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Société

Maison d’arrêt et de correction d’Adzopé (Macad) : Dans l’univers des prisonniers du 3ème âge

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Bannis par leurs proches et fuyant le regard des moins âgés, douze détenus du troisième âge de la Maison d'arrêt et de correction d'Adzopé (Macad) vivent dans une autre prison : celle du repli sur soi. Incursion dans cette prison invisible.

Ils ne passent pas inapperçus par leurs cheveux grisonnants et le physique marqué par le poids des ans. Eux, ce sont les 12 pensionnaires du troisième âge de la prison civile d’Adzopé. Le pénitencier du sud-est ivoirien et celui de Sassandra, dans le sud-ouest du pays, ont en commun d’être construits en bordure d’eau. Cette particularité leur confère l’image de ''demi-Alcatraz'', redoutable prison située sur une île de San Francisco fermée suite aux mouvements de protestation des activistes des droits de l’Homme. De loin, la prison du chef-lieu de région de la Mé, dont des barbelés ondulés sur plus d’un mètre supplantent la haute clôture, fait frissonner.« Ici fait peur en raison du fleuve qui borde la prison. Si tu es tenté de t’évader par l’arrière, tu vas te retrouver directement dans l’eau. Je crois que c’est cela qui fait penser ou dire qu’ici fait peur. Sinon Adzopé n’est pas l’une des prisons ivoiriennes les plus difficiles », avance N.S. Cette prisonnière s’exprime ainsi en connaissance de cause. En effet, la détenue septuagénaire est à son sixième pénitencier du pays. Emprisonnée à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) où elle purgeait une peine de 20 ans pour braquage à main armée, vol de nuit en réunion qui s’est soldé par un meurtre, elle avait pris le large après la crise postélectorale. Et comme l'adage qui dit que le chien ne change pas sa manière de s’assoir, elle est revenue à ses amours dans la pègre pour se retrouver à nouveau dans le filet de la justice.

Bannissement. Accusée cette fois de trafic de drogue, elle est, depuis 2016, en détention préventive à la prison d’Adzopé. Depuis lors, plus aucun proche n’a cherché à lui rendre visite ou même à prendre de ses nouvelles.Pourtant, elle est mère de 5 enfants et grand-mère d’une dizaine de petits-enfants. « Personne ne cherche à me voir. Je suis abandonnée de tous. Je n’ai plus personne au monde. Ce que je vis, c’est le bannissement total », balbutie la doyenne des détenus âgés, dont la culpabilité n’a pas encore été établie. Mais, pour sa famille, c’est chose faite. Coupable, elle l’est déjà. Et on la traite ainsi au mépris de diverses conventions régionales et internationales ratifiées par la Côte d’Ivoire. Il s’agit notamment du Protocole relatif à la Charte de l’Union africaine sur les droits des femmes et surtout l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Cet article dispose, en effet, que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties à sa défense lui auront été assurées ».

Cette condamnation systématique avant même le procès, la pensionnaire septuagénaire n’est pas la seule à en être victime. C’est la réalité qu’elle partage avec 7 autres détenus aux cheveux tout blancs et non scintillants, en attente de jugement après une période de deux ans de détention préventive en moyenne. « Je suis à ma troisième année de détention préventive suite à une accusation de meurtre. Quoique je ne sois encore pas jugé et condamné, ma famille et la société, disons-le, m’ont déjà condamné. Je ne vois pas de visage d’amour, de compassion. Mais plutôt des regards de complainte, d’interrogation, de mépris. On me juge déjà coupable. Et pour ce regard, on me rejette. On me prive d’affection, de tendresse », fait observer le ‘’doyen’’ K.H qui, lui, fait office de porte-parole des prisonniers du 3ème âge de la Macad. A en croire ce fonctionnaire à la retraite, depuis qu’il est écroué, aucun parent ou ami n’a daigné lui apporter la chaleur d’une visite. «On cherche à en savoir tout de suite sur nous. On veut savoir pourquoi et comment on s’est retrouvé là. Cela nous amène à nous replier sur nous-mêmes. Le regard sur nous est interrogateur et non compatissant. Il est lourd, pesant. On pense alors qu’il n’y aura plus d’amour pour nous. On se dit qu’on n’est plus des hommes qui ont droit à l’affection des leurs. Tous nous condamnent, nous blâment et nous rejettent à vie», désespère-t-il.

