 6.000 autres répartis entre la douane, la garde pénitentiaire, la garde des eaux et forêts.
Comme ils revendiquent au nom de promesses qui leur ont été faites pendant qu’ils avaient encore le statut de rebelles, il faut leur ajouter ceux qui ont été démobilisés après le 11 avril 2011. Au bas mot, loin des chiffres officiels de 8.500 ou de 7.400, il faut travailler sur une base comprise entre 12.000 et 20.000 personnes qui, une fois le paiement de la prime engagé, pourraient y prétendre. Les 8.500 ne sont alors que la partie visible des protestataires. Il ne faut pas se tromper là-dessus. Il ne faut pas tromper l’opinion là-dessus.
Ils sont pour la plupart analphabètes, sans formation, ni qualification, ni compétence. Avec l’arrivée de Ouattara au pouvoir, ils ont obtenu, au lieu du désarmement prévu par les accords de sortie de crise, le recrutement dans la fonction publique militaire. Ils ont donc la sécurité de l’emploi et le paiement qui va avec, jusqu’à la retraite, ce qui fait pour un militaire de rang (deuxième classe), environ 200.000 fcfa par mois. Ils sont déjà relativement bien payés par rapport à la grille de la fonction publique, à niveau de diplôme et d’ancienneté égal.
Toutefois, eux ne se comparent pas aux autres populations ivoiriennes qui seraient sous la ligne de pauvreté ou carrément au chômage. Leurs référents sont plutôt ceux qui, avec les mêmes niveaux et conditions d’entrée dans l’armée, sont spécialement bien traités et mieux payés par le Président de la République qui reste, depuis son arrivée au pouvoir, chef suprême des armées et ministre de la défense, et qui a sélectionné, parmi les rebelles recrutés, certains qui sont devenus membres des forces spéciales, du centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), du groupe de sécurité du président de la République (GSPR) et autres unités privilégiées, rendant envieux leurs promotionnaires restés militaires de caserne. Telle est une des raisons de leurs revendications. A promesse égale, traitement égal. Or tel ne leur semble pas le cas depuis 2011.
II. Que veulent les soldats en mutinerie ?
Les mutins demandent plusieurs choses, parmi lesquelles nous retenons la réduction du temps passé par grade et le versement de prime Ecomog. Les deux questions semblent complexes, mais montrent en réalité une logique de rébellion face aux lois en vigueur en Côte d’Ivoire.
Dans les dispositions militaires, les éléments ont en principe un temps à passer dans chaque grade avant de prétendre, dans certaines conditions de concours, de prestations, de citations, de compétences, de qualifications et pas seulement d’ancienneté, au grade supérieur. Cette demande des mutins signifie que les militaires en grève veulent des promotions automatiques, rien que sur l’ancienneté et dans les délais plus courts, pour rapidement monter en grade.
Rappelons que quelque temps après qu’ils aient été déversés dans la fonction publique militaire en 2011-2012, ils ont, en 2015, année électorale, exigé des avancements en grade qui leur ont été offerts tout de suite, faisant de plus de 50% d’entre eux des sergents, après qu’ils aient bloqué le fonctionnement du port d’Abidjan. Les grades ainsi distribués ne sont ni liés au mérite professionnel tel que l’on peut l’entendre dans les lois militaires de notre pays, ni aux compétences spécialement acquises et nécessaires. Le résultat est que ce que nous appelons armée ivoirienne est constituée d’un faible effectif de militaires de rang non qualifiés, mais pourtant surencadrés par des sous-officiers eux-mêmes insuffisamment qualifiés.
On a des rapports d’encadrement d’environ 1 officier pour 21 personnels et 2 sous-officiers pour 1 militaire de rang, que les militaires eux-mêmes reconnaissent comme étant en déphasage avec les mesures des armées modernes, où ce taux d’encadrement est de 1 officier pour 10 personnels et 1 sous-officier pour 4 militaires de rang.
Le problème en la matière est donc connu, mais ni les militaires, ni les politiciens qui gèrent l’Etat ne sont engagés à le résoudre. Bien au contraire, les exigences et les solutions qui leur sont données tendent à renforcer les dysfonctionnements. Peut-on alors dire que nous avons vraiment une armée de la République en Côte d’Ivoire ?
La reconnaissance du mauvais fonctionnement de cette formation et de l’encadrement a conduit d’ailleurs, après le désengagement de l’armée française dans ce domaine, à la signature de plusieurs contrats juteux avec des sociétés privées françaises d’encadrement et de formation militaire, sans aucune correspondance avec la réalité de l’armée ivoirienne et la politique gouvernementale en la matière.
Si l’expérience de l’avancement dans l’armée ivoirienne se fait plus par ancienneté et par passe-droit ethnique ou politique, il est à noter que cette pratique a des limites fixées par la pyramide des grades qui elle, tient compte des exigences professionnelles, des contraintes de capacités et d’équipement de l’armée, et des dispositions budgétaires cohérentes avec une politique militaire claire. L’ancienneté ne peut donc être le critère principal et sans contrainte.