Eléments nouveaux dans le paysage carcéral ivoirien. Pour autant, la prison d’Adzopé, d’une capacité de 150 pensionnaires, ne baigne pas dans une ambiance de fin de monde pour les 221 détenus, dont 170 prévenus en attente de procès. Retranchés dans une gigantesque maison perdue au milieu d’un quartier presqu’inhabité, les encadreurs sociaux de la Macad tentent au quotidien d'apporter à ces détenus cet amour filial qui leur a tourné le dos. Vendredi 13 juillet 2018, ils reçoivent la visite des humanitaires de l’Ong ‘’Save the olders’’. Les membres de cette association caritative, avec à leur tête Suzanne Lydie Mentenon - l'autorisation de visite n° 945/MJDH/DAP en poche - débarquent, les mains chargées de vivres et de non-vivres. Avant le don, la délégation venue de la capitale économique ivoirienne - Abidjan - à 105 kilomètres du chef-lieu de région de la Mé (Adzopé), échange avec la directrice du service social et ses collaborateurs. Ils sont les seuls civils parmi le personnel pénitentiaire. Ils arborent des tenues civiles qui les distinguent à vue d'oeil des gardes pénitentiaires.

Au nombre de 6, dont 2 éducatrices spécialisées (Es), 3 assistants sociaux (As) et 1 éducatrice surveillée, ils se trouvent être des éléments nouveaux dans le paysage carcéral ivoirien. Leur chef, dame Tohé Michelle, Educatrice spécialisée en poste depuis 2013 dans la prison, affiche une mine rayonnante. Ce visage resplendissant indique que la travailleuse sociale à la corpulence imposante et au teint noir d'ébène se plaît dans l’exercice de sa fonction dans ce milieu bien complexe avec des pensionnaires issus d’horizons divers et écroués pour des délits et crimes également divers. Ce milieu devrait susciter des appréhensions chez la femme qu’elle est. Cette appréhension a d’ailleurs fait fuir plusieurs travailleurs sociaux mis à la disposition du ministère de la Justice pour l’encadrement psycho-social des prisonniers. Ces derniers, selon l'agent social,   ont usé de subterfuges pour se trouver un autre point de chute que les prisons. « Au ministère de la Justice, les éducateurs spécialisés ne sont pas nombreux. Il n’y a qu’une poignée. Majoritairement, les camarades n’aiment pas les prisons. Çà fait effectivement peur de loin. Mais, nous, on a fermé les yeux. On est là et tout se passe bien », dit-elle. « Je suis la seule mère qui ne choisit pas ses enfants. Je n’ai jamais été agressée par un détenu. Le courant passe très bien entre nous. Même les plus redoutables, au contact avec nous, deviennent de parfaits complices », confie-t-elle. Comment s’y prend-elle ? «Tout est dans l’approche. C’est le regard de l’extérieur qui stigmatise l’homme en tant que dangereux. Si on approche le prisonnier avec appréhension, il se rebelle. Nous, nous leur montrons qu’ils sont avant tout des humains, qui, par erreur, par mauvais choix à un moment donné de leur vie, ou par mauvais coup du destin, se sont retrouvés en conflit avec la loi. L’approche n’est pas fonction du délit, du crime. Le travailleur social s’adapte à toute cible, à tout milieu », intervient sa collègue Célestine Ekra. « Pour venir en prison, il faut avoir le sens du sacerdoce. Il faut une âme, une vocation d’humanitaire », ajoute celle dont le travail demeure bien une curiosité.

« Nous sommes chargés de la prise en charge psycho-sociale des pensionnaires. Parmi eux, les personnes âgées constituent une cible privilégiée car elles sont plus vulnérables. Pour 12 Pa (Pensionnaires âgés), nous avons des prises en charge différentes », renchérit la directrice du service social de la Macad.

Prisons : nouveau départ et non mouroir. A la question de savoir le sens de leur activisme, elle répond sans mordiller : «C’est pour que les prisons ne soient pas un mouroir, mais plutôt un nouveau départ ». Puis, d’enchaîner : « Les détenus âgés sont victimes de préjugés. Ils sont des laissés-pour-compte. On ne les’’ calcule’’ pas trop. Comment vont-ils partir un jour d’ici ? Comment gérer leur quotidien ? C’est là que nous nous mettons en première ligne », situe-t-elle.

Ces propos, c’est à l’intérieur du pénitencier que nous en apprécierons la portée. Bien avant, l’horloge affiche 13h 53 au moment où nous quittons le centre social logé dans un bâtiment de 4 pièces pour mettre le cap sur la prison elle-même. A ce moment de la journée, le soleil de plomb auquel a fait place la fine pluie qui s’était abattue sur la ville d’Adzopé moins d’une heure avant notre arrivée, darde ses rayons ardents. C’est donc à pas pressés que nous rejoignons le hall d’entrée du pénitencier. Sur place, frayeur et curiosité de la vie de l’autre côté des grilles, torturent les esprits. De ce lieu, seule une lourde porte métallique nous sépare désormais de nos hôtes du jour. A savoir les ''pépés'' et ''mémés'' écroués principalement pour les faits de meurtre, d'escroquerie et d'attentat à la pudeur. Moins de 30 minutes d’attente, après des contrôles minutieux, deux gardes sautent les verrous. Sous forte escorte, nous voilà enfin dans la prison.

Concert de pleurs des plus vulnérables de ‘’l’enfer carcéral’’. Dans la cour, celle de l'intérieur de la prison, le plan des lieux est assez simple, avec un couloir principal et de chaque côté différents blocs organisés en fonction des profils des détenus. Le silence, le calme, la lassitude, se lisent sur les visages des détenus moins âgés que nous dépassons dans des cellules du bâtiment des assimilés ou encore des femmes et des mineurs. Les concernés par la visite, eux, sont regroupés au milieu de la cour. Parmi eux, certains n’osent pas croiser les regards. Ils baissent la tête et fuient ainsi tout regard en leur direction. D’autres préfèrent bayer aux corneilles.

« Ils s’estiment jugés et en sont gênés », fait savoir la directrice du service social à la cheffe de la délégation des humanitaires. A savoir Suzanne Mentenon. La défenseure de la cause des personnes âgées affronte la froideur glaciale des pensionnaires du troisième âge. Elle fonce tout droit vers la septuagénaire qui fait office de doyenne des détenus âgés. Et tente de l’étreindre, de lui partager un peu de chaleur par un calin. La ''mémé'' détenue recule. Ses camarades en font de même. « Nous ne sommes pas venus pour vous juger, vous blâmer. Mais, seulement pour vous faire un autre type de don, celui de notre personne, en venant vous faire ''atouuuuu'' (calin), prendre le temps de vous parler et vous écouter, partager votre histoire », lâche-t-elle. Ces propos font mouche. La doyenne finit par se jeter dans ses bras. Le long câlin est mouillé de grosses larmes.