Le tableau d’encadrement issu de la pyramide des grades doit être respecté, sinon la satisfaction de simples revendications alimentaires qui voient dans la promotion expresse rapide une justification de la valorisation salariale rapide, rendrait inopérante une armée.
Un autre volet de la revendication des militaires est la promesse d’une prime dite Ecomog. A quel moment les forces de l’Ecomog ont-elles séjourné et agi en Côte d’Ivoire ? Aux termes de quels accords des propositions de primes ont-elles été faites aux soldats de la rébellion ivoirienne ? Aux termes de quels contrats des soldats ont-ils agi pour et dans le cadre de l’Ecomog ? Combien de francs l’Ecomog aurait versé au Trésor Public ivoirien pour le compte de ces soldats mis à la disposition des forces de la Cedeao ? Quelle part de ces montants devrait revenir à ceux qui sont aujourd’hui en mutinerie ? Combien sont-ils à bénéficier de cette prime selon les bases de données de l’Ecomog ?
Ces questions qui semblent élémentaires ne sont pas traitées dans la discussion sur la mutinerie, et le compte-rendu du gouvernement ne nous en dit pas plus. Or elles sont essentielles pour estimer ce qui est dû aux mutins et savoir pourquoi, depuis 2011, cette somme ne leur a pas encore été versée par l’Etat de Côte d’Ivoire, qui programme depuis cette date en moyenne plus de 200 milliards de francs cfa comme budget de l’armée. Pourquoi l’Assemblée Nationale de la Côte d’Ivoire, qui a pourtant une commission de la défense présidée jusqu’au récemment par un ex-officier supérieur de l’armée, n’en n’a jamais fait cas ? Pourquoi le président du Parlement, qui a le triple privilège d’avoir été secrétaire général des forces armées des forces nouvelles (FAFN), premier ministre et ministre de la défense, n’a jamais posé le problème lors de l’étude des budgets des militaires pendant la législature qui vient de s’achever ? Pourquoi le Président de la République lui-même, qui pendant son mandat passé a eu à présider la Cedeao et à créer, pendant qu’il était au Golf Hôtel, les forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) par ordonnance et qui reste encore ministre de la défense, président du conseil de sécurité, président du conseil de défense, n’a-t-il pas traité la question depuis 2011 ? Pourquoi ? Et pourquoi ?
Au-delà de ces questions, il faut savoir ce qu’est une prime des militaires pour mieux apprécier la situation. Mais les militaires étant des employés de l’Etat, le phénomène des primes est plus général lui aussi et s’apparente à du détournement organisé de fonds publics.
III. Les primes : un détournement de deniers publics à abandonner pour tous ou à budgétiser pour tous
Le phénomène des primes, en général et dans la fonction publique en particulier, vient du fait que les fonctionnaires estiment que leurs salaires ne sont pas complets et en adéquation avec le coût de la vie. Ils estiment que leur revenu salarial est inférieur au coût de la vie, même s’ils se répètent à eux-mêmes à longueur d’année, et dans le système du franc cfa, que l’inflation est faible et très supportable. Ce discours véhiculé à travers leurs propres rapports par l’Etat dont ils sont employés, ne les convainc point, et pourtant ils n’y renoncent pas. Ils aiment aussi affirmer au reste de la population que les revenus salariaux des fonctionnaires ivoiriens sont supérieurs à ceux en vigueur dans les pays voisins de la sous-région ouest africaine.
Mais nous n’avons pas encore accepté l’idée que le revenu salarial du fonctionnaire est très supérieur à la productivité de celui-ci, compte tenu du fait que l’économie nationale ne génère pas suffisamment d’emplois dans le secteur privé, entrainant un détournement des travailleurs vers la fonction publique. Alors, l’équation est simple. Le fonctionnaire dit qu’il gagne par mois un salaire plus faible que le coût de la vie en Côte d’Ivoire. Mais ce salaire reste plus élevé que la productivité du fonctionnaire. Autrement dit, il travail moins qu’il n’est payé, mais ce qu’il gagne ne lui permet pas de faire face à la cherté de la vie dans un pays où les prix sont administrés pour cacher la réalité du coût de la vie.
Pour corriger cette anomalie, certains ministères et institutions s’offrent des primes qui, très vite, contaminent l’ensemble de la fonction publique et s’imposent comme complément non budgétisé de salaire. Officiellement, ni le gouvernement, ni le parlement ne sont au courant de ces primes qui n’ont pas d’existence légale dans la loi des finances, mais qui pourtant sont prélevées et distribuées. La question que la mutinerie nous révèle est la version militaire de cette pratique des primes… »
Source: lider-ci.org
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