L’émotion gagne les autres. Aussi, un concert improvisé de pleurs alourdit-il le pénitencier. Quand les esprits se remettent de leurs émotions, les détenus racontent leur galère liée à une détention préventive prolongée, qu’ils jugent ‘’abusive’’, et à une absence de visite de proches qui les auraient bannis, ainsi que la rupture récurrente de produits de première nécessité, dont des médicaments et des produits d’hygiène. Normal, dirait-on, étant donné que pour une prison construite pour accueillir 150 détenus, la Macad en compte 221 ce vendredi 13 juillet 2018. « Alors que je me plaignais de n’avoir eu en 2 ans qu’une seule visite de sa part, ma fille aînée m’a dit que je suis un contre-exemple que personne ne doit fréquenter. Depuis lors, mon cœur n’arrête pas de saigner. J’ai si mal. Qu’on me juge et qu’on en finisse», lâche douloureusement Solange C.B, une autre Pa, accusée d’escroquerie portant sur plusieurs millions de F cfa. « Trop, c’est trop ! Çà va faire maintenant 3 ans que je suis là sans jugement. Je suis une mère et une grand-mère et depuis que je suis ici, je n’ai plus de famille. J’ai tenté de me suicider. C’est ma fille-là (la directrice du service social, Ndlr) qui m’en a dissuadé », confie-t-elle.

« Nous leur disons que ce sont les lâches qui se suicident, que quand on dit que la vie est dure, c’est ici. Quand tu sors d’ici avec le moral haut, c’est que tu as gagné la guerre imposée par le sort qui voulait te pousser au suicide. Ça booste leur moral et ils renoncent », fait savoir Mme Tohé. « Au niveau juridique, nous ne pouvons rien faire que de demander aux juges de se pencher sur le cas spécifique des détenus âgés. Autant la prison n’est pas un lieu pour les enfants, autant elle ne devrait pas l’être pour les personnes du troisième âge, nos ''elders'', si vulnérables, si fragiles. Il faut trouver une mesure alternative, surtout pour le chef d'accusation d’escroquerie », plaide l’agent social. Un plaidoyer qui devrait pas tomber dans des oreilles de sourds afin de sortir les pensionnaires âgés d’une autre prison : celle du repli sur soi dû à la gène et au bannissement par les siens.

Difficile réinsertion des prisonniers âgés

Notre visite à la Macad nous a permis de toucher du doigt une autre réalité des prisonniers âgés. Il s’agit de la difficile réinsertion de cette catégorie de détenus après un tour dans un pénitencier du pays. « Des volontaires canadiens étaient prêts à payer une formation d’agents agro-pastoraux pour 3 anciens pensionnaires. Le centre retenu a refusé de les recevoir au prétexte que c’étaient des détenus », révéle, la mort dans l’âme, Michelle Tohé. Appelant de tous ses vœux l’aménagement d'une « zone tampon » pour la réinsertion des prisonniers du 3ème âge. Ces derniers méritent, en effet, une attention particulière sur leur cas. Cela se justifie par la stigmatisation dont ils sont l’objet, mais aussi et surtout, pour leur bonne conduite dans leurs cellules. Si l'on en croît le personnel d'encadrement social, trois intellectuels parmi les 12 Pa de la prison d'Adzopé se sont mis à leur disposition. Ils les aident dans la conduite de leurs activités d'alphabétisation. Reconvertis en enseignants, les détenus qui les appuient, apprennent à écrire et à lire aux détenus analphabètes. En dépit de cette bonne conduite et de leur statut de ''pépés'' et de ''mémés'', ils ne profitent nullement d’un traitement de faveur. Que fait-on du poids de l’âge si sacré dans nos traditions ? « Tous ici sont traités sur le même pied d’égalité. A partir du moment où tu es sous mandat de dépôt, tu as droit au même traitement que tous les autres », répond un garde. « C’est au juge seul d’apprécier leur cas et boucler rapidement l’enquête les concernant pour le procès. Ceux qui sont en détention préventive qui n’ont rien fait, pourraient alors sortir vite et regagner leurs familles. Nous, gardes, ne pouvons rien », précise-t-il, jetant ainsi la balle dans le camp des juges.

 
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